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édito
The New Normal
Bernard Thomas
« Il ne faut pas s’attendre à un rapide retour à la normale », prévenait récemment le directeur du Statec, Tom Haas, à propos de la croissance économique luxembourgeoise (d’Land, 4.7.25). Il oubliait de préciser que « la normale » avait été tout sauf normale. Un quadragénaire né au Luxembourg a vu la population du pays doubler. Il a aussi vu la destination de voyage passer de Blankenberge à Dubaï. La rente de la place financière permet un train de vie impérial aux managers, propriétaires immobiliers et fonctionnaires. Parmi ces derniers, près de quarante pour cent gagnent plus de 10 000 euros (brut) par mois, selon les calculs de rtl.lu. Une proportion qui chute à dix pour cent dans le privé.
Le retour de l’Histoire avec une grande hache (ou « chocs exogènes », pour parler poliment) devrait inspirer une certaine humilité. En parallèle, le modèle luxembourgeois bute sur ses propres limites. Hors service public, la croissance de l’emploi est tombée à 0,3 pour cent. La directrice de l’Adem déclare qu’il faudrait « s’y habituer », alors que les Belges et Allemands commencent à tourner le dos au Grand-Duché. (Petit rappel : entre 1986 et 2010, l’emploi frontalier enregistrait neuf pour cent de croissance annuelle en moyenne.) Dans la construction, plus de cinq pour cent de la masse salariale ont été détruits par la crise immobilière. L’intelligence artificielle risque de rendre obsolètes les développeurs que, hier encore, les employeurs s’arrachaient. La « normalisation » du Grand-Duché soulève une série de questions, dont aucune n’est particulièrement plaisante. Les partenaires sociaux auraient pu en discuter dans le cadre ordonné d’une Tripartite. Si le Premier ministre, empêtré dans des crises faites maison, avait daigné en organiser une.
Quand le marché de l’emploi éternue, les systèmes sociaux choppent la grippe. Sans parler du budget. Dans la première moitié 2025, la retenue d’impôt sur les traitements et salaires a quasiment stagné (1,5 million d’euros de hausse). Cité dans le communiqué officiel du ministère des Finances, Gilles Roth joue le capitaine de croisière : « Nous maintenons le cap. Nos finances restent solides malgré les incertitudes. Notre pays se porte bien. » Les banques, cigarettes et Soparfis ont sauvé la mise. Une fois de plus. La contrebande de tabac est la niche la plus ancienne, la moins sophistiquée, et probablement la plus nocive. Les recettes qu’en retire l’État ont explosé de 23 pour cent ces six derniers mois. Or, la Commission européenne vient de pondre une proposition de directive qui aurait pour conséquence « d’augmenter significativement les prix du tabac au Luxembourg, et ainsi de réduire l’ampleur des flux transfrontaliers entre le Duché [sic] et la France », se réjouissait, vendredi dernier, le Centre national contre le tabagisme français.
Une fois n’est pas coutume, les députés Franz Fayot (LSAP) et Laurent Mosar (CSV) étaient presque d’accord, ce lundi, au sortir de la commission des Finances. Le premier a remarqué que tout miser sur la place financière était « un pari risqué sur l’avenir » ; le second que les « bénéfices très substantiels » des banques étaient dus à la hausse des taux d’intérêt, une situation qui n’allait pas perdurer. La marge budgétaire se rétrécira. Grâce à l’individuation des impôts, Gilles Roth s’apprête à faire un cadeau de 800 à 900 millions d’euros (par an, tous les ans) aux contribuables, en vue du scrutin de 2028. Côté dépenses, le Grand-Duché s’est engagé à consacrer (d’ici 2035) jusqu’à trois milliards d’euros aux dépenses militaires. (Sans parler de la crise climatique, que le Premier ministre voit « e bëssi manner verkrampft », au moins jusqu’à la prochaine crue du siècle ou jusqu’aux premiers feux de forêt.)
Michel Reckinger voit s’opérer « un effondrement économique silencieux » (Wort, 14.6.25). Et de prédire : « Le Luxembourg ne sortira pas miraculeusement de cette impasse ». Le président de l’UEL prescrit les vieux remèdes, ceux que colportait déjà Luc Frieden, « vice-president » de Deutsche Bank, dans son manifeste néolibéral (Europa 5.0) de 2016. Reckinger préfère, lui, pudiquement évoquer de « vraies réformes structurelles » visant « le socle social des entreprises avec le droit du travail et les régimes de protection sociale ». Il y a pourtant des alternatives. Le Luxembourg devra tôt ou tard passer d’une logique de la distribution à une logique de la redistribution. La politique se verrait dès lors confronté au grand tabou de l’imposition du patrimoine foncier et des héritages. Ce n’est pas simplement une question de recettes budgétaires. Face à la déferlante populiste et oligarchique, il s’agit d’un impératif de cohésion sociale et de stabilité démocratique. .
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