N’oubliez pas le guide

d'Lëtzebuerger Land vom 02.08.2024

Les vacances ne sont pas seulement l’occasion de redécouvrir ses proches en mode H-24, c’est aussi le moment de belles découvertes pour ceux qui optent pour de nouvelles destinations. Parmi celles-ci, il n’y a pas que les paysages, le climat, les langues, les coutumes, l’architecture, la gastronomie ou la façon de conduire qui nous réservent des surprises, mais également ce qui, en principe, est prévu pour nous y préparer : le guide de voyage. Il n’est pas question ici de la personne, munie d’un parapluie surmonté d’un ours en peluche ou d’un fanion, que les groupes organisés suivent tel leur berger, mais de l’opuscule que vous êtes allés chercher sur Internet ou chez votre libraire, et dont les
450 pages finiront de faire exploser le poids de vos bagages.

En effet, si la plupart des adeptes de ce genre d’ouvrage a sa collection de prédilection (Michelin, Lonely Planet, Marco Polo ou Routard) c’est souvent une relation de type « amour-haine » qui se construit avec cet innocent compagnon. Au début, vous lui faites une confiance aveugle pour planifier votre voyage, dénicher des hébergements et vous éviter les fameux « pièges à touristes ». Il est en effet assez répandu de croire que porter bermuda et lunettes de soleil vous transforme en un gibier particulièrement prisé des autochtones qui en voudraient à votre portefeuille. Pourtant, vu le prix du verre de vin au Luxembourg, il y a peu d’endroits sur la planète où nous courons des dangers plus graves que sur une terrasse au Grand-duché.

Ainsi, malgré le ton blagueur, désabusé ou moralisateur de certaines éditions qui vous feront soit culpabiliser de ne pas avoir suffisamment pris le temps de parler aux autochtones, ou d’avoir aggravé le réchauffement climatique en prenant un avion puis une voiture de location alors que vous auriez pu organiser des déplacements en train et bus (avec juste le double de jours de congés), soit regretter de n’avoir pas suivi le conseil en page 234 ou d’être passé à côté du « coup de cœur », nous sommes encore nombreux à ne pas concevoir la découverte d’un nouveau pays sans nous munir d’un guide. Et merci de ne pas nous demander à quoi servent les conseils d’hébergement alors que nous avons déjà tout réservé il y a six mois via booking.com : Il est question de principe. Il reste encore des personnes pour croire qu’un ouvrage imprimé est un moyen efficace pour se prémunir des désagréments de l’inconnu, tout en ouvrant l’esprit sur les charmes de la nouveauté.

Comme pour beaucoup d’entre nous, finalement, la survie économique des éditeurs de guides de voyage est mise en danger par les nouvelles technologies. Pourquoi dépenser 25 euros pour transporter un bouquin qui sera dépassé dans un an alors que nous pourrions consulter TripAdvisor et Wikipedia sur notre smartphone ? Outre le fait qu’elle a été rédigée par des spécialistes, et non par d’obscurs « influenceurs voyages », la version imprimée présente l’avantage de comporter un nombre déterminé de pages. Vous pouvez ainsi mesurer le pourcentage d’avancement de vos découvertes. C’est plus utile si vous avez prévu quelques excursions et musées que si votre programme consiste à buller au bord de la piscine homologuée Luxair Club. Mais même dans ce second cas, il est probable que la destination choisie recèle de trésors, à portée d’excursions, auxquels un petit guide de voyage pourrait vous donner l’idée de participer. Feuilleter un guide, c’est un bon moyen de se donner des idées.

Cependant, il est normal d’être saisi de doutes quand vous réalisez que pour accéder à une cascade secrète, qui était finalement assez banale, vous avez failli tuer toute votre famille et dire adieu à votre caution de location de voiture. Ou lorsque vous tournez en rond pendant vingt minutes à la recherche d’un restaurant qui a finalement changé de nom depuis la parution du guide, et qu’entretemps les terrasses devant lesquelles vous êtes passé se sont remplies, et qu’il ne vous reste plus qu’à choisir au hasard, en vous fiant à de repoussantes photographies de plats qui datent d’une époque « pré-Instagram ». Pour éviter ce genre de déconvenue, il aurait suffi d’un petit tour sur Google Map, ou d’une simple ouverture d’esprit quant à la possibilité de ne pas laisser étouffer son instinct (ou les envies de vos compagnons de voyage) par les prescriptions des spécialistes.

Ce genre d’ouvrage est la source de menues satisfactions, qui font également le sel des vacances. En particulier, se dire qu’on a bien profité de nos congés en voyant l’état désastreux de la reliure, ou pouvoir compléter l’album photo avec des indications plus précises que la seule date et le nom de vos enfants, et surtout pouvoir demander « où sont les toilettes » dans la langue locale (qui semble la phrase la plus importante pour survivre dans n’importe quel pays, si l’on en croit la fréquence avec laquelle elle est reprise dans les pages « comment dire »). D’ailleurs, la preuve qu’on n’est pas encore prêt à renoncer à acheter de tels guides c’est que, une fois rentré, vous hésiterez à le déposer tout de suite dans une Bicherbox ou à le ranger dans votre bibliothèque, entre « Dolomites 1997 » et « îles grecques 2014 ». Au moins une partie de l’héritage pour laquelle vos enfants ne se déchireront pas...

Cyril B.
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