Le Fonds monétaire alerte sur les conséquences qu’aura(it) une hausse des taux d’intérêt sur les 226 000 milliards de dollars de dettes accumulées

La menace de l’endettement

d'Lëtzebuerger Land vom 29.04.2022

Ce n’est pas la première fois que le FMI attire l’attention sur la montagne de dettes accumulées par les institutions publiques, les sociétés privées et les ménages. Elle a atteint fin 2021 le montant colossal de 226 000 milliards de dollars, soit 256 pour cent du PIB mondial. Mais cette fois, la sonnette d’alarme tinte plus fort que d’habitude, car en 2020 la dette mondiale a connu sa plus forte progression depuis cinquante ans. La dette publique en représente désormais près de quarante pour cent, une proportion jamais atteinte depuis le milieu des années 60. Son accumulation depuis quinze ans tient largement aux deux crises majeures auxquelles ont fait face les États, à savoir la crise financière mondiale de 2007-2008 puis la pandémie de Covid-19.

Dans un document publié le 18 avril, le FMI s’inquiète surtout de la dette privée dont le montant, exprimé en proportion du PIB mondial a bondi de treize points en 2020, passant de 143 à 156 pour cent, contre quinze points de plus pour la dette publique. La crise sanitaire a accéléré un mouvement déjà préoccupant avant mars 2020, car l’endettement était alimenté par les conditions financières favorables en place depuis la crise financière de 2008. « Les États ont réussi à atténuer le choc économique de la pandémie en fournissant des liquidités abondantes aux ménages et aux entreprises frappés par la crise, via des garanties de crédit, des prêts avantageux et des moratoires sur les paiements d’intérêts », lit-on dans le rapport du FMI. Ces mesures ont creusé les déficits publics et en même temps « elles ont entraîné une flambée de la dette privée ».

Pour le FMI, la situation n’est plus soutenable du fait de la hausse des taux. Son impact sur les agents économiques va provoquer un freinage de la reprise dans les trois années à venir : il pourrait se chiffrer, en moyenne par une réduction annuelle de 0,9 pour cent du PIB dans les pays avancés et même de 1,3 pour cent dans les pays émergents. Ces derniers seront surtout affectés par l’endettement des ménages, qui a fortement augmenté dans certains pays comme l’Afrique du Sud et surtout la Chine, très vulnérable car c’est la dette des ménages à faibles revenus qui a le plus augmenté. Dans les pays développés, les États-Unis et le Royaume-Uni ont aussi vu s’alourdir la dette des ménages. Mais au niveau mondial elle a augmenté « seulement » de 3,5 points de pourcentage du PIB, passant de 54,5 à 58 pour cent, alors que celle des entreprises a bondi de 9,5 points, passant de 88,5 à 98 pour cent !

Ici les craintes du FMI rejoignent celles émises dans le Tableau de bord de l’OCDE publié le 29 mars, intitulé Le financement des PME et des entrepreneurs 2022. Les prêts aux petits et moyennes entreprises ont nettement augmenté pendant la première année de la pandémie. Ainsi, l’encours moyen a progressé de 4,9 pour cent, contre une moyenne de 1,2 pour cent au cours des cinq années précédentes. Comme toujours au sein de l’OCDE, des disparités considérables existent entre les 38 pays étudiés. Dans quatre grands pays (Brésil, États-Unis, France, Royaume-Uni) la progression a été comprise entre vingt et trente pour cent. La hausse a été très faible en Belgique et en Italie tandis que treize pays dont l’Irlande, le Mexique, les Pays-Bas, l’Afrique du sud et l’Indonésie ont connu une baisse. Les taux d’intérêt ont été tirés vers des niveaux historiquement bas grâce à la politique accommodante des banques centrales avec comme résultat que dans la plupart des économies étudiées, les mesures de soutien inédites ont permis d’éviter une vague de dépôts de bilan : ainsi le nombre de faillites a diminué de 11,7 pour cent en 2020 dans les pays du Tableau de bord.

