Cela commence par vingt minutes dans un noir et blanc très contrasté, une image carrée, hyper granuleuse, tournée en 16 mm. On est en 1838 dans un Luxembourg où des vagues de famine ont décimé une population qui vit sous des régimes autoritaires et étrangers successifs. Dans un village du nord, le patriarche Graff (Jules Werner) règne en maître sur sa famille et sur les villageois qui le considèrent comme un protecteur. Tout le monde lui est soumis, en particulier les femmes, et même les jeunes filles. Quand des voleurs se font attraper, Graff les laisse partir mais garde la jeune Marie, pour la donner à un de ces fils et assurer sa lignée. Hélène, une douzaine d’années à peine, devrait être vouée au même sort. Elle s’y refuse et fuit, aidée par Jon, un des fils de Graff. À la fin de cette séquence d’ouverture aussi belle que brutale, elle est laissée pour morte.
Läif a Séil (que l’on peut traduire par « Corps et âme » mais dont le titre français est Les dernières cendres) va élargir le cadre pour atteindre le cinémascope, prendre des couleurs (en restant dans une palette terne qui correspond au titre), sortir du village pour s’enfoncer dans la forêt. Le film prend alors les traits d’un western à la sauce luxembourgeoise. Mais le pays est ce qu’il est : Point de grandes étendues sauvages où les fétus de paille roulent au vent, pas de paysages taillés dans la pierre ocre des canyons, mais des chemins tortueux dans les bois denses, des rochers moussus et des terres lourdes et humides. Cette nuance géographique mise à part, le réalisateur Loïc Tanson, livre un revenge movie qui obéit aux codes du genre. On retrouve Hélène devenue adulte (Sophie Mousel). Elle a pris le nom de Oona et voyage à cheval. Comme dans bien des westerns, ce personnage étranger, venu de l’extérieur, va bouleverser le village où il arrive. Les étapes de la vengeance sont assez claires : peu à peu, tous les protagonistes des souffrances enfantines d’Hélène vont payer de manière plus ou moins sanglante.
Les cases du western sont cochées peu à peu. D’abord la lonesome cowgirl, puis une série de personnages âpres et brutaux. Le cadrage sur les regards en coin ou des gros plans sur les armes, sont bien amenés. D’autres codes sont apportés moins subtilement : une tête agonisante enfouie dans le sol par-ci, un cheval dans la boue par là, et une dispensable attaque de fort (les soldats sont à l’extérieur, là où sont généralement les Indiens). Loïc Tanson a bouffé du film depuis sa plus tendre jeunesse et ça se voit, ça se sent. Surtout en bien, avec des références à Sergio Leone (pour les plans de mise à mort), à Tarantino (pour le sang qui gicle abondement, l’humour en moins), en passant par le Coppola d’Apocalypse Now (pour certains face-à-face) ou le Scorsese de Gangs of New York (pour la cruauté des personnages). Parfois en moins bien, quand il faut prendre les forceps pour que les citations entre dans le scénario.
Le film aligne les superlatifs : le plus cher du cinéma grand-ducal (4,9 millions d’euros), le premier western luxembourgeois, le candidat aux Oscars, les 270 personnes (et chevaux) impliquées, le casting XXL (si tu es un acteur luxembourgeois qui n’est pas à l’affiche, tu as raté ta carrière). Cela pourrait irriter ou desservir. Au bout du compte, c’est du grand spectacle, avec des comédiens, et surtout des comédiennes (big up Jeanne Werner) au meilleur d’elles-mêmes, avec une caméra qui fait ce qu’elle doit (servir le propos, sans bravoure, avec justesse, bravo Nikos Welter) et une musique tout ce qu’il y a de plus contemporaine (composée par Thorunn et Mike Koster de When ’airy met Fairy) qui sied à l’ambiance dramatique du film. C’est dur, c’est violent, ça envoie des uppercuts et on en redemande.