La crise sanitaire de 2020-2021 s’est traduite, dans un grand nombre de pays, par un gonflement de l’épargne liquide des ménages, à la fois par précaution et par manque d’opportunités de consommer. À cette occasion, les gouvernements et les autorités monétaires ont une fois de plus déploré de voir des milliards de dollars ou d’euros dormir sur des comptes d’épargne peu ou pas rémunérés alors que les nécessités de la relance post-Covid auraient justifié que ces sommes soient investies sur des produits financiers plus directement utiles aux entreprises.
Une des causes de cette situation est, de l’avis général, le manque de connaissances financières des ménages, qui les empêche de faire les choix les plus pertinents pour eux-mêmes et l’économie en général. Alors que depuis plusieurs années se sont multipliées les initiatives pour améliorer l’éducation financière (financial literacy) des jeunes, comme « D’Woch vun de Suen » organisée une première fois au Luxembourg en mars 2015 par l’ABBL, celle des adultes pose toujours problème, ce qui est confirmé par de nombreuses études.
Une des plus connues est l’enquête récurrente menée par l’INFE (International network on financial education), un réseau d’experts publics créé en 2007 sous l’égide de l’OCDE. Sa dernière édition, publiée fin juin 2020, a livré des résultats préoccupants.
26 pays du monde dont douze membres de l’OCDE, ont participé à cette enquête en utilisant la méthodologie mise au point par l’INFE en 2018. À noter que ni le Luxembourg ni la Belgique ne figurent dans la liste. Quant à la France, elle n’a fourni que des résultats partiels.
L’échantillon composé de 126 00 personnes a été invité à répondre à 21 questions portant sur trois grands thèmes, chaque bonne réponse valant un point. Toutefois le score maximum de 21 signifie seulement qu’« un individu a acquis un niveau de compréhension de base des concepts financiers et applique certains principes prudents dans ses transactions financières ».
Au niveau mondial la moyenne s’est élevée à 12,7 sur 21 ou, exprimé autrement, 60,5 pour cent du meilleur score possible, avec un maximum à Hong-Kong (70,5 pour cent) et un minimum en Italie (53 pour cent). Treize pays sur 26, soit exactement la moitié, ont obtenu une note comprise entre cinquante et soixante pour cent du score maximum, avec des fortes disparités selon les thèmes.
Un des enseignements les plus inquiétants de l’étude concernait les résultats par tranche d’âge. On pouvait s’attendre à ce que les jeunes, récemment sortis du système scolaire et dont beaucoup ont pu bénéficier des programmes d’éducation financière déployés depuis vingt ans dans divers pays, aient les meilleurs résultats. Or, c’est le contraire qui s’est produit : les personnes âgées de 18 à 29 ans ont tendance à avoir des connaissances financières moindres et un comportement financier moins prudent que la moyenne, ainsi que des scores d’attitude financière inférieurs à ceux du reste de l’échantillon, « de manière constante et significative ». Les seniors sont un peu dans le même cas malgré leur expérience. À ce constat déprimant il faut ajouter que les femmes ont en moyenne des scores de connaissances et de bien-être financiers inférieurs à ceux des hommes, tout comme, sans surprise, les groupes à faible revenu.
Face une situation dont les effets potentiels peuvent être délétères pour l’économie et la société, certains pays ont pris le taureau par les cornes. C’est le cas de ceux de l’UE avec le « Plan d’action concernant l’union des marchés des capitaux » de septembre 2020, dont un des objectifs est de « faire de l’UE un lieu encore plus sûr pour l’épargne et l’investissement à long terme des particuliers ». Parmi les actions préconisées pour atteindre cet objectif figure l’amélioration de la « littéracie financière ».
Le cadre conjoint de compétences financières UE/OCDE-INFE pour les adultes a été officiellement publié en janvier 2022. Il s’appuie sur une méthodologie déjà bien rodée en l’élargissant aux compétences en finance numérique et en finance durable. Il intègre également des compétences propres à renforcer la résilience financière des ménages en cas de crise.