Mais pour l’australien Mathias Cormann, le Secrétaire général de l’OCDE, les mesures de soutien se sont aussi traduites pour les PME par des niveaux d’endettement très élevés qui deviennent insupportables dans un contexte post-crise marqué par la levée progressive des mesures de soutien, le rebond de l’inflation et surtout la hausse des taux d’intérêt, rendant probable que le nombre de faillites et de situations d’insolvabilité reparte à la hausse. Or les PME constituent l’essentiel du tissu économique dans tous les pays. Elles jouent un rôle majeur en termes d’emplois : une étude publiée en France a montré qu’elles sont créatrices nettes alors que les grandes entreprises en ont détruit. De plus elles ont, selon l’OCDE, « la capacité de contribuer pleinement à la transition verte et à la sécurité énergétique ».

Dans ces conditions l’arrêt ou la diminution de leurs investissements pour cause d’endettement excessif pourrait avoir des conséquences délétères. À court terme, l’OCDE considère comme essentiel que dans le cadre des plans de relance post-crise on continue d’apporter une aide ciblée aux PME viables qui en ont besoin dans la période troublée que nous vivons, avec la guerre en Ukraine et la crise humanitaire et économique qui en découle. Il faudrait aussi étendre les dispositifs de soutien à la solvabilité comme celui du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) créé en UE dans le cadre du plan Juncker en 2015. À plus long terme, l’enjeu majeur est de « renforcer la résilience » de ces entreprises en leur donnant accès « à un éventail plus large d’outils et d’instruments de financement ». Cette diversification financière de leurs ressources, « qui est désormais un impératif », est supposée leur permettre de continuer à investir sans alourdir leur endettement et même en le résorbant. ll s’agit donc clairement de renforcer leurs fonds propres, un objectif d’autant plus crucial que les PME sont réputées être sous-capitalisées. Comment y parvenir ?

Le rapport de l’OCDE n’est pas très explicite à ce sujet, évoquant pêle-mêle « l’adoption par les PME du financement adossé à des actifs, du capital-risque et du financement alternatif en ligne », des solutions qui avaient « commencé à porter leurs fruits avant la crise ». Curieusement, le document ne mentionne pas l’accès aux marchés financiers, alors que la Commission européenne a proposé dès mai 2018 d’adopter des règles facilitant la cotation en bourse des PME, car « elle peut donner une impulsion significative à ces entreprises par une dépendance réduite à l’égard du financement bancaire, une plus grande diversité des investisseurs et un accès plus facile à des capitaux propres supplémentaires ». Ces propositions ont été avalisées par le Parlement européen en mars 2019, mettant ainsi l’élargissement des sources de financement au cœur de l’Union des marchés des capitaux (UMC).

Mais la Commission reconnaît par ailleurs que les marchés financiers européens dédiés aux PME « peinent actuellement à attirer de nouveaux émetteurs ». Les deux principaux opérateurs de marché au sein de l’UE, à savoir Euronext (bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam, Lisbonne, Oslo, Dublin et Milan) et Deutsche Börse (bourses de Francfort, Luxembourg, Prague, Zürich et Madrid) ont multiplié depuis trente ans les initiatives pour faciliter l’accès des PME aux marchés financiers, avec un succès mitigé. Ainsi Euronext a créé Euronext Growth et Euronext Access, deux marchés organisés qui ne rassemblent que moins de 800 sociétés, un chiffre dérisoire par rapport au nombre de PME éligibles dans les différents pays couverts par l’opérateur. Même en estimant que sur le marché principal, riche de 1 200 émetteurs, on compte un certain nombre de PME, on ne dépasserait pas le total de 1 500 sociétés selon les propres chiffres d’Euronext, avec une capitalisation cumulée de 254 milliards d’euros, moins de quatre pour cent du total.

Il est également illusoire de compter sur des financements alternatifs tels que le crowdfunding. En France, selon une étude publiée par le cabinet Mazars, la collecte a fortement augmenté en 2021 pour atteindre près de 2 milliards d’euros soit une hausse de plus de 80 pour cent en un an. Mais il s’agit principalement (à 84 pour cent) de fonds empruntés. Le « financement participatif en investissement » ou, Equity crowdfunding, ne pèse que 103,5 millions d’euros (5,5 pour cent) dont plus de la moitié pour le secteur de l’environnement et des énergies renouvelables. En France, le même phénomène peut être observé du côté du capital-risque, qui reste insuffisant au regard des besoins. En 2021 les fonds spécialisés ont investi 18 milliards d’euros dans quelque 1 800 entreprises soit une moyenne fallacieuse de dix millions par dossier, car en réalité quatre sur dix ne dépassent pas le million d’euros. Environ quarante pour cent des fonds ont été apportés à deux secteurs, la santé et le numérique, qui rassemblent également quarante pour cent des bénéficiaires. Ces financements peuvent être rapprochés des investissements réalisés par les entreprises non financières en 2019 (dernière année pleine avant la crise sanitaire) qui étaient de l’ordre de 320 milliards d’euros. Les PME restent finalement très dépendantes des emprunts bancaires et la route de la diversification de leurs ressources est encore longue.

