Cineast

Stepne by me

d'Lëtzebuerger Land vom 20.10.2023

Clôturons cette sélection des films concourant à la compétition du festival CinEast avec Stepne (2023), de l’Ukrainienne Maryna Vroda, qui avait obtenu en 2011 la Palme d’or du court-métrage avec Cross-Country (2011). Comme récompense, ce n’est pas rien. On se souvient que Jane Campion avait obtenu ce prix pour son court-métrage An Exercise in Discipline. Peel (1982), avant de récidiver au Festival de Cannes avec la Plame pour son long (The Piano, 1993). Souhaitons le même destin à Maryna Vroda. En attendant, la jeune femme a reçu le prix de la mise en scène au Festival de Locarno pour Stepne, Initiatique, métaphorique, Stepne a tous les qualités et les défauts du film d’auteur contemporain : il s’inscrit dans une veine sociale et contemplative usée jusqu’à la corde et complètement hermétique au spectaculaire. Au risque de l’ennui, et de faire surtout très peu d’entrées en salle. On sent en tout cas la cinéaste proche de son sujet, ce qui transparaît dans la tendresse et l’amour qu’elle porte à ces « petites gens » recluses dans le village de Soumy, au Nord-Est de l’Ukraine. Elle s’attarde longuement sur leurs discussions, comme sur leurs visages aux traits burinés par l’âge et le froid. Tout y est figé dans la glace, saisi dans une éternité rhétorique. Même l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe n’y a pas cours, dirait-on… Maryna Vroda capte de nombreuses scènes collectives de la vie quotidienne : les échanges dans un bus, les prises de parole des aïeux à l’occasion d’un dîner lors d’une veillée funéraire ou encore au marché où s’empressent tôt le matin de vieilles femmes. Ce sont là autant de tribunes publiques que leur donne la cinéaste pour faire entendre leurs paroles. Une parole qui ressasse souvent le passé, à défaut d’une quelconque perspective d’avenir. Sur la forme, un style documentaire de type « caméra au poing » cohabite avec des prises de vue plus composées, propres à la fiction. Comme si la cinéaste hésitait entre deux approches ou souhaitait tout au moins les faire fusionner : l’étude sociologique d’une population villageoise d’une part, et la mise en récit issue de son inspiration et de ses souvenirs d’autre part.

Car sans doute y a-t-il de la cinéaste dans ce protagoniste masculin prénommé Anatoly (Oleksandr Maksiakov) qui revient sur les terres de son enfance après une longue absence. On ne sait rien de cet homme. Ce sont ses gestes qui parlent à sa place. Gestes d’attention et de soins prodigués à sa mère en premier lieu, qui fait écho à Nostalgia, non pas le film de Tarkovski mais celui, plus récent, de l’Italien Mario Martone avec Pierfrancesco Favino dans le rôle principal. Le reste du récit ressemble à une fable de La Fontaine, peut-être celle du Laboureur et ses enfants. La mère d’Analtoly, avant de mourir, évoque un mystérieux trésor… Anatoly contacte son frère pour le rapprocher de sa mère avant de mourir. Anatoly, c’est le contraire du fils prodigue : il n’a jamais rien possédé, si ce n’est la passion des humains. Il repartira en ayant recueilli dans son cœur la certitude d’avoir soigné tout le monde autour de lui. Une belle morale qui ne mange pas de pain.

Dans le cadre du festival CinEast, Stepne (114 mn, vostEN) est présenté vendredi 20 octobre à 21h à l’Utopia

Loïc Millot
© 2024 d’Lëtzebuerger Land