Toutes les régions du monde seront concernées

Les investissements étrangers en berne

d'Lëtzebuerger Land vom 28.08.2020

Selon le rapport annuel publié le 16 juin par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les investissements directs à l’étranger (IDE) devraient reculer de près de quarante pour cent dans le monde en 2020, en raison des effets de la pandémie de Covid-19. Alors qu’ils représentaient 1 540 milliards de dollars en 2019, ils devraient retomber sous la barre des mille milliards de dollars pour la première fois depuis 2005, confirmant une estimation publiée par l’OCDE en avril. Leur baisse devrait se poursuivre, mais moins fortement (de cinq à dix pour cent) en 2021, pour amorcer une reprise en 2022. L’impact de la crise sanitaire a été rapide. La perspective d’une profonde récession a conduit les entreprises multinationales à réévaluer leurs projets dès le début de 2020. Les annonces de nouveaux investissements et de fusions et acquisitions transfrontalières ont chuté de plus de cinquante pour cent au cours des premiers mois de l’année, par rapport à la même période de 2019. Et les contrats de grands projets d’infrastructures ont chuté de plus de quarante pour cent.

Au manque de visibilité s’ajoute la réduction des moyens : les 5 000 premières multinationales du monde ont vu leurs bénéfices attendus pour 2020 révisés à la baisse de quarante pour cent en moyenne, certains secteurs s’enfonçant même dans des pertes. La diminution des résultats nuira aux IDE, car le réinvestissement des bénéfices représente en moyenne plus de la moitié des flux. Pour couronner le tout, de nombreux pays ont pris des mesures de contrôle ou de restriction. En France le 23 juillet a été publié un décret abaissant temporairement à dix pour cent le seuil de l’autorisation préalable pour les investissements étrangers dans certaines activités sensibles, contre 25 pour cent auparavant.

« L’impact, bien que sévère partout dans le monde, varie selon les régions. Les économies en développement devraient connaître la plus forte baisse des IDE » a déclaré James X. Zhan, responsable du rapport de la Cnuced. Ces pays n’accueillent que moins de vingt pour cent des investissements étrangers, mais ils en sont très dépendants dans certains secteurs comme les industries extractives et dans celles qui sont très intégrées aux « chaînes de valeur mondiales », durement touchées depuis le début de l’année. Jointe à d’autres facteurs (chute des exportations, difficultés d’approvisionnement, réduction des transferts de fonds des émigrés) la diminution des apports de capitaux étrangers risque de plonger la population de certains pays dans la misère, notamment en Afrique.

Selon un rapport publié par la Banque Mondiale le 20 août, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1,90 dollar par jour, pourrait augmenter de 70 à cent millions, contre une estimation de soixante millions de personnes au début de l’année. Quelque 780 millions d’habitants de la planète étaient déjà dans cette situation avant la crise, soit environ onze pour cent de la population mondiale. La hausse attendue en 2020 est brutale. En avril les pays du G20 avaient décidé de suspendre jusqu’à la fin 2020 les remboursements de la dette des pays les plus pauvres. Plusieurs ONG appellent à prolonger jusqu’en 2021 ce moratoire qui concerne 76 pays et qui pourrait éventuellement déboucher, pour David Malpass, le président de la Banque Mondiale, sur un accord de réduction de la dette de ces pays.

Sous l’angle des investissements étrangers, les pays pauvres, faute de pouvoir en attirer de nouveaux, cherchent au moins à éviter les réductions de voilure ou les retraits. Plusieurs d’entre eux ont mis en place des « programmes d’urgence de rétention des investissements » passant notamment par un assouplissement de leur réglementation. C’est par exemple le cas de l’Algérie en juin. Mais certains pourraient aussi bénéficier, assez rapidement, des nouvelles stratégies des multinationales (lire encadré). Les économies développées sont à la fois les premières pourvoyeuses d’IDE et les premières bénéficiaires (lire encadré). Elles sont affectées par la réduction du nombre de projets. Exemple en Europe où quelque 6 500 projets ont été annoncés en 2019. Selon une étude publiée fin mai par le cabinet EY menée sur la France, qui pour la première fois la destination principale avec 1 200 dossiers, seuls les deux tiers pourraient être maintenus, 25 pour cent seraient reportés ou fortement revus à la baisse et dix pour cent seraient annulés, des proportions qui peuvent sans doute s’appliquer ailleurs.

