Prenez une idée, une émotion et imaginez-la dans un espace intérieur qui se trouverait quelque part en vous. Ces espaces symboliseraient les moult facettes de notre conscience, vous avez Rooms, la nouvelle chorégraphie de Jean-Guillaume Weis créée fin mai devant une salle bondée au Studio du Grand Théatre. Prenez 28 auteurs, un espace imposé : la chambre d’hôtel et vous obtiendrez 28 histoires de chambre d’hôtel inventées, formant un caravansérail amical entre ces auteurs et un ouvrage s'intitulant Rooms édité en mars 2006. Les deux créations indépendantes ont en commun de ne vouloir rien affirmer mais de nous proposer un voyage au centre des idées et donc de l'imagination. Rooms témoigne d'une cadence « boulimique » de productions du chorégraphe luxembourgeois, après Short Stories (2002), Noise (2004), IL (2004), Principe d'incertitude (2005) et Catastrophes (2006) et nous parle du cheminement des idées. Quatre danseuses, deux danseurs dont Stefano Spinelli et Héloise Vellard déjà présents dans Catastro-phes, se livrent à un combat « d'idée » dans une mise en scène dépouillée de tous supports superflus. Les idées entremêlées, enchevêtrées, emberlificotées sont mises à rude épreuve : elles sont secouées, imbriquées, caressées, mises à nu, combattues, digérées parfois dans un bourdonnement. Le public ne peut se disperser visuellement, il ne lui reste que son imaginaire pour s'égarer. Exercice périlleux très apprécié même si le début de Rooms peut paraître moins accessible que la suite. Le silence imposé, la quasi-nudité d'une danseuse et son fil d'Ariane, une gestuelle rappelant des structures névrotiques – danseuse se grattant la peau et les cheveux de manière obsessionnelle donnent le ton. Puis, une magie profondément teintée d'humanité prend le relais. L'ob-servation des gestes et leur transcription scénique est époustouflante : une sorte de vision globale – satellitaire – du mouvement. Une sensualité éclatante rendue par des duos hommes-femmes ou femmes-femmes imbriqués par des baisers. Un danseur en pantalon rouge traversant la scène en diagonale et nous trouvons alors le fil rouge… Perte des repères musicaux, des (dés)équilibres, le solo de Stefano Spinelli crée un vrai suspens dans ce carré scénique blanc de l'âme. Les danseuses et danseurs se déchaînent et se défoulent sans un moment de répit, Takashi Ueno, discret mais si gracieux, est céleste ! Le final est construit sur un parallélisme des mouvements et des couleurs évoquant les rêves d'enfants sur une musique répétitive berçante et finalement très rassurante. C'est une vision épurée de la danse. Jean-Guillaume Weis semble ici tourner la page du Tanztheater pour retrouver les origines fondatrices de la danse. La densité, l'animalité, l'intensité, la nervosité, le rythme de Rooms laissent s'échapper la virtuosité et l'extraordinaire imagination de son créateur. L'interdisciplinarité est de mise : les costumes blancs zen d'Isabelle Dickes et de Michèle Tonteling, les lumières de Lutz Deppe, valorisent la danse. Idem pour la musique électro-acoustique d'Emre Sevindik et Jean-Guillaume Weis (son THX) empruntant aux univers de Pierre Henry (lequel avait entrepris avec Maurice Béjart une longue collaboration, Messe pour le temps présent), de Kronos Quartet et de Michael Nymann. Les instrumentalités diverses nous font songer à Variations pour une porte et un soupir (1963) et les sonorités d'un univers monacal lointain nous plongent dans Le livre des morts tibétain. Le spectacle a été filmé et l'artiste vidéaste Béa de Visser intervient dans la fixation de l'oeuvre sur DVD. Véritable défi artistique, Rooms appartient à ces programmations que l'on souhaiterait voir se poursuivre sur plus de deux soirs et se mettre à rêver qu'il y aurait un public suffisant pour continuer ce voyage au-delà de ce court délai de 48 heures imparti à une création pour réussir à s'imposer. C'est une idée qui elle aussi pourrait faire son chemin.