En six mois, l’Institut viti-vinicole s’est offert un nouveau directeur, Serge Fischer et un nouveau contrôleur des vins, Paul Thill. Ils ne provoqueront pas de révolutions, mais dans un secteur qui évolue très rapidement, le travail ne manquera pas.
Il y a des moments étonnants, où le changement devient la norme. La Moselle viticole vit actuellement ce scénario. D’une part on observe un renouvellement de génération à la tête de nombreux domaines, et parallèlement, un spectaculaire accroissement du bio. En dix ans, on est passé de 3 à 13,2 pour cent des surfaces certifiées ou en conversion, le pays rattrapant ainsi un retard immense.
Ce renouveau se constate aussi au cœur de l’administration qui lui est dédiée, l’Institut viti-vinicole de Remich, qui joue le rôle de pivot entre la profession et les autorités nationales et européennes. Il conseille également les vignerons dans leurs tâches quotidiennes.
Depuis six mois, deux bureaux importants ont ainsi changé de propriétaire. D’abord celui du contrôleur des vins, en juin 2023. L’ancien garant des règles de l’AOP Moselle luxembourgeoise, Aender Mehlen (49 ans), parti à la surprise générale rejoindre la direction des Domaines Vinsmoselle, a été remplacé par Paul Thill (45 ans), ex-chef de service au laboratoire de chimie de l’Administration des services techniques de l’agriculture (Asta). Il connait bien la Moselle puisqu’il siègeait aussi à la présidence de la Marque nationale des eaux-de-vie. Puis, début décembre, le directeur Roby Ley faisait valoir ses droits à la retraite après quinze ans à la tête de l’IVV. Son remplacement s’est effectué en interne avec Serge Fischer (47 ans), ancien chef du service Viticulture de l’Institut, qui grimpe des échelons.
En quittant son poste, Roby Ley rappelait que son grand œuvre avait été la mise en place de l’AOP (Appellation d’origine protégée), succédant à la désuète Marque nationale. Pourtant, il estimait que son cahier des charges, négocié avec les vignerons, restait très perfectible : « Le but de l’AOP devait être de faciliter le choix des consommateurs, ce qu’elle n’a finalement pas atteint. Beaucoup de bouteilles portent encore les notions de Grand premier cru et de Premier cru, qui ne disent rien de la qualité des vins », reprochait l’ancien directeur.
AOP, aux vignerons de jouer
Cette bataille ne figure pas en tête des préoccupations de son successeur. Pour une bonne raison : « La responsabilité du cahier des charges de l’AOP est détenue par les vignerons, pas par l’IVV. Je suis d’accord pour dire pour qu’il y a du travail à faire pour l’améliorer, mais je ne suis pas là pour en définir les règles. Maintenant, s’ils souhaitent en discuter, ma porte est ouverte », confie Serge Fischer au Land.
Les évolutions sont toujours possibles. Les producteurs de crémants sont par exemple en train de faire évoluer la durée minimum de vieillissement sur lattes de neuf à douze mois, un temps qui joue beaucoup dans la qualité du produit final. « Il ne reste plus qu’à se mettre d’accord pour fixer la phase transitoire », relève ce fils d’anciens vignerons de la coopérative, titulaire d’un diplôme national d’œnologie (Dijon) et d’un master d’œnologie du champagne (Reims).
Serge Fischer désigne trois autres priorités. La première est la poursuite de la simplification administrative, l’IVV tiendra de plus en plus le rôle de « guichet unique » pour les vignerons. « Avant, pour déclarer une vigne, il fallait remplir des dossiers auprès de quatre administrations, l’Asta, le Service d’économie rurale, la Sécurité sociale et l’IVV. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’à compléter celui du Recensement viticole. »
C’est un progrès, mais l’ampleur de la tâche est vaste. Un gros dossier concerne l’embauche des saisonniers, casse-tête annuel pour tous les vignerons. Exemple parmi d’autres, pour être en règle, tous les vendangeurs doivent passer devant la médecine du travail, même le voisin qui vient donner un coup de main ponctuel. Les vignerons ne peuvent également engager que des citoyens de l’Union européenne. Une exception a été faite pour les Ukrainiens, mais, il y a quelques années, des domaines ont reçu des amendes salées (plus de 10 000 euros parfois) pour avoir embauchés, tout en les déclarant, des saisonniers venant de pays des Balkans non rattachés à l’UE. « Nous ne voulons pas remettre en question les acquis sociaux, simplement alléger les procédures », précise Serge Fischer.
