Présenté en première mondiale au Thessaloniki Film Festival à l’automne dernier, puis en avant-première lors du Luxembourg City Film Festival en mars, la coproduction grand-ducale I will cross tomorrow de l’Iranienne Sepideh Farsi rappelle que si la crise sanitaire a pris le dessus aux informations, la crise migratoire en Méditerranée, elle, demeure.
Des oiseaux migratoires volent haut dans le ciel tandis que sur terre des hommes écrasés par un soleil de plomb travaillent d’arrache-pied pour déraciner un vieil arbre. Un prégénérique abscons, tout en symboles, pour un film qui prendra ensuite un virage on ne peut plus réaliste.
L’histoire que nous raconte la réalisatrice iranienne installée en France, Sepideh Farsi (Rêves de sable, Le regard, La maison sous l’eau…) est double. D’un côté, il y a Maria, policière grecque, mère célibataire d’une ado de seize ans et fille unique d’une mère âgée qui commence à perdre la boule. De l’autre, Yussof, un jeune Syrien à qui une organisation, dont on ne saura pas grand-chose, demande d’assassiner un homme, au plus vite et sans trop poser de questions.
La première doit faire face à la crise économique qui a mis la Grèce à genoux. Le second à la guerre civile qui a mis la Syrie à feu et à sang. Deux décors, deux ambiances, deux continents mais une même problématique : comment survivre dans ce chaos ?
Maria doit quitter Athènes. Pas tant à cause du petit trafic de papiers auquel elle s’adonne parfois pour gagner quelques euros de plus – non, c’est juste que son poste a été purement et simplement supprimé. Le manque de budget amène une réduction d’effectifs ! Sa chance, pour ainsi dire, c’est qu’une place l’attend dans un camp de réfugiés sur l’île de Lesbos, tout à l’Est de l’archipel grec, à une dizaine de kilomètres seulement des côtes turques.
C’est dans ce même camp, sur cette petite île, que se retrouvera Yussof après avoir refusé de tuer, avoir rassemblé quelques billets et avoir pris la fuite. D’abord par la terre, jusqu’à la frontière turque – où un militaire, après lui avoir tiré dessus, le laissera passer en échange de quelques euros –, puis sur un petit bateau pneumatique que des passeurs sans trop de scrupules ont rempli à ras bord. Et comme Yussof n’avait pas assez d’argent pour payer sa traversée, c’est lui qui devra conduire l’embarcation… Ce qui ne sera pas sans conséquence une fois la troupe repêchée par les gardes-frontières helléniques.
Ces deux âmes en peine finiront ainsi par faire connaissance, tous deux entourés par ces mêmes kilomètres de fils barbelés qui enlaidissent ces décors marins par ailleurs magnifiques. Sans jamais esquisser un sourire, retrouver une certaine joie de vivre ou simplement prendre du plaisir, les deux vont se croiser, se recroiser, coucher ensemble, se perdre de vue, prendre la route ensemble pour se rendre à Athènes. Bref, il y a presque du Jules et Jim en eux : « On s’est connus, on s’est reconnus, On s’est perdus de vue, on s’est r’perdus d’vue… ».
Le tourbillon de la vie les a réunis, puis chacun pour soi est reparti. Point de happy end pour ces deux âmes en peine. Deux personnages aux lendemains toujours incertains, ni bons, ni mauvais, juste des gens qui doivent faire face, pour des raisons différentes, à des situations difficiles, voire impossibles à régler.
Clairement humaniste, cette coproduction de
Tarantula Luxembourg, rend aux migrants mais aussi aux garde-côtes européens une humanité que les reportages télévisés et les politiques migratoires leur avaient enlevé dans l’inconscient collectif. Il n’est pas ici question de chiffres, de vagues, de généralités mais au contraire d’êtres humains avec leurs défauts, leurs bons côtés, leurs craintes, leurs passions...
Rien que pour ce rappel, le film mérite d’exister et d’être vu. Et c’est bien heureux, car pour le reste, cet I will cross tomorrow risque de laisser pas mal de spectateurs circonspects. Les réactions de Maria sont souvent incompréhensibles, le contexte du récit reste totalement inexpliqué et dans ce mélange linguistique imposé par ces personnages syriens, grecs, mais aussi allemands ou africains dans le camp, la réalisatrice semble se perdre par moments. Et puis et surtout, à force de rester avec des personnages volontairement inexpressifs et aux sentiments constamment intériorisés, le récit a finalement bien du mal à transmettre des émotions.