Tous les yeux du monde étaient rivés sur l’Amérique, ce jour-là, et la cérémonie d’investiture du nouveau Président des États-Unis, Barack Obama. Mardi, rue de la Loge à Luxembourg, l’attaché de presse et manager de la campagne électorale de l’ADR, Alain Frast, n’hésitait pas à conjurer des Yes we can ! et des We have a dream pour lancer une campagne de positionnement du parti. Sous le slogan, Maach mat !, l’ADR veut thématiser différents sujets forts des législatives 2009, en commençant par l’éducation. Spots de teasing à la radio, affiches, annonces dans les journaux, site Internet propre à la campagne avec blog interactif et contenu multimédia, émissions de télévision, publication d’un journal qui sera distribué à 220 000 ménages – le parti met le paquet de la communication durant quatre mois, avant que la campagne électorale officielle ne commence, avec alors un slogan propre et un programme électoral, qui ne sera publié qu’en mars, après le congrès national.
Objectif de cette campagne : ratisser large et afficher sa modernité, prouver que le parti a fait sa mue et est désormais un parti à part entière, qui se positionne sur tous les sujets d’actualité – et non seulement sur celui des retraites. « Nous n’utilisons aucun média en exclusivité, mais allons combiner tous les moyens de communication pour motiver les gens à participer au débat électoral, à s’intéresser à nos idées, » affirme Alain Frast. Ancien journaliste (RTL, DNR), il connaît le métier de la communication des deux côtés, comme son collègue Alain Kleeblatt (Le Quotidien), qui a également rejoint l’ADR. Alors que jusqu’en 2004, l’ADR se vantait de ne pas gaspiller d’argent dans une campagne électorale coûteuse, mais que ses mandataires faisaient quasiment les graphiques eux-mêmes (ce qui se voyait d’ailleurs), le parti se fait assister cette fois-ci par une agence de publicité allemande, Medienfabrik de Trèves. Les efforts de chercher une agence luxembourgeoise avaient échoué, aucune de la douzaine de sociétés contactées n’ayant voulu travailler pour eux, de peur d’être grillée auprès des partis « officiels » par la suite. Le budget de la campagne n’est pas encore fixé, « actuellement, nous l’adaptons encore chaque jour, concède Alain Frast. Mais ce qui est sûr, c’est que nous allons publier les chiffres après la campagne ». En 2004, ils avaient affirmé vouloir dépenser 500 000 euros en tout.
Car, par rapport à la campagne précédente, c’est justement la donne des finances qui a changé : outre le remboursement des frais de campagne proportionnellement au nombre d’élus, tel qu’inscrit dans la loi électorale, l’entrée en vigueur de la loi sur le financement des partis, en janvier 2008, leur procure une manne supplémentaire de la part du budget de l’État, tout en imposant une transparence totale des dons dépassant les 250 euros. Si l’année 2008 aura servi à la mise en place des structures administratives propres aux partis – là où les petits, comme Déi Gréng et l’ADR fonctionnaient quasi exclusivement grâce aux administrations des groupes parlementaires –, les premières retombées devraient être visibles cette année. Tous les managers de campagne contactés par d’Land affirment toutefois vouloir s’imposer une certaine rigueur dans l’attribution de cet argent du contribuable. Néanmoins, Alex Bodry, le président du parti socialiste estima, dans un entretien au Tageblatt (du 14 janvier) que la nouvelle loi permettait d’investir plus de moyens financiers et humains dans cette campagne.
Or, les conditions minimales à atteindre pour avoir droit à cette source de financement – avoir présenté des listes complètes dans les quatre circonscriptions ainsi qu’aux européennes et avoir obtenu au moins deux pour cent des suffrages – exclut les deux partis d’extrême gauche. Le Parti communiste (KPL) et La Gauche doivent donc avoir recours au système D et à la créativité et l’engagement de leurs membres, aussi bien en ce qui concerne les finances que la réalisation de la campagne. « Les seules finances que nous ayons, ce sont les cotisations de nos membres et les dons de nos sympathisants, » explique Ali Ruckert (KPL). Si le programme du parti est prêt mais non encore publié, le slogan De Mënsch virum Profit – Les gens d’abord, pas le profit adopté, et l’ambition de présenter des listes dans toutes les circonscriptions, ainsi qu’aux européennes retenue, le parti avance à sa vitesse, la prochaine étape étant donc la collecte d’argent, puis la motivation de bénévoles pour distribuer des tracts et coller des affiches – comme on l’a toujours fait.
