André Mehlen a quitté son poste à l’Institut viti-vinicole pour prendre la direction du plus gros acteur des vins luxembourgeois : les Domaines Vinsmoselle. Un transfert qui a surpris le milieu

Des changements indispensables

d'Lëtzebuerger Land vom 10.03.2023

d’Land : Que retirez-vous de votre expérience en tant que contrôleur des vins et responsable de l’Appellation d’origine protégée à l’Institut viti-vinicole (IVV) ?

André Mehlen : J’étais un Quereinsteinger, je ne venais pas du milieu. J’ai étudié la microbiologie, qui n’est pas sans rapport avec la viticulture et la vinification, mais je n’avais pas de connaissances particulières autour du vin. J’ai appris à connaître ce milieu à l’IVV et, depuis, je l’adore !

Vous n’aviez aucune relation avec le monde du vin auparavant ?

Non. J’ai habité Munich pendant onze ans, le temps d’obtenir mon doctorat et de travailler quelques années à l’Institut de microbiologie de l’université. Je suis rentré au Luxembourg par amour et j’ai commencé à travailler au CRP-Santé. Au même moment, j’ai été élu à Manternach et j’ai représenté la commune dans le syndicat de gestion de l’eau. L’IVV avait donné une réception à Remich aux membres du syndicat où je m’étais rendu. Je connaissais le directeur à l’époque et, après la visite, je lui ai dit que je trouvais l’endroit très chouette. Il m’a répondu que, justement, il cherchait un biologiste. Dans la recherche, à l’époque, on n’avait que des contrats à durée déterminée pas très bien rémunérés et, à ce moment de ma vie, je souhaitais m’installer, me marier et gagner un peu plus. J’ai donc saisi cette opportunité.

Vous n’avez donc pas commencé en tant que contrôleur des vins ?

Non, en tant que biologiste. J’avais développé une technique pour identifier les bonnes et les mauvaises bactéries et levures. Mais cette méthode était trop coûteuse, vu le nombre limité d’analyses et le microscope suffit souvent. Pendant ces trois années, j’ai appris à connaître le secteur, j’ai suivi des cours de dégustation et en 2011, j’ai repris le contrôle des vins lorsque Marc Kuhn est parti en retraite.

À quoi vous sert cette expérience dans votre nouvelle fonction chez Vinsmoselle ?

Je connais les affinités des uns envers les autres, les philosophies des différents groupements (la coopérative, les vignerons indépendants et les négociants, ndlr), le fonctionnement de tous les organes (comité du Fonds de solidarité viticole, comité stratégique, Wënzerverband…), qui sont d’ailleurs trop nombreux. Cette connaissance du terrain et des produits me fait gagner du temps.

Quelles sont vos principales missions ?

Il faut moderniser et restructurer les Domaines Vinsmoselle pour améliorer notre compétitivité. Je fais le tour des différents services, j’écoute les gens. Il va falloir changer des choses, mais tout ne se fera pas du jour au lendemain. Il ne faut pas oublier qu’on ne récolte qu’une seule fois par an. Un axe essentiel sera de revoir nos gammes. Produire des vins qui mettent en évidence à la fois les cépages et les terroirs implique une énorme quantité de bouteilles différentes. Il faut réfléchir à ce qui fait encore du sens, car les consommateurs sont un peu perdus face à cette offre. La plupart des gens veulent d’abord un bon vin. Ils se soucient peu que ce soit un auxerrois, un rivaner ou un pinot gris. On va d’abord en analyser nos ventes et ce que l’on a dans la cave pour avoir une vision globale. Ensuite, nous réagirons.

Depuis quelques années, des propositions suivent cette voie, comme la série Vignum, votre haut de gamme. Mais la coopérative n’a pas une image de producteur élitiste. Comment ces vins, qui sont bons et nettement plus chers, trouvent leur place ?

Je viens de recevoir un mail m’informant que le pinot gris Vignum 2021 est en rupture de stock et qu’il faut attendre puisque le 2022 n’est pas encore sur le marché. Les volumes sont faibles, car ces vins représentent la pointe de notre pyramide de gammes. Nous acceptons donc le fait d’être en rupture. Si nous en arrivons là, c’est que nous avons déjà réussi ce pari.

Les Domaines Vinsmoselle ont également innové il y a deux ans avec une franche réussite : les Summerwäin. Des bouteilles qui cassaient les codes en n’affichant ni de cépage ni de terroir sur l’étiquette, mais en se positionnant sur un style et un prix. Ces vins représentent-ils le futur, selon vous ?