Sa deuxième priorité est de poursuivre le développement des services d’encadrement de l’IVV : son laboratoire (un nouveau va prochainement ouvrir) qui réalise très rapidement et à un coût modique les analyses utiles lors de l’élevage des vins et nécessaires pour obtenir l’AOP, son conseil phytosanitaire ainsi que le marketing autour de la Moselle luxembourgeoise. « Et pour tout ce que l’on ne peut pas faire, il faut que nous épaulions les vignerons pour qu’ils trouvent de l’aide ailleurs », ajoute-t-il.
Son troisième angle d’attaque sera d’accroître les recherches en relation avec l’adaptation au changement climatique. « Les critères de sélection du matériel végétal dans les années 1990 sont complètement différents de ceux d’aujourd’hui, explique-t-il. Les techniques pour travailler la terre ont changé également. »
Affichage alimentaire
À son arrivée, Paul Thill s’est d’abord formé à l’analyse sensorielle des vins « pour qu’ils soient traités équitablement lors des dégustations de l’AOP. » Pendant ces séances, les vins sont goûtés à l’aveugle par groupe de six, avec 36 échantillons maximum et jamais plus de six crémants. Ils sont présentés par ordre croissant de sucrosité et les dégustateurs notent leurs impressions sur une tablette. Après chaque plateau de six verres, ils partagent leurs analyses. « La dernière saison, nous avons recalé huit crémants sur 155 et 43 vins sur 978, relève-t-il. Mais les vignerons peuvent corriger les vins et nous les présenter une seconde fois. »
Ces « corrections », et tout le travail œnologico-technologique effectué lors de la vinification ne seront désormais plus cachés des consommateurs, ce qui induit un gros chantier pour l’IVV. En effet, la législation européenne a aboli l’exception qui faisait du vin le seul produit alimentaire à ne pas être tenu d’indiquer la liste complète des ingrédients et ses valeurs nutritionnelles. Au Luxembourg, les vins embouteillés après le 8 décembre dernier doivent donc afficher ces informations qui, parfois, surprendront les consommateurs.
Les producteurs de vins bios, biodynamiques ou natures sont forcément favorables à cette nouvelle obligation, puisque leur arsenal d’intrants est limité. Pour les autres, cet étalage pourrait être une mauvaise publicité. Qui aimerait lire dans la liste des ingrédients bisulfite de potassium, carboxyméthylcellulose, citrate de cuivre, ferrocyanure de potassium… quelques-uns des dizaines et dizaines d’intrants autorisés ? Sans parler du sucre ou des différents acidifiants.
Ce travail devant être réalisé pour chaque cuvée, il s’agit d’une tâche immense qui sera considérablement facilitée par l’IVV. « Avec le Centre des technologies de l’information de l’État, nous avons mis en place un système qui crée automatiquement un QR code pour chaque cuvée, explique Paul Thill. En scannant ce code imprimé sur les contre-étiquettes des bouteilles, les consommateurs trouveront les données hébergées sur notre site web. Chaque année, nous produirons autour de 2000 QR codes. »
« Du point de vue du consommateur, c’est une bonne décision. Il faut être cohérent, l’exception n’était pas justifiée, reconnait le contrôleur des vins. Mais la méthode employée par la Commission européenne n’a pas été bonne. On nous a accordé deux ans pour y arriver, mais la lenteur des discussions nous a imposé de tout faire dans l’urgence au dernier moment. » Exemple d’anicroche, les boutiques en lignes des producteurs luxembourgeois doivent présenter ces informations alimentaires, alors que celles des Français ou des Belges n’en ont pas l’obligation… Non, le travail ne manquera pas à l’IVV.