L’attentisme des multinationales est lié à plusieurs facteurs. Elles sont d’abord soucieuses de préserver leurs trésoreries au détriment des investissements. Elles s’interrogent aussi sur l’attractivité future de certains marchés. La consommation des ménages risque de souffrir de la constitution d’une épargne de précaution et de la hausse du chômage. Et la nécessité de renflouer tôt ou tard des finances publiques mises à mal par les plans de relance pourrait conduire certains pays à taxer davantage des entreprises opérant sur leur sol. De plus les pressions à la relocalisation de certaines activités s’accentuent. Sauf en ce qui concerne les dossiers avec un fort contenu technologique, qui ne peuvent attendre, et même si certains projets restent valables à long terme, « clairement les grands groupes ont appuyé sur le bouton pause », indique Marc Lhermitte, associé chez EY.

Ils attendent peut-être aussi, à leur avantage, les effets de la concurrence entre États développés pour continuer à attirer ou simplement à retenir les capitaux étrangers. « Les perspectives sont très incertaines. Elles dépendent de la durée de la crise sanitaire et de l’efficacité des politiques d’atténuation des effets économiques de la pandémie », a déclaré le Secrétaire général de la Cnuced, le kenyan Mukhisa Kituyi. Néanmoins le rapport se termine sur une note plutôt optimiste, prévoyant un lent redressement des flux d’investissement à partir de 2022, « entraînés par la restructuration des chaînes de valeur mondiales, la reconstitution du stock de capital et la reprise de l’économie mondiale ». Le stock d’IDE existant, qui s’élevait à 3 700 milliards de dollars fin 2019, continuera donc d’augmenter.

Étonnants bénéficiaires

Avant même la crise sanitaire, les flux mondiaux d’IDE étaient orientés à la baisse. Selon l’OCDE le niveau des « investissements entrants » (FDI inward flows) était en 2019 inférieur de près de 26 pour cent à celui de 2015, année record avec 2090 milliards de dollars. Les principaux bénéficiaires l’année dernière ont été les États-Unis, la Chine, l’Irlande, les Pays-Bas et le Brésil qui à eux cinq ont reçu 640 milliards soit 41,2 pour cent du total. La place des Pays-Bas est étonnante d’autant que ce pays se trouve aussi au deuxième rang des pays pourvoyeurs, derrière le Japon mais devant les États-Unis et très loin devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. L’OCDE a observé que les investissements des grandes multinationales transitent souvent par des structures spécifiques de détention des actifs étrangers sans pour autant avoir une présence physique significative dans le pays d’accueil, où, de ce fait, les IDE n’ont pas d’impact réel sur l’économie locale. Les Pays-Bas et le Luxembourg sont concernés au premier chef puisque la part de ces structures dans les entrées d’IDE y sont respectivement de 64 pour cent et de 96 pour cent. Les données de certains pays doivent donc faire l’objet de retraitements.

Nearshoring

À la suite de la pandémie, les gouvernements de plusieurs pays développés ont appelé leurs entreprises implantées à l’étranger à rapatrier leurs activités de production. Mais cette stratégie de relocalisation ou reshoring est difficile à mettre en œuvre. Certaines multinationales s’orientent plutôt vers une forme de « délocalisation raccourcie » (nearshoring) qui consiste à reconfigurer leur logistique en réduisant la distance entre les fournisseurs et les clients. Une écrasante majorité des dirigeants interrogés par EY en France en mai 2020 - 83 pour cent précisément - s’attend d’ailleurs à une régionalisation des chaînes de valeurs, avec un rapprochement de certains sites de production des frontières de l’U.E. Une stratégie qui s’accompagne souvent d’une réorientation en termes de marchés, et qui crée des opportunités pour les pays de la région Moyen-Orient-Afrique du nord. Un bon exemple est donné par les constructeurs d’automobiles. Le 14 avril dernier, Renault a annoncé l’arrêt de la fabrication de voitures de tourisme en Chine, marché qui représente seulement 4,5 pour cent de ses ventes mondiales, contre cinquante pour cent chez VW, et la fermeture de son usine de Wuhan. La firme française préfère se concentrer sur l’Afrique et le Moyen-Orient, ce qui se traduira par des investissements supplémentaires dans ses deux usines marocaines (Casablanca et Tanger) d’autant que le « taux de localisation » (part de l’approvisionnement local) passerait à 80 pour cent d’ici la fin 2020, contre cinquante pour cent en 2018.

Georges Canto
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