Dans un parking souterrain de Bonnevoie, le BMX de Bijan Kesseler fait vibrer le sol à chaque impact, tandis qu’il réalise quelques sauts devant l’objectif de notre photographe. C’est à cause de la composition particulière du béton utilisé pour ce type de structure, nous explique le rider. Il faut dire que le matériau n’a aucun secret pour lui : la première entreprise de ce diplômé en ingénierie mécanique, baptisée Bijan’s Concrete, proposait des meubles mais aussi un skateboard ou un cadre de BMX en béton ; une première tentative de lier sa passion à sa vie professionnelle. Il a vite écarté la première solution : gagner des compétitions de BMX. « Je n’étais pas assez bon, explique Bijan. Mais au moins, aujourd’hui je ne suis pas cassé de partout ! ». Pas question cependant de choisir un métier qui l’enfermerait entre quatre murs. Vissé à sa table à dessin à l’Université d’Aix-la-Chapelle, enfermé dans son atelier à réaliser des moulages en béton, et même lorsqu’il bricole dans le garage automobile familial de Gonderange, il a des fourmis dans les jambes. « On dit que les jeunes ne s’intéressent plus aux métiers manuels, mais je n’en connais aucun qui aime travailler isolé sur une zone industrielle » lance le jeune homme de 32 ans.
Comment préserver cette sensation de liberté qu’apporte la pratique du BMX, et lui permet « d’échapper à la morosité du quotidien » ? Un projet avec la UP Foundation lui donnera la possibilité de prendre l’air : au volant d’un bus chargé de modules, Bijan parcoure le Grand-Duché pour des cours et des initiations. Un Tour du Luxembourg qui va également l’amener à « faire le consultant » pour des communes qui souhaitent installer un skatepark, comme à Strassen, sa ville d’origine. « Considérer qu’au Luxembourg c’est nul, il n’y a rien pour nous, ça me semblait trop facile... J’ai voulu construire quelque chose ici », glisse-t-il. Il va découvrir une nouvelle réalité lors d’un séjour en Patagonie : dans un village au pied du mont Fitz Roy, il rencontre des kids qui bricolent leurs vélos pour en faire des BMX. « On improvisait des modules avec des pierres et des planches : il y avait une volonté de faire avec peu de moyens et un esprit de solidarité qui m’ont plu ». Après avoir créé son propre magasin en 2018, d’abord dans l’atelier de Gonderange puis dans le Grund et rue des Capucins, il déménage à Barcelone en 2023. « Ça devenait trop difficile, notamment à cause des loyers » indique Bijan.
Désormais, c’est depuis la Catalogne qu’il coordonne sa marque BeMix, née il y a deux ans. Un mix de tout ce qui le compose : savoir-faire technique, goût de la proximité et de l’échange, voyages. Le concept : des cadres pensés pour les tricks mais aussi pour se balader, une production en petites séries, décentralisée à Buenos Aires chez son ami argentin, et cette année avec un artisan et rider du Jura. « Plutôt que de tout faire fabriquer à Taïwan, je recherche des partenaires pour produire et distribuer localement » expose-t-il, évoquant des contacts à Tokyo et en Californie. Malgré ce système, le prix d’un cadre BeMix (autour de 850 euros) reste beaucoup plus élevé qu’un produit made in Taïwan. Le jeune homme compte sur l’attrait pour un objet rare, réalisé par un initié, avec un lien direct avec le concepteur. « Chaque vente est une rencontre, explique Bijan. À Barcelone, il me suffit de sortir avec le vélo pour que l’on m’aborde pour me demander d’où il vient. Je fournis aussi des magasins indépendants ; je suis contre la vente en ligne qui écrase le marché en imposant les prix ».
Le rider entrepreneur revient régulièrement dans son pays natal, où il a tant pratiqué « les modules pourris qui t’obligent à être créatif » : la veille de notre rencontre, il participait à un événement à la Rockhal d’Esch-sur-Alzette. Après la séance photo, Bijan Kesseler fourre son BMX dans le coffre de sa Nissan Micra pour effectuer les 1 200 kilomètres qui le séparent de la cité catalane. « C’est une bonne voiture, avec une chaîne à la place de la courroie de distribution, c’est bien plus fiable » indique le fils de mécano. Pour lui, « tout est lié » : du garage de Gonderange aux rues de Barcelone, son envie de créer le mouvement s’est toujours concrétisée en taillant la route ; et il n’est pas prêt de lâcher le guidon.