Concrètement, le cadre commun s’intéresse à quatre domaines : l’argent et les transactions, la planification et la gestion des finances, le risque et la rémunération, et le paysage financier. Ces domaines sont ensuite divisés en sujets et en sous-sujets. Par exemple, le domaine « Argent et transactions » est découpé en quatre sujets qui sont : l’argent et les devises, les revenus, les prix, les achats et paiements et les registres et contrats financiers, eux-mêmes divisés en seize sous-sujets.
Pour chaque sous-sujet, on établit quelles sont les compétences nécessaires, qui se rattachent à trois catégories. La première, appelée « sensibilisation, connaissances et compréhension » fait référence à la nécessité d’avoir des connaissances techniques ou de disposer d’informations approfondies sur un sujet. Exemple : « Comprendre l’incidence de la variation des taux de change sur les transferts de fonds à l’étranger, les voyages ou les achats » (compétence n°14). La deuxième (« compétences et pratiques ») concerne les éléments à maîtriser pour améliorer sa situation financière. Exemple : « Chercher des moyens de gérer l’incidence de l’inflation sur l’argent détenu » (n°51). Quant à la troisième « confiance, motivation et attitude », elle s’intéresse au processus de décision permettant d’atteindre ou de maintenir le bien-être financier. Exemple : « Résister aux pressions incitant à faire des achats imprévus » (n°71).
Tous domaines et sujets confondus, il faut ajouter un copieux corpus de compétences financières numériques : connaissances relatives aux outils, aux monnaies digitales et aux méthodes de paiement, aux crypto-actifs, aux données à caractère personnel et à leur protection, aux produits et services financiers numériques, aux plateformes de conseils automatisées, aux escroqueries et aux fraudes en ligne, et aux risques liés à la cybersécurité. Et pour faire bonne mesure il faut aussi que les adultes sensibles au respect des critères ESG (environnementaux, sociaux et sociétaux, et de gouvernance) soient capables de prendre des « décisions financières saines » sur ce point. Au final, le cadre est extraordinairement détaillé avec 22 sujets, 82 sous-sujets et un total de 564 compétences à maîtriser ! Pour le seul domaine « Argent & transactions », on dénombre pas moins de 114 compétences nécessaires,
Dénommé « FinComp pour adultes », ce cadre commun est mis à la disposition des autorités publiques nationales et des organisations privées pour mener des études évaluant le niveau d’éducation financière et pour élaborer des politiques, des programmes et des outils visant à l’améliorer. Son utilité est certaine, malgré un niveau de détail qui frise « l’usine à gaz ».
Mais en réalité, le problème principal en matière d’éducation financière des adultes est de savoir comment la mettre en œuvre. Les intervenants publics ou privés font feu de tout bois sur le plan de la forme que peuvent prendre leurs actions : séminaires et conférences en présentiel, sites Internet, « webinaires », émission de TV, applications sur téléphone portable, édition de lettres d’information, dossiers, livres et fascicules, avec souvent des « mises en situation » ou une dimension ludique, comme l’illustre le jeu Dilemme, créé en 2017 par l’association alsacienne Crésus.
Cette offre foisonnante découle de l’impossibilité d’obliger des adultes à compléter leur éducation financière : on cherche donc à les y inciter de toutes les manières possibles, notamment en mettant à leur disposition une masse considérable d’informations par différents canaux. Avec un succès mitigé. La fréquentation volontaire des sites Internet, des cours en ligne ou des séminaires reste assez limitée et souvent liée à la prise d’une décision financière importante. Et ce ne sont pas forcément ceux qui auraient le plus besoin de conforter leurs compétences qui utilisent ces ressources. Il faut aussi résoudre une autre question majeure : celle du contrôle des connaissances. À supposer que de plus en plus de personnes s’intéressent aux divers programmes d’éducation financière disponibles, encore faut-il savoir comment ils assimilent leurs contenus et en tirent profit. Évaluer l’efficacité des actions menées est une recommandation déjà ancienne de l’OCDE, qui ne s’exprime pas toutefois sur la manière de le faire.