Ce dynamisme a pesé dans mon choix de rejoindre les Domaines Vinsmoselle. Les Summerwäin et les Fréijoerswäin sont des pistes qui vont dans la bonne direction. Ils se vendent très bien, parce qu’ils sont faciles à identifier. Les gens les achètent une première fois parce que la bouteille sérigraphiée leur tape dans l’œil et ils y reviennent parce qu’ils ont aimé le vin et qu’elle est facile à trouver dans les rayons.

Dans son discours lors du pot de nouvelle année donné à l’IVV, son directeur Roby Ley a avancé que, pour lui, l’Appellation d’origine protégée (AOP) « Moselle luxembourgeoise » n’a pas suffisamment clarifier la hiérarchisation des vins. Vous avez porté cette réforme. Regrettez-vous de ne pas être allé plus loin ?

Il a raison. Nous avons amélioré la qualité des vins puisque l’AOP a imposé de réduire les rendements, mais leur visibilité n’a pas réellement progressé. Dans les supermarchés, les clients ne font pas vraiment la différence entre un vin de milieu de gamme et un vin de terroir, plus pointu. Il est difficile de savoir que les lieux-dits sont les meilleurs, les coteaux sont de bons vins de milieu de gamme et les côtes sont ceux d’entrée de gamme. En plus, la profession n’a pas voulu mettre de côté les anciennes mentions de Grand premier cru et de Premier cru. Le compromis a alors été de prendre le nouveau système et de le mixer avec l’ancien, ce qui a rendu les choses très compliquées pour le consommateur.

La coopérative, par exemple, n’a pas lâché la mention des Grands premiers crus et des Premiers crus…

L’AOP devrait être suffisante par elle-même. Si le vin en porte la mention, c’est qu’il est déjà bon. De toute façon, les gens achètent en fonction du nom du domaine et du prix de la bouteille. À moins d’être un amateur averti, je doute que beaucoup aillent au-delà.

Les crémants sont sûrement la plus grande réussite de l’histoire de la coopérative. Est-il possible d’en vendre encore plus ou estimez-vous avoir atteint un plafond ? Peut-on développer l’export, avec des crémants luxembourgeois généralement plus chers que les autres ?

Au Luxembourg, je pense que le seuil est atteint. Mais, l’année dernière, nous avons exporté autant de crémant en Allemagne qu’en Belgique. Peut-être devons-nous davantage nous intéresser au marché allemand. Nos étiquettes en français sont un atout et le nom « crémant » a une certaine valeur en Allemagne.

Bernard-Massard, un gros concurrent, exporte très bien sa Cuvée de l’Écusson à des prix similaires à ceux de vos crémants. Cela vous donne des idées ?

C’est une piste, mais exporter est difficile. En 2011, le Luxembourg exportait 70 000 hectolitres, dont 95 pour cent provenaient des Domaines Vinsmoselle. Aujourd’hui, nous en sommes à 32 000 hectolitres, moins de la moitié. Mais si le marché national est saturé, il ne reste que l’export pour progresser.

Parmi les 70 000 hectolitres exportés vers la Belgique en 2011, la grande majorité était des vins d’entrée de gamme peu valorisés…

Oui et en 2012, l’export avait déjà diminué de 20 000 hectolitres à cause d’une faible récolte causée par les aléas climatiques. Les quantités commandées par les grandes surfaces belges n’avaient pas pu être livrées et elles se sont tournées vers d’autres fournisseurs. Nous n’avons jamais pu rattraper cette perte. Ce sont des marchés compliqués…

L’âge des coopérants est un autre problème, d’autant que leurs enfants ne souhaitent pas toujours reprendre les exploitations, pas si lucratives par rapport au temps investi. Comment sortir de cette situation ? Pour que les viticulteurs gagnent plus, il faudrait augmenter le prix des raisins et donc vendre les bouteilles plus chères…

Nous n’avons qu’un pot d’où sortir l’argent, nous ne pouvons pas nous permettre n’importe quoi avec le prix des raisins. La transmission des domaines est un problème majeur, mais j’ai de l’espoir. Avec tous les membres de la coopérative, nous devons développer un plan pour convaincre nos jeunes viticulteurs de continuer avec nous. Le changement prendra du temps, il ne se verra pas tout de suite, mais il est indispensable.

