Qui investit et comment dans un contexte inflationniste et face à des défis majeurs tels que le réchauffement climatique et la redéfinition des alliances géopolitiques

Face à un nouvel environnement

Selon Natixis IM, Les Millennials épargnent en moyenne 17  pour cent de  leur revenu  et explorent notamment le marché de l’art
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 25.11.2022

Les épargnants, surtout s’ils s’intéressent aux marchés financiers, savent que si les « coups de tabac » peuvent y être violents, ils ne sont heureusement pas si fréquents. Pourtant en moins de deux ans, entre mars 2020 et février 2022, ils ont été soumis à deux chocs externes de nature et d’ampleur inhabituelles : Une pandémie inédite depuis plus d’un siècle et une guerre en Europe qui a exacerbé les tensions inflationnistes latentes en portant la hausse des prix à un niveau inconnu depuis quarante ans. Quelles peuvent être les réactions des investisseurs à des événements d’une telle brutalité ? Avec quelles conséquences pour les professionnels du secteur financier ?

Une étude réalisée en octobre 2020 pour le secteur du tourisme établit une typologie des changements de comportements des consommateurs à la suite d’une perturbation majeure de l’environnement. Le « feu de paille » est un changement soudain de comportement, peu susceptible de durer. L’ « adaptation » est une modification radicale qui peut durer car elle s’inscrit dans un nouveau contexte. Les « nouvelles habitudes » correspondent à l’accélération d’un comportement existant qui va s’enraciner et devenir la norme. La situation survenue pendant le premier confinement illustre parfaitement le feu de paille.

La chute des marchés à partir de fin février 2020 a provoqué un afflux de nouveaux investisseurs et augmenté l’activité des investisseurs existants. Mais la fièvre est retombée pendant l’été. En France, une étude de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) révélait que 170 000 investisseurs avaient fait leur entrée sur le marché au premier trimestre 2020 : soit des personnes n’ayant jamais investi, soit des « inactifs » n’ayant pas investi depuis deux ans. C’était une multiplication par 3,6 par rapport à la moyenne trimestrielle de 47 000 en 2018 et 2019. Les nouveaux arrivants étaient encore 139 000 au deuxième trimestre, mais dès le troisième on retrouvait un niveau inférieur à l’étiage 2018-2019 avec 43 000 entrants.

En revanche la suite montre que, pour les investisseurs déjà actifs, on est plutôt dans une stratégie d’adaptation. Selon la même étude de l’AMF, sur les années 2018 et 2019 le nombre d’actifs en bourse était en moyenne de 498 000 personnes par trimestre. Au premier trimestre 2020, il est passé à 811 000, soit une hausse de 63 pour cent. Mais la diminution a ensuite été modérée : ils étaient encore 604 000 au troisième trimestre. Une reprise a été observée dès la fin de l’année 2020 avec une augmentation régulière des particuliers actifs, dont le nombre a culminé à 934 000 au deuxième trimestre 2021, un niveau qui était encore de mise au deuxième trimestre 2022. Sur sept trimestres depuis fin 2020 la moyenne a été de 815 400, davantage que le « pic du confinement » et 64 pour cent de plus qu’avant la crise.

Tout s’est donc passé comme si les comportements nouveaux adoptés au moment du « choc de 2020 » (une plus grande activité boursière) avaient fini par s’installer. C’est bien la caractéristique de l’adaptation. Cela étant, le troisième trimestre 2022 a marqué une nouvelle rupture, avec, face à l’inflation, à la hausse des taux et à la morosité des marchés, un net reflux du nombre de particuliers actifs : moins d’un tiers par rapport au trimestre précédent et un retour au niveau de l’été 2020. Le nombre de « nouveaux acheteurs » a baissé de quarante pour cent, à des niveaux inférieurs à ceux de 2018-2019. La question centrale à la fin 2022 consiste à savoir comment les ménages, dont la grande majorité n’ont aucune expérience personnelle de la vie dans un contexte fortement inflationniste (c’est le cas de 76 pour cent des Luxembourgeois adultes), pourront infléchir leurs comportements d’épargne, d’investissement et d’emprunt.