La Gauche par contre mise sur la rupture et le rajeunissement : de nouveaux visages, comme Fabienne Lentz, Marc Baum, David Wagner ou Adrien Thomas vont incarner le parti jusqu’à l’échéance de juin. Ils constituent l’équipe électorale qui veut tout changer : nouveau logo en automne, nouveau site Internet la semaine dernière, utilisation ciblée mais conséquente d’outils communautaires comme Facebook, qui ont l’avantage d’être gratuits, nouveau slogan, à venir. « Ce qui est sûr, c’est que nous voulons être plus offensifs cette fois-ci ! » lance Marc Baum. Pour cela, le parti s’est donné un budget de quelque 125 000 euros, dont 70 000 proviennent d’un prêt contracté auprès d’une banque et pour lequel les membres se sont portés garants. Si le parti arrivait à reconquérir son mandat perdu en 2004, l’argent serait remboursé, du moins en partie, par l’État.
Le plus gros budget, aux environs du million d’euros – c’est à peu près le budget communication annuel de la Philharmonie, que tout le monde lui envie –, c’est celui du CSV. Or, le parti de Jean-Claude Juncker est probablement le plus sclérosé dans cette campagne. Car comment faire mieux que la dernière fois ? Comment profiter davantage encore, ou mieux, de l’effet Juncker ? L’agence reste la même (Imedia), le logo, les couleurs, révolutionnaires en 2004, ne changent pas, les moyens restent assez traditionnels : affichage, site Internet avec ses éléments multimédia, réunions électorales régionales ou locales, congrès par circonscription, quelques gadgets, mais modestes, mascotte animée Xorro... Seul le slogan a changé, le Séchere Wee (chemin sûr) étant désormais flanqué d’un Zesumme wuessen (grandir ensemble).
L’équipe de campagne autour du président François Biltgen (avec le secrétaire général Marco Schank, le président du groupe parlementaire Michel Wolter et Paul Weimerskirch du secrétariat général du parti) cogite actuellement encore sur la meilleure façon d’adapter la formule si populaire Juncker on tour cette année – en réduisant par exemple le nombre de réunions (il y en eut douze en 2004), mais devant un auditoire plus important... Et puis il y a « l’inconnue Juncker », son possible départ vers une carrière européenne, qui fait un effet épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. On a un peu l’impression que tout un parti, le plus grand, en est tétanisé. Impression que le débat sur l’euthanasie n’a pas arrangé, ayant exposé au grand jour les discordes internes.Le CSV a annoncé une campagne concentrée et intensive, avec un début de la phase « chaude » le 7 mai, un mois avant l’échéance – avec, en plus, une semaine de vacances scolaires de la Pentecôte fin mai, où beaucoup d’électeurs partent à l’étranger. D’ici-là, les candidats sont présentés lors des congrès de circonscription, le programme fignolé dans une dizaine de réunions internes, qui sont en cours, et plusieurs cercles de réflexion thématique travaillent sur des dossiers spéciaux, comme l’école, la justice, l’emploi ou l’Europe. Les papiers qu’ils élaborent seront publiés sur Internet, au public de réagir, « ce qui est pour nous un moyen d’encourager l’interactivité » résume Paul Weimerskirch. Le CSV a non seulement l’avantage d’être le parti d’un Premier ministre extraordinairement populaire, aux alentours de 90 pour cent d’adhésion dans les sondages, mais aussi de pouvoir valoriser le bilan d’une équipe gouvernementale. C’est ce qu’il fera jusqu’en mars, avant de miser davantage sur les perspectives d’avenir.
Au LSAP, le parti de coalition, la stratégie, mais aussi l’ambiance sont semblables : faire une campagne électorale à partir de la majorité n’est pas la même chose que de la faire de l’opposition. « L’opposition peut frapper sur tout, mais nous nous situons dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2004, et devons ouvrir des perspectives à partir de là, » estime Romain Schneider, député-maire de Wiltz et secrétaire général du parti, qui préside également le « campa-team » (team de campagne). Le LSAP travaille depuis un an sur cette campagne, les listes de candidats sont en train d’être adoptées dans le cadre des congrès de circonscription et le programme a été présenté hier (voir pages 6-7). Dans la forme, on n’y voit pas de grandes nouveautés, le logo de 2004 demeure, le site Internet toutefois a été rafraîchi et un nouveau slogan lancé : Mir paken et un (« Nous prenons les choses en main », agence : Comed). Le budget, qui devrait se situer dans l’ordre de grandeur de la dernière campagne (750 000 euros), le LSAP veut toutefois mieux le dépenser, en structurant autrement les soirées électorales, qui pourraient devenir des forums thématiques ouverts, et en se concentrant sur une période assez courte pour la partie « chaude », à partir du 27 avril. « Les thèmes de cette campagne seront, par la force des choses, des sujets plus ‘durs’ comme la relance et la diversification économique, l’emploi ou l’environnement, » promet Romain Schneider.
