Au début du mois d’août, le nombre de décès dus au Covid-19 dans le monde avait franchi la barre des 700 000. Nul ne peut encore imaginer combien la pandémie fera de victimes au cas où, comme le craint l’OMS, une deuxième vague de contamination arriverait. La mort a frappé d’une manière très différente d’une région du globe à l’autre et selon les pays. Relativement à leur population, les plus atteints n’ont pas été ceux que l’on croit : ainsi la Belgique a déploré 950 décès pour un million d’habitants, soit plus du double du niveau atteint en France (450) et près de six fois et demie de celui du Luxembourg (150). C’est aussi deux fois plus qu’aux États-Unis et au Brésil.
Au sein d’un même pays, d’importantes disparités ont été notées selon l’âge (les décès ayant surtout affecté les personnes de plus de 70 ans), le sexe (les hommes étant plus touchés) et les zones géographiques. En France par exemple, la surmortalité a été très marquée dans le Grand Est, c’est-à-dire la région qui jouxte le Luxembourg, qui du 2 mars au 10 mai a enregistré 48 pour cent de décès en plus par rapport à la moyenne des cinq dernières années, contre 25 pour cent dans le pays tout entier, dont la façade atlantique restait peu touchée.
Dans ce pays, deux études intéressantes ont été publiées en juillet. La première montre qu’en mars et avril, le supplément des décès de personnes nées à l’étranger a été plus de deux fois supérieur à celui de personnes nées en France : +48 pour cent contre +22 pour cent ! La hausse a été spécialement forte pour les personnes originaires d’Afrique hors Maghreb (+114 pour cent), d’Asie (+91 pour cent) et d’Afrique du nord (+54 pour cent).
La seconde confirme que le virus a frappé de manière très inégale selon les catégories sociales, car « les premières personnes touchées par le Covid-19 sont les populations les plus fragiles, habitant en zone périurbaine et sans possibilité de télétravail ».
Pendant le confinement ce dernier était surtout répandu chez les salariés les plus qualifiés, de sorte qu’un tiers des cadres ont été obligés de sortir de chez eux pour aller travailler contre les trois quarts des employés et 96 pour cent des ouvriers. L’inégalité face au télétravail s’est souvent cumulée avec le fait de devoir se déplacer en transport en commun, augmentant le risque de contagion, notamment pour les ouvriers qui habitent plus souvent en zone périurbaine que le reste de la population. L’étude a également montré que les personnes avec de faibles ressources ont présenté un risque plus élevé de contracter une forme grave du coronavirus que le reste de la population, mais il n’existe pas encore de données précises sur la mortalité due au Covid par catégorie socio-professionnelle.
Sur le plan démographique, l’épidémie n’a pas eu seulement un impact sur la mortalité. La natalité en est (ou en sera) aussi affectée. Au début du confinement, il était communément admis que cette période déboucherait quelques mois plus tard sur une vague de naissances. S’il est naturellement trop tôt pour le savoir, les études publiées à ce jour ne vont pas dans ce sens.
Des chercheurs de l’université de Florence en Italie ont interrogé 1 482 hommes et femmes de 18 à 46 ans et vivant en couple depuis plus d’un an, pendant la troisième semaine de confinement. Leurs réponses, présentées début mai dans le Journal of Psychosomatic Obstetrics & Gynecology, font état d’un « niveau d’inquiétude élevé lié aux conséquences possibles de l’infection sur la grossesse et aux difficultés économiques probables à l’issue de la crise ».
82 pour cent des participants n’avaient pas l’intention de concevoir pendant la crise et parmi les 18 pour cent restants, qui avaient prévu avoir un enfant avant la pandémie, plus du tiers (37,3 pour cent) ont abandonné ce projet, exprimant à part égales des craintes d’ordre médical et d’ordre économique.