En contrepartie de la décision prise fin 1944 d’implanter le FMI à Washington, le poste de directeur général devait, selon une règle non écrite, échoir à un Européen. Avant DSK, trois français l’avaient occupé : Pierre-Paul Schweitzer (1963-1973), Jacques de Larosière (1978-1987) et Michel Camdessus (1987-2000) pour une durée cumulée de près de 32 ans. La nomination de DSK, proposée par Nicolas Sarkozy peu après son élection, avait surpris : bien que disposant d’un excellent profil (polyglotte, professeur d’économie réputé, ancien ministre des Finances) le candidat était aussi un homme de gauche et donc un adversaire politique – qu’il s’agissait peut-être de neutraliser. Pour effacer la tache due à son comportement, Nicolas Sarkozy obtint rapidement que ce soit une autre personnalité française qui lui succède. Au total entre 1944 et 2019, les Français ont occupé pendant 43 ans à la tête de l’institution.

Restructuration de dettes

Selon le FMI, un durcissement rapide de la politique monétaire pourrait provoquer des perturbations importantes dans certains pays, où risque de survenir une vague de faillites, non seulement dans les secteurs particulièrement touchés par la pandémie, mais aussi par contagion dans l’ensemble de l’économie. Pour éviter la liquidation d’entreprises vulnérables les pouvoirs publics pourraient alors inciter le secteur financier à la restructuration des dettes, par exemple en prorogeant des échéances ou en « bonifiant » les taux d’intérêt. Ces mesures pourraient être étendues aux ménages chez qui le poids de l’endettement est un obstacle à la consommation, alors même que ce sont les plus modestes qui sont les plus susceptibles de dépenser leurs revenus. Selon le FMI, « ces programmes devraient être conçus dans l’optique de réduire autant que possible l’aléa moral », surtout du côté des PME, avec un soutien abusif à des agents économiques non viables, qui interdirait une réaffectation rapide du capital et de la main d’œuvre vers les entreprises les plus productives.

Le 6 mai 2011, huit jours avant que l’infâmante affaire du Sofitel de New-York ne lui coûte son poste, Dominique Strauss-Kahn recevait un hommage appuyé de Joseph Stiglitz, le très écouté prix Nobel d’économie 2001. Selon ce dernier « un nouveau FMI semble avoir émergé, de manière prudente » sous la direction du Français, sa réunion annuelle de printemps ayant traduit « les efforts du Fonds pour se distancer de sa propre doctrine en ce qui concerne les contrôles de capitaux et la flexibilité du marché du travail ». Le discours de DSK le 16 avril lors des IMF Spring Meetings avait en effet mis l’accent sur la thématique sociale. Quelques jours auparavant devant la Brookings Institution (un think tank américain proche du parti démocrate), il appelait à des politiques « pragmatiques » contre le chômage, dépassant l’opposition « entre flexibilité et rigidité sur le marché du travail ». Rappelant que plus de 200 millions de personnes dans le monde cherchaient alors un emploi, il avait souligné que « la croissance seule ne suffit pas ». Et, tout en militant pour des « allocations chômage convenables », il insistait sur la nécessité de les compléter par des mesures structurelles : « quand on les combine avec des diplômes et une formation, ce qui est indispensable pour les jeunes et ceux qui n’ont pas de qualifications, elles peuvent aider les chômeurs à s’adapter à une économie changeante ». Pour celui que Joseph Stiglitz qualifiait alors de « leader sagace », l’emploi fait partie des éléments de « stabilité économique, de prospérité, de stabilité politique et de paix, et c’est pour cela qu’il est au cœur du mandat du FMI ». Des propos jugés alors provocateurs dans la bouche du directeur général du FMI mais qui ne souffrent guère de contestation aujourd’hui.

Georges Canto
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