Tania Brugnoni est la nouvelle directrice du Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art. Un portrait

En équilibre

d'Lëtzebuerger Land vom 17.01.2025

Tania Brugnoni n’a pris ses fonctions à la tête du Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA) que depuis une semaine. Elle est arrivée avec deux cartons, une lampe de bureau et sa machine à café « à grains parce que je n’aime pas les capsules ». Pour l’instant, l’aménagement de son bureau avec vue sur la place du Marché-aux-poissons, est encore celui de son prédécesseur : une imposante armoire (sans doute) fin 19e, une table et un bureau avec un plateau en verre dépoli, des murs presque nus. Par vraiment du goût de celle qui baigne dans le design depuis des années. La directrice prévoit de fouiller dans le stock des Bâtiments publics pour trouver du mobilier qui corresponde plus à son image.

Une image principalement liée au 1535° Creative Hub de Differdange. Dès 2011, Tania Brugnoni en a assuré la stratégie et le développement, puis le suivi des chantiers successifs et enfin la direction en 2013. « J’étais au service culturel de la Ville de Differdange pour lequel j’ai rédigé le Plan de développement culturel. L’idée de réaffecter les anciens ateliers d’ArcelorMittal en espaces pour artistes et créatifs est née à ce moment-là », rembobine-t-elle. Pendant treize ans, Tania Brugnoni a dirigé cet espace qui accueille environ 80 entreprises : des indépendants qui travaillent seuls (des photographes, un fabricant d’instruments de musique, des illustrateurs, des designers, des artistes, une brodeuse…), des petites sociétés (dans la communication et le design surtout) et des plus grandes (L’Essentiel ou La Fabrique d’images par exemple). « J’ai mené le projet du 1535° comme un deuxième enfant. Maintenant qu’il est abouti, je peux passer à autre chose », explique celle qui a posé sa candidature au MNAHA « sur un coup de tête ».

Prendre à la tête du musée national est, pour Tania Brugnoni, bientôt cinquante ans, une sorte de retour à ses premières amours. Quand elle étudiait la restauration et la conservation d’œuvres d’art, elle passait ses étés au musée dans l’atelier de restauration. « J’ai même travaillé sur la mosaïque de Vichten », se souvient-elle avec émotion. Le MNAHA était donc une institution que Tania Brugnoni connaissait et fréquentait depuis longtemps. Malgré cette familiarité, l’institution lui inspire d’abord « du respect » : pour son importance dans le paysage culturel, pour sa taille et pour son histoire. Avec plus de cent collaborateurs et un budget de 15,7 millions d’euros, le musée est un des principaux institut culturel de l’État. Surprise mais pas intimidée, la nouvelle directrice pense que le choix s’est porté sur sa candidature pour ses « compétences mixtes dans le management d’équipes, la gestion de budget mais aussi le volet artistique et historique ». Directement proposé par le ministre de la Culture et attribué pour une durée renouvelable de sept ans (les deux directeurs précédents Michel Polfer ou Paul Reiles sont restés 18 ans), ce poste revêt forcément un caractère politique. En coulisse, il se dit que Régis Moes était trop marqué comme socialiste pour plaire au ministre libéral. L’historien, conservateur au MNAHA depuis plus de dix ans, était élu LSAP au Conseil communal de Niederanven, dont il vient de démissionner.

Régis Moes a été nommé directeur-adjoint, une fonction qui n’existait pas auparavant. Un choix judicieux selon Tania Brugnoni qui aime « repérer et valoriser les compétences de chacun ». Elle veut ainsi s’appuyer sur « les connaissances de la maison en interne » et sur « le remarquable travail d’historien » de son adjoint pour une direction bicéphale. Après consultations des équipes, un nouvel organigramme sera proposé « avant l’été ». Un mode de fonctionnement qui correspond à son style de management « collaboratif mais décidé ». Dialogue, écoute, empathie semblent essentiels à celle qui est la première femme à la tête de cette institution. « Il m’importe de considérer les idées de tout le monde, mais quand vient le moment de décider, je sais assumer mes responsabilités. »

Un caractère affirmé que Tania Brugnoni a déjà su imposer au sein de sa famille. « Je me suis toujours sentie un peu entre deux chaises entre ma mère luxembourgeoise venue d’une famille de commerçants et mon père italien, immigré de première génération, issus d’une famille paysanne. » Un choc culturel et social auquel le mariage ne résiste pas. Tania grandit à Pétange avec sa mère et en nourrissant « une vision romantique de l’Italie, assez éloignée de la réalité ». Après ses études au Lycée des arts et métiers, elle hésite entre deux voies et deux pays : le design à Stuttgart ou la restauration d’œuvres art à Florence. « Stuttgart était trop moche, je ne voulais pas étudier là-bas. » Ce sera donc l’Italie et la confirmation qu’elle se sent « plus luxembourgeoise qu’italienne, sauf pour la cuisine. » Il lui faut tout apprendre, à commencer par la langue. Quand le mal du pays se fait sentir – les voyages sont rares et coûteux, les communications téléphoniques sporadiques – l’étudiante écoute en boucle « une cassette de Fausti, pour entendre du luxembourgeois ».

