Dans le grand public, son visage presque juvénile passe pour étranger. Dans le monde des affaires local, en une poignée d’années, François Mousel est devenu incontournable. À tout juste 42 ans, le Luxembourgeois accèdera en juillet à la tête du plus important cabinet des Big Four, PWC, et portera officiellement une voix qui compte déjà. Elle comptera, bien sûr, parce que la firme où il a commencé sa carrière en 2005 emploie quelque 3 000 collaborateurs, parce qu’elle sponsorise bon nombre d’événements publics à portée économique et, surtout, parce qu’elle trône au carrefour des problématiques rencontrées par le centre financier luxembourgeois. Au-delà de l’audit (imposé aux entreprises), les EY, Deloitte, KPMG et PWC partagent, autour des enjeux de fiscalité et de réglementation, les mêmes préoccupations que les garants des politiques économiques. « Il ne faut pas oublier qu’un quart de la manne des impôts sur le revenu viennent des holdings. Sans cette manne, le confort social serait bien moindre dans le pays », exposait François Mousel en octobre 2019 dans le Journal pour l’une de ses premières apparitions médiatiques. La revue de presse du gouvernement relève seize (petites) occurrences.
Les quatre membres du Big Four figurent parmi les quinze principaux employeurs privés avec 8 500 salariés. Ces quinze dernières années, les filiales luxembourgeoises de ces géants internationaux n’ont installé à leur tête que peu de nationaux. Alain Kinsch chez EY et Georges Bock chez KPMG. François Mousel leur succèdera. Le partner « Clients and Market Leader » a été élu par les associés du cabinet le 9 décembre. À l’issue du vote des associés, il a coiffé ses concurrents alors qu’il est le membre du comité de direction ayant le moins d’ancienneté.
Face au Land, un ancien dirigeant de Big Four partage que la nationalité a sans doute peu compté au moment du vote (on comprend que la préoccupation première est le chiffre d’affaires promis). Mais l’enracinement de François Mousel dans le tissu économique et entrepreneurial local explique en tout cas l’oreille attentive dont il dispose auprès de membres du gouvernement comme Xavier Bettel. Un indice : le ministre des Médias à nommé l’auditeur comme représentant de la société civile au conseil d’administration de la radio socioculturelle. « En tant que Luxembourgeois, il y a peut être une façon plus naturelle d’engager avec les décideurs politiques, notamment du fait de la proximité de la langue », réagit le futur managing partner lundi, dans les locaux du siège de PWC à Gasperich (où il souligne s’exprimer en son nom propre). Mais il assure que ces échanges, par exemple en matière de compétitivité, s’opèrent sur base de l’expérience client, notamment celui de l’étranger. « Ce ne sont pas des liens d’amitiés personnelles », affirme-t-il. François Mousel n’a de carte dans aucun parti politique. D’une manière générale, il juge positif « d’avoir des relations de confiance et cordiales entre le secteur privé et le gouvernement ». « Tout le monde doit s’écouter et essayer de comprendre le point de vue de l’autre », ajoute-t-il. François Mousel souligne ainsi avoir proposé à la présidente de l’OGBL, Nora Back, d’aller déjeuner après un événement auquel ils participaient tous deux. Le projet ne s’est pas (encore) concrétisé. Le pragmatisme prévaudrait sur l’idéologie. « Il est très sain de mener des discussions sur la redistribution. Mais toutes les parties prenantes, y inclus les syndicats et les partis qui sont plus d’un bord socialiste, devraient d’abord se baser sur des faits et ne pas faire circuler des sentiments », prévient François Mousel. Il se dit avant tout « très anti-populiste. »
Avec cette nomination à une haute fonction du secteur privé, le patronyme Mousel sonne dorénavant comme dynastique. La réussite professionnelle rappelle celle du paternel, Paul, cofondateur d’Arendt & Medernach, le plus important et le plus luxembourgeois des cabinets juridiques locaux (avec EHP). Paul Mousel est notamment connu pour ses prises de position en faveur du libéralisme britannique. « Les Anglais ont signé pour le marché unique libérateur, pas pour le contraignant RGPD (règlement général sur la protection des données) », disait-il en somme au moment du Brexit (d’Land, 18.12.2020). François Mousel rejoint la posture du père, au moins sur un point. « Il m’a notamment appris live and let live », dit-il. Il faut vivre et laisser vivre… « aussi prévoir un filet de sécurité pour ceux qui en ont besoin », ajoute-t-il. « Dans un petit pays comme ici, ne parler que de redistribution et penser que le reste est acquis, c’est très dangereux. On ne doit pas oublier que la prospérité du pays est liée au fait qu’on a construit une position dans certains secteurs d’affaires. Il ne faut pas être naïf. En tant que petit pays, la médaille peut très vite se retourner. Je suis étonné quand des gens oublient ces dimensions. Je me fais du souci par rapport aux postures de certains politiciens qui négligent complètement le fait que notre pays à besoin d’une vision de croissance. Il y va du futur de nos enfants. Ils ont besoin d’une vision d’avenir. »
