Anne Legill, la numéro deux du premier lieu de spectacles

d'Lëtzebuerger Land vom 23.08.2024

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Anne Legill n’a pas toujours été « adjointe à la direction des théâtres de la Ville de Luxembourg », tant elle y est incontournable. Passée par l’agence Binsfeld, et le monde de la communication, elle poursuit à l’Institut Pierre Werner où elle touche du doigt le domaine culturel qu’elle ne la quittera jamais. Aussi, elle décrit son arrivée dans le monde du spectacle vivant comme suite logique de son parcours sans pour autant avoir anticipé que ces expériences la conduiraient aux Théâtres de la Ville. Rassemblant le Grand Théâtre et le Théâtre des Capucins, cette entité est dirigée par Tom Leick-Burns, main dans la main avec son adjointe Anne Legill.

En 2005, sous la direction de Frank Feitler, Anne Legill entre aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, d’abord à la communication et aux relations publiques. « Lors de ma première rencontre avec Frank Feitler, Gaby Stehres et ensuite Marc Olinger, je me suis sentie accueillie dans l’univers du théâtre, soutenue et à ma place ». Au-delà de ses expériences de lectrice et de spectatrice, rien ne la préparait à la « formidable communauté de destins qui compose le théâtre. Je n’avais pas de réelle idée de l’engagement de chacun et chacune, ni de toutes les forces en action nécessaires en coulisses et sur les plateaux pour le faire vivre ».

Galvanisée dès ses premiers pas dans cet univers, elle est aussi franchement nourrie par ce qu’apporte Frank Feitler aux créateurs et créatrices du spectacle contemporain, amenant les conditions de travail à un niveau professionnel et une ouverture vers l’international. « Frank était un homme d’équipe, qui avait la capacité de vous porter et de vous faire confiance ». C’est aussi envers « ceux de l’ombre », comme elle, justement, qu’il a œuvré, « Le passage d’un théâtre d’accueil à un théâtre de coproductions internationales et de création a nécessité un investissement important dans la structuration de la maison », explique Anne Legill. Naturellement, au fil des années, les métiers de la scène et de l’administration se sont davantage définis et de nouveaux départements ont vu le jour, tels que le bureau de production, la communication et les relations publiques. « Durant cette période, une grande partie de l’équipe actuelle a rejoint le Grand Théâtre, puis les Théâtres de la Ville ».

Feitler a été un mentor pour beaucoup de ceux qui agissent en coulisse et permettent la création artistique au Théâtres de la Ville de Luxembourg. « Il était une présence généreuse et exigeante, foisonnante d’anecdotes, qui aimait partager sa fine connaissance et son sincère amour du théâtre et de ses acteurs et actrices. Il consultait les membres de son équipe, les mettait en avant et adorait confronter les idées et opinions diverses et susciter le débat. L’accueil des équipes artistiques et techniques invitées ou présentes sur place lui tenait tout autant à cœur que celui de nos spectateurs et spectatrices ».

En 2015, Tom Leick-Burns succède à Feitler en tant que directeur. Et logiquement certains changements surviennent. « Issu de l’équipe et formé au contact de Frank, Tom a abordé cet héritage avec beaucoup de respect, tout en y ajoutant sa touche personnelle. En construisant sur l’existant et en partant des longues fidélités établies avec les artistes internationaux au fil des années, il a souhaité offrir de nouvelles opportunités aux artistes d’ici et d’ailleurs ». Le TalentLAB et les Capucins Libre ont ainsi été créés respectivement en 2016 et 2018, pour valoriser l’émergence et la création qui a trouvé une place de prédilection dans la programmation avec « un investissement conséquent dans les tournées et la mise en œuvre d’un programme d’artistes associés nationaux et internationaux en 2022 », argumente la directrice adjointe.

Les Théâtres de la Ville de Luxembourg se transforment, tout en conservant les bases instruites par le maître. Les fonctions qu’occupe Anne Legill évoluent aussi : « Durant les dernières années de direction de Frank, mon travail avait déjà évolué. En plus de la communication et des relations publiques, j’avais pu acquérir à ses côtés une meilleure vision de la programmation et de la construction d’une saison ». Des années qu’elle définit comme « formatrices pour nous toutes et tous », et auront permis à l’entière équipe de grandir dans une compréhension mutuelle, « à Tom et à moi, elles ont permis de prendre rapidement nos marques en 2015 avec une incroyable équipe en soutien, qui s’est agrandie depuis ».