C’est le LSAP aussi qui a pris l’initiative de contacter ses collègues des autres partis afin d’élaborer un accord de campagne, comme en 2004, par lequel les partis s’engageraient à jouer fair-play, ne pas attaquer l’adversaire et ne pas dégrader son matériel. Un addendum toutefois prévoit aussi une limitation d’un commun accord des dépenses et moyens mis en œuvre – seulement cinq publications toutes boîtes, cinq annonces dans la presse et une centaine d’affiches grand format et ce sur un mois, selon la proposition qui est actuellement discutée. Or, c’est là que le bât blesse : les partis qui ne profitent pas des faveurs d’une « presse amie » (Luxemburger Wort pour le CSV, Tageblatt pour le LSAP surtout) refusent de devoir restreindre leurs présences payées dans les médias, ce qui, à leurs yeux donnerait clairement l’avantage aux deux grands partis. D’ailleurs, en 2004 déjà, Jean-Claude Juncker avait annoncé que la publicité commerciale des partis durant les campagnes électorales allait être interdite, mais ce projet n’a jamais abouti. Pour la télévision et la radio, le CSV aimerait se limiter aux seuls passages des clips durant les horaires fixés par le gouvernement, mais subit une certaine pression interne et externe sur cette question.
Les Verts étaient les premiers à présenter leur programme électoral, en octobre 2008 déjà, puis toutes leurs listes de candidats. En plus, ils profitaient alors encore de l’enthousiasme de la fête d’anniversaire pour leurs 25 ans. Pour les Verts, cette campagne revêt une certaine importance, car si en 2004, tous les observateurs politiques jugeaient que les anciens alternatifs étaient désormais prêts pour entrer dans un gouvernement, les élections 2009 devraient logiquement être celles de l’aboutissement de cette ambition. Vont-ils donc se montrer plus sages dans cette campagne, histoire de ne pas heurter un partenaire d’une coalition potentielle ? Abbes Jacoby, le secrétaire du groupe parlementaire et responsable de la campagne, est persuadé que non : « Nous allons suivre nos chemins non conventionnels et jouer la carte de la fraîcheur, de la nouveauté ». Le budget de quelque 600 000 euros, grosso modo le même qu’en 2004, est investi dans les moyens de campagne classique, mais aussi dans les nouvelles technologies, Internet, Facebook, You Tube..., « même si ces nouveaux médias ne toucheront jamais qu’une certaine fraction branchée de l’électorat ». Le parti a toutefois pris le choix de n’arrêter le slogan et les grands thèmes de la campagne qu’en février ou mars, au diapason avec l’évolution de la crise économique et financière. L’agence berlinoise Zum goldenen Hirschen, qui avait déjà conçu la dernière campagne (avec Vidalegloesener à l’époque) et travaille aussi pour Les Verts allemands, leur assure non seulement la partie graphique, mais aussi tout un volet de coaching. « Il ne faut pas se leurrer, dit Abbes Jacoby, la partie essentielle d’une campagne se joue dehors, sur le terrain. Nous devons motiver nos membres à y défendre notre programme commun et nos idées. » Afin de revitaliser ces rencontres avec les électeurs, il imagine tout à fait que tous les partis pourraient organiser des table-rondes thématiques communes dans les régions. Ce que les autres partis n’ont pas trouvé une mauvaise idée. Mais il manque quelqu’un qui mette l’idée en musique, de préférence un organisateur impartial.
Le DP voulait publier son programme au même moment que les Verts, prendre les devants afin de se positionner avant les partis de la majorité, afficher son dynamisme, son renouveau. Mais l’ampleur de la crise leur a fait changer d’avis, ils ont repoussé l’échéance : le programme électoral a finalement été présenté la semaine dernière (d’Land, 16 janvier 2009), les candidats de toutes les circonscriptions le seront lundi prochain. Après la débâcle de 2004, le parti s’est rajeuni, a renouvelé ses structures décisionnelles, élu un président très jeune (Claude Meisch, 37 ans) et un secrétaire général offensif (Georges Gudenburg), s’est doté d’un nouveau logo et mise tout sur Internet et l’interactivité qu’offre cet outil. « Les moyens classiques de mener campagne n’ont plus de sens aujourd’hui, il y a de moins en moins de public pour cela, » selon Georges Gudenburg, même si le parti ne peut pas complètement abandonner les soirées locales et les fêtes de section.
Nei Weeër Wielen (choisir de nouvelles voies), le slogan de la campagne du DP (agence : Concept Factory, budget : aux alentours des 800 000 euros, comme en 2004), affiche une volonté de renouveau, qui serait incarné par Claude Meisch, qui joue les Obama dans une campagne image extrêmement centrée sur lui. « Ce que nous voulons, derrière Claude Meisch, c’est d’établir un ‘label DP’, que le parti soit reconnaissable en tant que tel, indépendamment des personnalités fortes qui ont marqué son histoire, » dit Georges Gudenburg. D’où le recours systématique à Internet pour encourager les citoyens à réagir. Tellement interactif qu’on peut même y faire un don en-ligne, allant de cinq euros à une somme à définir soi-même.