Les « nouvelles habitudes » qui pourraient se dessiner dans le secteur financier peuvent être recherchées du côté de ceux qui formeront le gros des troupes des épargnants et investisseurs de demain. Au printemps 2022, Natixis IM a publié les résultats de son Global Survey of Individual Investors, une étude menée sur un échantillon international de 2 500 investisseurs individuels âgés de 25 à 40 ans et disposant d’une capacité d’investissement supérieure ou égale à 100 000 dollars. Tout à fait le profil de ceux qui vont jouer un rôle-clé sur les marchés financiers dans les années à venir. Intitulé « Cinq vérités financières sur les Millenials à 40 ans », le rapport dresse de cette génération un tableau plus conservateur que prévu en matière de comportements financiers. Les sondés jouissent de ressources élevées provenant aux deux tiers de leur activité professionnelle (entrepreneuriat ou activité libérale à 31 pour cent), mais aussi des revenus générés par les investissements. Un sur six bénéficie d’un héritage ou d’une fortune familiale. Ils épargnent en moyenne 17 pour cent de leur revenu. Six sur dix ont un conseiller financier, soit davantage que les représentants de la Génération X (nés entre 1965 et 1980) et de la précédente (les Baby-boomers, nés entre 1945 et 1965) avec des taux de respectivement 56 et 48 et pour cent. Le contact humain reste prédominant pour les décisions financières. Quarante pour cent des sondés reçoivent des conseils personnels de leur professionnel (46 pour cent des plus aisés). Dans 19 pour cent des cas (trente pour cent chez les plus riches), les propositions sont associées à des conseils automatisés comme ceux d’un robo-advisor. Seuls sept pour cent s’en remettent uniquement aux algorithmes.

Pour la prise de décisions importantes, 88 pour cent font confiance à leur professionnel de la finance, un peu moins (81 pour cent) à leur famille et seulement 68 pour cent à leurs amis. Moins d’un quart font confiance aux réseaux sociaux, et dans l’ensemble les Millennials se reposent davantage sur des personnes que sur des solutions numériques : moins de la moitié (48 pour cent) font confiance aux algorithmes de conseils, « surprenant pour une telle génération numérique », estime le rapport. Les trois principaux motifs qui président à l’importance du contact avec le conseiller sont quasiment à égalité la gestion de la volatilité (40 pour cent du panel), l’alignement entre investissements et valeurs personnelles (40 pour cent) et les questions d’ordre fiscal (37 pour cent).

La sécurité prime. Même si deux tiers des personnes interrogées se disent ouvertes à la prise de risque, 72 pour cent préfèrent désormais la sécurité des investissements à leur performance. La crise sanitaire et la situation économique et financière depuis fin 2021 sont passées par là, faisant de la gestion du risque une priorité pour 48 pour cent des sondés lors d’un choix d’investissement, alors qu’à peine un quart évoquent par exemple la capacité d’un fonds à surperformer les indices de référence.

Les Millennials ne s’intéressent pas uniquement aux aspects financiers, mais accordent une grande importance aux valeurs : pour 78 pour cent d’entre eux, l’investissement est un moyen d’avoir un impact positif sur le monde. 63 pour cent pensent même qu’il est de leur devoir d’agir à la résolution des enjeux sociétaux par ce biais, tout en estimant que cette responsabilité doit être également portée par les entreprises (pour 80 pour cent des sondés) et les États (pour 75 pour cent). La mise en cohérence de leurs choix d’investissement avec leurs valeurs est le deuxième critère d’investissement après le risque. Cela dit 41 pour cent estiment avoir besoin de plus d’informations avant de s’engager dans une démarche ESG. Et parmi ceux qui l’ont déjà choisie (quarante à cinquante pour cent des sondés dans plusieurs des pays étudiés) un peu plus de la moitié déclarent rester attentifs au rendement des placements.