Aux États-Unis, c’est une étude de la Brookings Institution publiée en juillet qui prévoit que le pays devrait connaître en 2021 une nette diminution du nombre de naissances : entre 300 000 et 500 000 bébés en moins par rapport à la moyenne enregistrée ces dernières années, soit une baisse de sept à dix pour cent. Une conséquence directe de la pandémie qui, selon les auteurs Melissa Kearney et Philip Levine, « provoque dans la population un sentiment profond d’incertitude et d’insécurité ». Pour les deux chercheurs, l’impact de la récession qui découle de la crise sanitaire sera beaucoup plus fort que l’hypothétique rebond de natalité imaginé par certains au début du confinement : ils évoquent la survenance d’un possible « baby-bust ».
Le document n’est pas fondé sur un sondage, mais sur l’étude de l’impact sur la natalité de crises sanitaires et économiques passées. La « grippe espagnole » de 1918-1919 avait fait baisser la natalité de 12,5 pour cent. Et en 2012, elle était inférieure de dix pour cent à son niveau de 2007, soit chaque année environ 400 000 bébés de moins qu’attendu. Des travaux menés sur des régions américaines touchées par la désindustrialisation ont montré de même que le chômage et la baisse de revenus entraînent une baisse du taux de natalité, tandis qu’inversement, une hausse du pouvoir d’achat garantit une hausse du nombre de naissances.
La troisième composante-clé de l’évolution démographique, le solde migratoire, est directement touchée par le confinement et la fermeture des frontières, qui ont ralenti les déplacements humains. Sont concernés aussi bien les migrations des pays du sud vers ceux du nord, que les mouvements de population internes aux zones les plus défavorisées. Les données recueillies par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dans 35 points de transit-clés en Afrique de l’Ouest et centrale indiquent que les migrations régionales ont chuté de près de moitié au cours du premier semestre 2020, par rapport à la même période de 2019. A la mi-juin, l’OIM estimait qu’au moins 33 000 personnes étaient bloquées aux frontières des pays de cette région d’Afrique, avec parmi elles de très nombreux travailleurs saisonniers.
Mais les migrations pourraient reprendre et même s’amplifier après la crise. Le Népalais
Jagan Chapagain, secrétaire général de la Croix-Rouge depuis février dernier, a alerté l’opinion mondiale le 24 juillet. Selon lui, les mesures de confinement et les fermetures de frontières mises en place pour stopper le virus ont détruit les circuits d’approvisionnement des populations dans de nombreux pays et pourraient plonger des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. « De nombreuses personnes qui perdent leurs moyens de subsistance peuvent se sentir obligées de se déplacer une fois que les frontières commenceront à s’ouvrir. Il ne faut donc pas être surpris de voir une augmentation massive de la migration dans les mois et les années à venir ».
Un autre facteur propice aux migrations est lié à l’accès aux mesures de prévention et aux soins. « Les gens pourraient sentir qu’ils ont de meilleures chances de survie de l’autre côté de la mer ». Même si l’OMS œuvre pour un « accès universel, rapide et équitable » aux futurs vaccins, leur répartition est et restera très inégale dans le monde, de sorte que, d’après l’analyse de Chapagain, les flux de population se dirigeront en priorité vers les zones où les vaccins sont disponibles.
Pour confirmer les craintes de la Croix-Rouge, le ministère italien de l’Intérieur a fait savoir le 29 juillet que la crise sanitaire et économique « engendre un flux exceptionnel de migrants ». En l’espace d’une semaine, quelque 11 000 migrants venaient de débarquer sur l’île de Lampedusa, dont près de la moitié étaient des citoyens tunisiens. Selon le Haut-Commissariat des Na 2020les tentatives de traversée au départ de la Libye vers l’Italie ont augmenté de 91 pour cent. Plus au nord, 4 200 personnes ont tenté la traversée de la Manche en sept mois, presque deux fois plus que durant toute l’année 2019.
Pour M. Chapagain, au-delà de l’impératif moral, les arguments économiques entrent aussi en ligne de compte pour secourir les migrants. « Le coût de la prise en charge des migrants pendant le transit et lorsqu’ils atteignent le pays de destination est bien plus élevé que de soutenir les gens dans leurs moyens de subsistance, leur éducation et leurs besoins en matière de santé dans leur propre pays », a-t-il souligné.