Georges Krombach, héritier (sixième génération) de la manufacture de tabac Heintz Van Landewyck qualifie François Mousel de « passionné d’entreprises familiales » lorsqu’il fonde en 2018 le chapitre luxembourgeois du réseau mondial Family Business Network (lu dans la revue de la chambre de commerce Merkur). François Mousel a aidé, via PWC et au côté de la Banque de Luxembourg (qui travaille sur ce créneau), à lancer le réseau au Grand-Duché. Pour adhérer, ces entreprises familiales doivent réaliser un chiffre d’affaires annuel de dix millions d’euros et employer au moins cinquante personnes. L’association compte une soixantaine d’entreprises membres.
Un exemple des liens entre grandes familles :François Mousel investit, à titre privé via la société HMH, aux côtés d’autres grands noms de la notabilité locale, notamment les fils de Guy Harles, un autre cofondateur du cabinet Arendt. La sœur de François Mousel, Emmanuelle, est associée chez Arendt. Leur mère a été juge puis directrice de la justice de paix. Mais le futur managing partner de PWC (firme qui a, voilà quelques années, créé PWC Law après avoir obtenu, avec les autres Big Four, un passe-droit du barreau) n’a pas suivi la filière juridique à cause d’un intérêt prononcé pour la science, notamment la physique. Il a d’ailleurs rejoint Solvay après le Kolléisch car l’école de commerce bruxelloise proposait une première partie de cursus scientifique. À son retour, François Mousel a gardé le même cercle d’amis de l’Athénée (où il a aussi rencontré son épouse). Il a intégré la Fédération des jeunes dirigeants et y a été le trésorier de Carole Muller, présidente. La patronne des boulangeries Fischer est depuis devenue présidente de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC). François Mousel le dit aussi en interne : « Le réseau personnel est un actif très important ».
Dans le communiqué envoyé par la firme le 10 décembre, au lendemain de l’élection, le futur patron de la firme considère PWC comme sa « maison professionnelle » depuis son premier jour de travail en septembre 2005. Or, François Mousel a passé trois années à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), de 2010 à 2013, pour mettre en place la supervision de l’audit. Face au Land, il dit retenir deux éléments principaux : Avoir vu le régulateur de l’intérieur, où il a eu « la chance » de côtoyer des « dirigeants fonctionnaires » comme Jean Guill ou Simone Delcourt : « Des personnes qui travaillaient à ériger une place financière de qualité, mais aussi des gens qui ont cette vue hélicoptère et qui voulaient développer le pays. Le genre de profil dont on a besoin dans notre fonction publique. » L’ancien directeur général de la CSSF, Jean Guill, se souvient d’un « excellent jeune collaborateur ». « J’ai aussi pu voir comment cela se passait dans les autres Big Four et les autres cabinets de révision que j’ai côtoyés dans mes fonctions à la CSSF. » L’aller-retour privé-public a fait grincer des dents. François Mousel a par la suite rassuré ses pairs : ce qu’il a vu route d’Arlon reste dans un coin de sa tête, assure-t-il. « Maintenant les relations avec les autres Big Four sont très très bonnes. »
Un ancien cadre du Big Four souligne l’attachement « sincère » de François Mousel à son pays. (L’intéressé aurait mal vécu la moralisation de la pratique du ruling après les révélations Luxleaks fin 2014. Pour lui, les Luxembourgeois n’auraient pas dû avoir honte de leur place financière, car il était ici question de montages d’optimisation légaux.) Un autre le dit « vraiment très technique », le sait doté « d’une sensibilité réglementaire » et le décrit comme « très entrepreneur ». Ce qui expliquerait son retour dans le privé. Les éloges pleuvent. François Mousel souhaite conduire PWC « vers la prochaine ère de son développement ». Face à Paperjam, il dit viser le « milliard » d’euros de chiffre d’affaires. La firme vient de passer le cap des 500 millions. Au Land, il révèle quelques détails du manifeste de vingt pages qu’il a présenté pour se faire élire. « On reste sur une stratégie de croissance. Quelque chose de fondamental. » Il rappelle le contexte : « Quand l’économie croît, un cabinet comme le nôtre croît aussi ». « Pour autant que le Luxembourg en tant que pays ne s’effondre pas complètement », glisse-t-il dans un entretien à Paperjam.
