Lettre à la rédaction

Quand l’audace fait perdre le nord

d'Lëtzebuerger Land vom 16.04.2021

Bernard Thomas a terminé son édito du 9 avril au Land en citant un passage du Manifeste de 1848 rédigé par Marx et Engels, selon lequel pour neuf dixièmes de la population, la propriété privée n’existait pas. Cette constatation était certes pertinente il y a 173 ans. Mais elle est très loin de la réalité d’aujourd’hui. En effet, selon les derniers chiffres, près de 70 pour cent des ménages résidants au Luxembourg sont propriétaires de leur logement, avec une légère croissance au cours de la dernière décennie.

Nous ne nous situons donc plus aux époques ayant conduit à l’année révolutionnaire de 1848. D’ailleurs ceci est également vrai à d’autres égards. Heureusement. Ainsi, le pouvoir arbitraire que pouvait exercer un suzerain de l’époque sur ces sujets et leurs avoirs a été remplacé – après d’âpres luttes révolutionnaires et bourgeoises – par un État de droit, les droits humains, politiques, économiques, sociaux et culturels, des constitutions, des lois, le tout dans un système de séparation des pouvoirs entre la législative, l’exécutive et le judiciaire.

Le droit de la propriété n’y échappe pas, le foncier non plus. L’expropriation totale ou partielle qui, à l’époque, se faisait d’un simple trait de monarque, reste toujours possible, mais « que pour cause d’utilité publique… et moyennant une juste et préalable indemnité » (article 16 de notre constitution actuelle). On peut évidemment être d’avis qu’au Luxembourg, l’obligation selon laquelle l’usage de la propriété doit contribuer en même temps au bien de la collectivité – idée si chère à la loi fondamentale allemande – n’est pas suffisamment présente, ni dans l’esprit des propriétaires, ni dans le débat politique.

Je partage cet avis. Notamment pour ce qui est de la propriété foncière, dont la rente économique se rapproche en effet de plus en plus d’un accaparement pratiqué à grande échelle par les terriens sur les salaires, des locataires notamment. Mais de là à revendiquer un plafonnement pur et simple des prix du foncier me semble être une erreur de jugement des plus graves. Non seulement qu’il faudrait se mettre d’accord sur « le plafond », mais on risquerait surtout de faire basculer la crise du logement en crise immobilière générale. Pour en imaginer les conséquences, il suffit de se rappeler les années 2007-2012 et la crise des subprimes aux États-Unis qui a failli faire éclater v zone euro. Finalement, le manque de logements abordables n’en serait pas soulagé d’une jota. Il faut donc éviter dans ce débat les fausses bonnes idées et creuser celles qui sont peut-être moins éblouissantes, mais d’autant plus efficaces.

Le gouvernement en a développé une dans le contexte du Pacte Logement 2.0 qui ne met pas en danger notre État de droit et qui a le grand avantage de soutenir la production de logements. En effet, par une modification de l’article 29bis de la loi sur l’aménagement communal, le gouvernement propose d’établir un mécanisme automatique qui permet de compenser la cession par un promoteur privé de dix, quinze, voire vingt pour cent de surfaces constructibles d’un PAP – en fonction de la taille et de la rentabilité de ce dernier – contre une augmentation de dix pour cent de droits de construction pour le plan d’aménagement particulier dans son ensemble. L’idée est assez banale : on augmente le droit de construire d’un lopin de terre, mais la quote-part du foncier y relative est cédée de façon automatique au pouvoir publique, donc à celui qui accord également le droit de construire. Cette cession ne coûte donc rien au promoteur, il gagne le cas échéant grâce à l’économie d’échelle faite sur la viabilisation. En contrepartie, ceci nous permet de créer au prix coûtant des briques, des logements abordables en main publique. Il s’agit donc d’une solution juste pour tout le monde et qui n’aura pas d’effet inflationnaire sur le foncier. Au contraire, les terres constructibles seront utilisées de façon plus efficiente, ce qui contribue autant à la qualité résidentielle qu’à l’obligation d’utiliser nos terres avec parcimonie.

Le plus important reste néanmoins que ce mécanisme automatique permettra à terme de créer un parc substantiel de logements en main publique. Des logements qui seront abordables, soit à la location, soit à la vente emphytéotique et qui le resteront pour les générations à venir.

Henri Kox (Déi Gréng) est ministre du Logement et de la Sécurité intérieure

Henri Kox
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