Le prix d’achat des raisins n’a pas évolué significativement depuis longtemps alors que l’inflation s’envole. Quand les coûts augmentent et les revenus stagnent, ce n’est pas bon…

Tout est lié. Pour améliorer notre renommée, il faut de bons vins, donc de beaux raisins, et par conséquent que le vigneron travaille de manière plus profonde. Voilà pourquoi il est important de mettre en place une stratégie qui définisse nos ambitions sur le long terme.

Vinsmoselle travaille notamment avec beaucoup de familles dont la viticulture n’est pas l’activité principale. Est-ce que le modèle des exploitations doit changer ?

Une petite exploitation peut être rentable pour un vigneron indépendant, mais moins quand il s’agit seulement de vendre du raisin dans une coopérative. Ceci dit, il est normal que toutes les entreprises ne trouvent pas de successeurs. Il faut simplement tout faire pour que ces vignes soient reprises par un autre vigneron de la coopérative.

La coopérative montre très peu d’intérêt pour le bio, ne produisant que des petites cuvées anecdotiques. Le président des Domaines Vinsmoselle Josy Gloden parle de viticulture durable et raisonnée, pas de bio. Que faut-il en conclure ?

Je ne peux que spéculer car nous ne nous sommes pas encore posé cette question ensemble. Transformer les Domaines Vinsmoselle en cent pour cent bio serait très compliqué, car tous les vignerons devraient être convaincus, sans exception. Je ne dis pas que c’est impossible, mais cela prendra du temps. Convertir un domaine indépendant est beaucoup plus simple. Mais nous avons désormais notre chaîne bio à Grevenmacher, donc il y a la possibilité de produire plus. Une conférence sur la durabilité se tiendra à la Prowein (le plus grand salon viticole du monde, à Düsseldorf, du 19 au 21 mars, ndlr), le thème est en vogue. Mais que pense le consommateur du bio ? La différence entre un vin bio et un vin conventionnel se fait dans le vignoble, pas dans la bouteille. Je viens de lire qu’en Allemagne, les ventes de bio stagnent. C’est probablement dû à l’inflation, mais l’élan semble coupé depuis deux ans.

Au moins, le bio est labellisé. C’est une marque de confiance pour le consommateur. La notion de durabilité, elle, est beaucoup plus floue.

C’est vrai, mais beaucoup de domaines font du bio sans le label sur leurs étiquettes. Il faut bien sûr aller de plus en plus dans la direction du respect de la nature et je suis convaincu que le bio d’aujourd’hui deviendra le standard du futur. C’est le sens de l’histoire. Mais il faut le faire pour de bonnes raisons, pas seulement pour vendre ses bouteilles deux euros plus cher.

La coopérative doit-elle se lancer dans la production de vins rouges, sachant que le réchauffement climatique ouvre de belles perspectives ?

À ce jour, nous n’élaborons de vin rouge qu’avec du pinot noir. J’adore ce cépage, mais il est clivant. Beaucoup de gens préfèrent des vins plus lourds. Les Autrichiens produisent des cuvées d’assemblage qui ont beaucoup de succès en associant d’autres cépages au pinot noir (merlot, Zweigelt…). En plus, les gens sont prêts à payer plus pour des vins rouges que pour des vins blancs. Il y a sûrement de la place pour de tels vins de niche.

Le grand public connaît mal la Moselle viticole luxembourgeoise. Y compris au Grand-Duché. Comment faire pour y remédier ?

L’œnotourisme est pratiquement inexistant. L’IVV avait commandé une étude à TNS-Ilres en 2018 et il en est ressorti que les connaissances autour de la Moselle étaient très modestes. Le musée du vin, ou Wäinhaus, est en cours de reconstruction à Ehnen, mais est-ce qu’il est placé au meilleur endroit ? Un tel lieu devrait se trouver quelque part où il y a du passage. Aussi joli le village soit-il, il n’y a pas grand-chose à y faire… À Bordeaux, la Cité du Vin n’a pas été construite dans les vignes, mais dans la ville.

Qu’en est-il du projet de créer une structure d’accueil du public dans votre cave de Wormeldange ?

Rien n’a encore été décidé, mais Wormeldange serait notre meilleur site. Pour l’instant, nous accueillons les touristes à Wellenstein, sur notre lieu de production. Je ne sais pas si c’est très intéressant pour eux, Wormeldange serait plus chaleureux. Nous devrions également mieux valoriser notre patrimoine. La cave de Remerschen, par exemple, serait être un très bel endroit pour des évènements d’entreprises, des mariages… Ce serait une façon simple de promouvoir notre image et développer notre notoriété.

Erwan Nonet
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