Pour convaincre les associés, il faut surperformer. « On veut être le partnership le plus impactant et le plus dynamique au Luxembourg et dans notre réseau », affirme François Mousel. Outre son ambition d’assurer la relation de confiance avec la clientèle, le futur managing partner entend développer l’activité autour des cœurs de métiers actuels, notamment l’investissement dans l’alternatif (immobilier, infrastructure et non-côté). Il mise notamment sur la tendance de fond du vieillissement démographique. Selon l’intéressé, l’ensemble de l’épargne investie augmentera encore ces quinze-vingt prochaines années. « C’est un secteur qui va continuer à se développer. Si on s’y prend pas trop mal, une partie de ce marché devrait revenir au Luxembourg… et tout l’écosystème qui travaille autour en bénéficiera aussi », avance-t-il. PWC développe depuis peu l’administration et la comptabilité des fonds. Sur le marché général de l’audit, de la fiscalité et du conseil, et pour reprendre de l’avance sur ses trois concurrents, PWC tente de grignoter des parts au-dessus et en-dessous. Par exemple, en assistant la mise en place d’un nouveau système informatique dans une banque. On pourrait croire que le conseil au secteur public serait visé prioritairement avec un national à la tête de la firme. Il ne représenterait qu’une portion toute marginale du chiffre d’affaires et ne constituerait pas un potentiel significatif. « La typologie de l’activité au Luxembourg est davantage liée à l’audit, au conseil fiscal, aux managed services et à un consulting qui est focalisé autour du conseil réglementaire et de la transformation technologique. Ce sont là nos sweet spots », explique François Mousel. Ici se trouverait un « énorme potentiel ».
Mais comment y arriver avec un problème de recrutement de personnel qualifié et face au phénomène de la « grande démission » ? Se posent également les difficultés de logement. Elles constituent aujourd’hui une réelle barrière à l’entrée sur le marché du travail luxembourgeois. « On ne s’attend plus à ce que le problème de l’immobilier soit résolu pour définir la stratégie de notre entreprise. On part du principe qu’il ne sera pas résolu », pose François Mousel. Il caresse des idées de développement pour le moins novatrices. Il envisage notamment d’ouvrir des filiales de PWC Luxembourg à l’étranger : « Une production et des équipes à l’extérieur du Luxembourg : pas pour des raisons de coût, mais pour sécuriser les prestations à nos clients ». PWC a déjà des antennes aux frontières, à l’intérieur du Luxembourg, en fonction de l’origine des collaborateurs frontaliers. Le cabinet a également recours à des partenaires du réseau à l’étranger. « On veut aller plus loin. On veut avoir des équipes en dehors du Luxembourg dont nous maitrisons la qualité et la composition. » François Mousel évoque des hypothèses de l’autre côté de la frontière à Thionville, dans le Sud de la France ou à Valence, en Espagne, « pour attirer les diplômés de l’université », à des endroits où « il y a plus de main d’œuvre ».
À travers le prisme de l’analyse marxiste du politologue Nicos Poulantzas, François Mousel fait la synthèse entre le comprador au service du capital étranger et la bourgeoisie nationale . « La théorie marxiste de l’impérialisme reconnaît classiquement deux types de bourgeoisie : la bourgeoisie nationale avec des intérêts et une culture propres, et dont l’existence est liée à un État-nation ; et la bourgeoisie compradore liée au capital étranger et tirant sa position dominante du commerce avec les capitaux internationaux », écrit le chercheur en philosophie Benjamin Torterat.