La retraite est un sujet majeur d’inquiétude et même de stress (la moitié disent préférer ne pas y trop y penser). Les Millennials du monde entier s’attendent à prendre leur retraite à l’âge de soixante ans environ mais deux sur trois disent accepter de continuer à travailler plus longtemps que prévu, tandis que 55 pour cent s’inquiètent de savoir s’ils pourront rester en activité autant qu’ils le souhaitent. Les trois-quarts estiment que le financement de la retraite reposera de plus en plus sur leur effort d’épargne personnel et ils disposent d’avoirs importants avec une épargne-retraite médiane de 150 000 dollars. Mais près de la moitié se demande si la somme sera suffisante, le moment venu. Six sondés sur dix craignent que la volatilité des marchés nuise à la bonne réalisation de leurs objectifs et sept sur dix redoutent les effets de l’inflation.

Cette population a plutôt mal vécu la crise sanitaire qui a provoqué un sentiment de stress quant à leur sécurité financière chez 58 pour cent. Plus d’un quart (28 pour cent) ont fait état d’une perte de revenus pendant la pandémie et 22 pour cent ont vu leur situation financière fortement ébranlée. S’ils sont 68 pour cent à s’estimer « résilients » d’un point de vue financier ils affirment rétrospectivement que la pandémie a permis de rappeler des leçons financières fondamentales : le contrôle des dépenses (46 pour cent de citations), l’importance de disposer d’une épargne de précaution (38 pour cent) et le fait de ne pas prendre de décisions d’investissement sous le coup de l’émotion (32 pour cent). 29 pour cent disent avoir réalisé l’importance de la planification financière et de la notion d’équilibre d’un portefeuille ou d’un patrimoine.

« La génération Y a bénéficié d’un long marché haussier avec des taux d’intérêt bas et une faible inflation pendant la majeure partie de leur vie d’adulte. Ils ont conscience de la notion de perte et veulent protéger leurs intérêts, a fortiori quand les risques augmentent et que la gestion de leurs finances devient plus complexe, explique Dave Goodsell, Directeur exécutif du Centre for Investor Insight de Natixis. En prenant de l’âge, cette population est confrontée aux mêmes défis que les générations précédentes, estime le rapport, mais elle va devoir appliquer sa propre vision et ses préférences dans un contexte radicalement différent.

Bouleversement générationnel dans la gestion privée

Si l’on en croit l’étude sur les riches américains publiée le 11 octobre par la Bank of America (réalisée sur un échantillon de personnes détenant plus de trois millions de dollars en actifs investissables) de gros changements sont à attendre dans la gestion de fortune car les jeunes générations sont engagées dans des stratégies d’investissement totalement nouvelles. 73 pour cent des investisseurs âgés de 21 à 42 ans, contre 32 pour cent des plus âgés, ne pensent pas qu’il soit possible d’obtenir des rendements supérieurs à la moyenne uniquement avec des titres « classiques » (actions et obligations). Huit sur dix se tournent vers des investissements alternatifs, tels que le capital-investissement, les matières premières, l’immobilier et d’autres biens réels. Ils allouent en moyenne seize pour cent de leurs portefeuilles aux stratégies alternatives, une proportion qui n’est que de cinq pour cent chez les plus âgés. Ils sont également très portés sur les crypto-actifs, près de la moitié (47 pour cent) en détiennent. L’investissement durable devient la norme. La détention d’investissements conformes aux critères ESG est passée de 37 à 73 pour cent chez les 21-42 ans entre 2018 et 2022, contre de 11 à 21 pour cent chez les 43 ans et plus. Les plus jeunes sont 75 pour cent à avoir la conviction qu’ils offrent de meilleurs rendements contre la moitié des détenteurs plus âgés. L’étude a montré par ailleurs que les jeunes investisseurs aisés veulent, à 75 pour cent, avoir leur propre « empreinte philanthropique » avec des choix de causes et de véhicules différents de ceux de leur famille. Ils sont aussi très actifs sur les marchés des objets de collection, et notamment celui des œuvres d’art.

Georges Canto
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