Diplômée en restauration et conservation d’œuvres d’art, puis spécialisée en histoire des arts décoratifs et marché de l’art, Tania Brugnoni revient au Luxembourg après quatre années. Son domaine d’expertise est peu connu. « Quand je parlais de restauration, on me demandait dans quel restaurant je travaillais ! » Elle s’installe alors comme restauratrice et conservatrice indépendante. Parallèlement, la jeune femme travaille à l’animation culturelle de Differdange où, progressivement, elle prend du galon. C’est aussi à Differdange qu’elle habite et élève seule sa fille Maya, qui vient d’avoir 18 ans. Leur maison date de 1917. Avec ses compétences et son savoir-faire, Tania Brugnoni l’a restaurée et meublée, chinant et réparant des meubles et des décorations : « J’aime les objets qui ont une histoire. » Elle est aussi fière de son jardin où elle cultive des fleurs. « Cela nécessite une grande humilité face à la nature qui dicte ses droits, mais apporte une grande satisfaction quand on voit le résultat. » Un équilibre entre l’intellectuel et le manuel, entre la spontanéité et la réflexion, mais aussi entre technologie et tradition que l’on lit dans sa conception de l’avenir du MNAHA.

Alors que les grandes lignes de la programmation sont déjà établies pour plusieurs années, la nouvelle directrice veut surtout apporter « une conception contemporaine des expositions. Ce n’est pas parce qu’on expose le passé qu’on doit utiliser des outils du passé ». Elle s’appuie sur son excellente connaissance des technologies digitales : « Je n’ai pas peur des nouveaux médias, je connais les termes et le vocabulaire technique. » L’idée n’est pas d’ajouter des outils digitaux sur place – « on ne va pas au musée pour voir des écrans » – mais d’offrir du contenu aux visiteurs avant et après leur visite, à l’image de ce qu’elle a observé dans d’autres musées, au Städel de Francfort, au Rijks d’Amsterdam ou à la National Gallery de Londres, par exemple. « En racontant les histoires derrières les œuvres, en expliquant ce qui les rapproche ou les sépare, en sélectionnant des œuvres selon des approches originales, en offrant plusieurs niveaux de lecture… On donne envie de les voir en vrai. » Tania Brugnoni espère ainsi répondre aux attentes de publics larges et variés.

Le MNAHA est déjà assez avancé en termes de digitalisation. « Le musée ne m’a pas attendu pour développer ces aspects, notamment avec la numérisation des collections. Mes prédécesseurs ont construit de bonnes fondations », constate-t-elle. Il faut valoriser ces efforts et aller plus loin pour toucher plus de monde et augmenter l’engagement du public (elle dit « atteindre plus de reach », en termes marketing). Avant de lancer de nouveaux projets, un audit et une analyse de la présence du MNAHA en ligne vont être menés pour comprendre ce qui fonctionne ou pas et élaborer « une stratégie digitale forte ».

La directrice n’entend pas tout révolutionner. Elle se réjouit d’être entourée d’une « équipe jeune, dynamique et compétente » pour mener à bien ses visées. Et les défis sont nombreux. « Dès avant mon arrivée, on m’a avertie d’importants problèmes de corrosion dans les sous-sols. Mais les chantiers, je connais, ça ne me fait pas peur. » Des travaux seront menés dans la section archéologie qui nécessiteront de tout enlever, stocker ailleurs, avant un réaménagement. L’entrée et la réception du musée sont aussi en chantier actuellement et déplacées dans l’ancien restaurant. Tania Brugnoni n’envisage pas d’y réinstaller un nouvel exploitant, « c’est trop de contraintes pour les restaurateurs ». Elle émet plutôt l’idée d’un espace partagé où les visiteurs pourraient se poser quelques temps, où organiser des rendez-vous, travailler, rencontrer d’autres personnes. Cela permettra peut-être d’amener de la vie sur cette place très minérale et très vide (quand elle ne sert pas de parking).

Tania Brugnoni pointe un autre enjeu celui de l’identité du MNAHA. Le nom regroupe trois sites muséaux – le Nationalmusée um Fëschmaart, le Musée Dräi Eechelen et la Réimervilla Echternach – ainsi que deux centres de recherche : le Centre de documentation sur la forteresse de Luxembourg et le Lëtzebuerger Konschtarchiv. « Ce n’est pas évident que toutes ces strates soient identifiées comme faisant partie du musée, mais je ne suis pas sûre que ce soit indispensable. C’est plutôt une question administrative. En revanche, il faut que les visiteurs trouvent en ligne ce qu’il faut pour venir, pour avoir envie de découvrir ces différents aspects. » Elle cite encore le manque de lisibilité du parcours à travers le musée ou la complexité des divers bâtiments reliés et des nombreuses petites salles difficiles à valoriser.

Avec son esprit ouvert et son expérience riche et diversifiée, Tania Brugnoni se voit comme « une facilitatrice » qui met de l’huile dans les rouages pour faire tourner la machine. La vénérable institution qu’est le MNAHA en aura bien besoin pour répondre aux enjeux qui l’attendent. À commencer par la décoration de son bureau

France Clarinval
© 2025 d’Lëtzebuerger Land