Dorénavant, Anne Legill occupe la place de directrice adjointe aux côtés de Tom Leick-Burns. Issus tous deux de l’équipe « originelle », ils ont, pendant les premières années, baigné dans leur domaines de compétences respectifs, tout en s’employant à construire un projet en lien avec les aspirations et besoins des artistes et publics, « tout cela s’est fait de façon organique, en prenant en compte les points forts de chacun – le côté artistique et anglophone de Tom et mon côté peut-être plus littéraire et francophone. Chacun de nous a bien ses domaines de prédilection, souvent directement en lien avec notre historique au sein de la maison et nos centres d’intérêts, mais nous essayons de conserver une vue d’ensemble et de partager les responsabilités », explique-t-elle.

Une grande complicité s’est nouée dans ce duo, « nous avons grandi ensemble dans cette maison, apprenant à connaître nos façons de travailler, à gérer les imprévus, à échanger sur nos visions, nos doutes et nos préoccupations et à nous soutenir mutuellement. Avec notre historique, nos personnalités et engagements respectifs ainsi que notre attachement à ces maisons, il nous a donc semblé naturel de cheminer ensemble et d’accompagner cette institution sur les prochaines décennies ».

Ainsi, au fil des années, cette position a amené Anne Legill à siéger dans de nombreux jury de prix et concours aux Luxembourg et aux frontières. Finalement, son travail ne s’arrête pas à ses fonctions au sein des théâtres. Cela tient aussi à un dévouement hors norme à « une cause » – ici celle des arts et de la culture. « Il me semble indispensable de conserver sa curiosité, son envie de découverte et de rester perméable au monde qui nous entoure, surtout avec une programmation en lien avec son temps et ouverte sur le monde. Les diverses participations à des jurys ont toujours été une aubaine pour moi et m’ont permis d’aller à la rencontre de nouvelles voix et d’échanger avec d’autres personnes, issues ou non du domaine de la culture. Je suis toujours fascinée par la richesse de ces propositions et admirative du courage et de l’engagement des artistes ».

Il y a quinze ans, Anne Legill exposait sa principale préoccupation comme étant la qualité de leur programmation et non la quantité de spectacle. Après la pandémie et à l’heure de nouveaux grands conflits sociaux et géopolitiques, accentués par la montée des extrêmes, les lignes prioritaires de la programmation sont « l’émergence, le soutien à la création et aux nouveaux récits, le dialogue et l’échange ».

Dans ce sens, après une pandémie, « coup dur pour le secteur », qui a coupé l’herbe sous le pied de plusieurs artistes émergents, et les conflits qui ont « profondément chamboulé nos sociétés », il fallait une réponse de la part des Théâtres de la Ville : « Un projet de recherche européen, destiné aux talents émergents et allant à la rencontre des publics qui n’ont plus retrouvé le chemin des salles de spectacle ainsi que des communautés sous- ou non-représentées sur nos plateaux, pour faire surgir de nouveaux récits européens ».

De là, est né le Future Laboratory en 2022 avec onze partenaires, comme complément au TalentLAB. Basé sur l’émergence, la recherche et l’inclusion, sa première édition prendra fin en novembre 2024. Dans son désir de rester un lieu de dialogue ouvert sur le monde, les Théâtres de la Villes ajoutent également à leur programmation de la saison prochaine, un cycle dédié à l’adolescence par lequel ils souhaitent partager un dialogue intergénérationnel, comme l’explique Anne Legill, « face à une société de plus en plus clivée, il est essentiel que les théâtres restent des lieux ouverts aux débats d’idées, aux paroles diverses et engagées et aux échanges, où la rencontre avec l’autre peut se faire et déplacer notre regard ».

C’est sous cette grande ouverture d’esprit, et soucieuse des « défis sociétaux, climatiques et politiques actuels et à venir », que depuis plus de vingt ans Anne Legill siège au cœur du spectacle vivant luxembourgeois. Deux décennies au cours desquelles les enjeux et problématiques du secteur ont évolué, notamment la professionnalisation des métiers du spectacle vivant qui a connu et connait encore un réel développement. « Le paysage culturel actuel est extrêmement prolifique et passionnant, curieux de nouvelles formes et à l’origine de nouvelles histoires, qui questionnent notre société et prennent à bras le corps les sujets d’actualité. C’est une évolution encourageante qui, je l’espère, continuera à se déployer dans les années à venir ».

Godefroy Gordet
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