Les restaurants installés dans les lieux culturels représentent des défis tant pour l’exploitant côté bouche que pour l’institution. Les échecs économiques sont légion et les déconvenues gastronomiques également. L’arrivée du chef Charles Coulombeau dans les cuisines du Centre Pompidou de Metz pourrait bien contredire ce désolant constat. Ouverts à la date prévue du 5 juin, la brasserie Umé et le gastronomique Yozora bénéficient de l’expérience et de la recherche permanente de l’excellence du chef qui fêtera ses 32 ans le mois prochain. Il retrace son parcours et détaille ses ambitions pour ces nouvelles tables.
Si Charles Coulombeau est chef, c’est en partie grâce à un accident de basket. Plâtré et dans l’incapacité d’écrire pendant plusieurs mois, il se voit largué à l’école. Contraint de se réorienter, il rejoint un ami au lycée hôtelier de Biarritz, « plus par curiosité que par passion ». Il se souvient cependant que, du côté paternel, la cuisine était bien ancrée : « Mon père était un gourmand qui aimait recevoir et faire plaisir. Il notait tous ses menus dans des cahiers. » Il revendique aussi un « bon sens paysan » légué par les grands-parents normands chez qui traite des vaches, confection des confitures et cuisine avec les légumes du potager sont la norme.
Dès son premier stage, au Relais de la Poste de Magescq (déjà deux étoiles Michelin à l’époque), le jeune Charles sait qu’il est dans le bon. « Je retrouvais en cuisine les valeurs et notions qui m’avaient portées dans le sport : le travail d’équipe, la rigueur, le dépassement de soi. On peut comparer l’entraînement à la mise en place et le match au service. » Il enchaîne les expériences au sein de brigades prestigieuses, chez les Frères Ibarboure à Bidart (où il rencontre sa compagne, Roxane) et surtout aux Prés d’Eugénie chez Michel Guérard, le chantre d’une gastronomie diététique et raisonnée. Il y travaille sous les ordres d’Olivier Brulard, qui devient son mentor. « Il m’a appris d’aller au-delà de la technicité culinaire, de penser à ceux qui nous entourent dans le travail et ceux qui vont manger ce que l’on a préparé. » D’un trois étoiles à un autre, Charles Coulombeau poursuit sa jeune carrière comme saucier à la Maison Lameloise en Bourgogne.
En 2016, il a envie de changer d’air et part en Grande-Bretagne avec Roxane, dans un Relais et Château du West Sussex. Pour la première fois, il est alors chef de brigade d’un étoilé. Il n’a que 27 ans. Il passe aussi plusieurs mois au Japon, également dans un Relais & Château. En 2020, le Covid pousse Charles à retrouver son pays natal et à affirmer ses velléités d’indépendance. La Maison dans le Parc à Nancy est à vendre, ce sera sa destination. En huit mois, il retrouve, avec sa brigade, l’étoile que les anciens propriétaires avaient perdue. Mieux encore, le guide rouge 2022 salue le travail de Roxane et de la salle par le Prix de l’accueil et du service. Pour couronner le tout, le guide Gault&Millau voit en lui un « Grand de demain ».
À l’été 2023, alors qu’il peaufine un business plan pour ouvrir un restaurant au Japon, il est approché par la direction du Centre Pompidou Metz. L’ancien restaurant La Voile Blanche n’a pas survécu à la pandémie et il faut une personnalité forte pour reprendre l’endroit. Il voit d’un bon œil une certaine filiation avec le pays du soleil levant : « J’ai d’abord été séduit par l’architecture de Shigeru Ban. La possibilité de créer deux restaurants avec deux concepts dans deux espaces a fini de me convaincre. » En effet, à l’étage du musée, on trouve Umé, une brasserie franco-nippone ouverte au déjeuner, ainsi que Yozora, un restaurant gastronomique, où une vingtaine de convives peuvent dîner dans une sorte de bulle en verre.
Charles Coulombeau a développé ses concepts et ses recettes en concertation avec la direction du musée auprès de qui il a signé un contrat d’exploitation de six ans. Le point commun entre les deux restaurants est l’influence japonaise : « J’aime la façon de travailler des japonais dans leur approche et leur respect du produit. Ils mettent en œuvre une grande rigueur que je veux également suivre. » Côté Umé – qui veut dire prune ou mirabelle, le clin d’œil lorrain est clair – la grande salle peut accueillir centaine de couverts. Les classiques de la brasserie sont revus par un prisme asiatique : les œufs mimosas sont marinés dans la betterave et garnis d’une mousse au miso et anchois ; la rémoulade n’est pas de céleri mais de daïkon. À l’inverse, la crêpe japonaise okonomiyaki est garnie de fuseau lorrain et le flan chawanmushi de truite des Vosges.
Le nom Yozora signifie « le ciel nocturne ». « Ici, c’est l’omakase, qui veut dire littéralement Je m’en remets à vous. Une multitude de petits services, parfois en une seule bouchée. » Le vocabulaire est japonais, mais les produits sont très locaux. Charles Coulombeau ne cache pas son ambition : « Je veux laisser un souvenir, une trace. Ce restaurant sera j’espère un incubateur pour ouvrir quelque chose en Asie. »