Femmes puissantes, Léa Salamé, France Inter / Les Arènes
Un ami m’a récemment offert un livre de Léa Salamé, connue pour ses interviews avec les personnalités de la vie politique et publique sur France Inter. Dans Femmes puissantes (éditions les Arènes, 2020), elle donne la parole à des femmes de tous horizons : artiste, entrepreneuse, rabbine, médecin, femme politique, sportive, actrice ou écrivaine. Dans leurs témoignages, ces femmes reviennent sur leur parcours, leurs choix personnels et leur rapport au pouvoir. Comme le souligne l’auteure, toutes ces femmes parlent d’une émancipation qui est d’abord le dépassement d’une appréhension de ne pas être au niveau et de la peur de décevoir. Selon les mots de Leïla Slimani (prix Goncourt 2016) interviewée dans cet ouvrage : « Comme si nous, les femmes, avions une obligation de perfection dès lors qu’on s’empare de la ‘place’ des hommes ».
Pour réussir, ces femmes ont souvent dû combattre des préjugés et faire face à des discriminations. Léa Salamé en conclut que dans notre société « une femme puissante, c’est suspect. Tout comme une femme ambitieuse. C’est quelque chose qui ne sonne pas bien… » La lecture de ce recueil m’a fait penser à ces nombreuses femmes, parfois mal connues du grand public, qui ont joué un rôle déterminant dans l’histoire, aussi de notre pays. En tant que ministre des Finances, j’évolue dans un monde encore largement dominé par des hommes, même si l’on voit de plus en plus de femmes assumer des responsabilités importantes. Pour encourager cette évolution, j’’échange régulièrement avec des femmes dirigeantes, mais aussi avec des jeunes femmes en début de parcours. Je souhaite soutenir toutes les initiatives en faveur d’une meilleure représentation des femmes au sein du secteur financier, et au-delà.
Je m’engage au niveau international avec mes collègues femmes, pour montrer l’exemple. Nous organisons des rencontres entre les ministres des Finances femmes de l’UE. Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, la Présidente de la BCE, ou Ngozi Okonjo-Iweala, la Directrice générale de l’OMC sont l’illustration vivante que rien n’est impossible aux femmes dans le monde politico-économique. Il est clair qu’une plus grande diversité dans les organes décisionnels contribue à une meilleure performance des organisations et entreprises en question. L’égalité des sexes est ainsi une évidence économique. Je suis persuadée que des politiques macro-économiques et financières sensibles au genre, telles que proposées dans la nouvelle gender strategy du FMI, se traduiront par une croissance plus élevée, une plus grande stabilité et résilience économiques et une réduction des inégalités des revenus. Ce serait dans l’intérêt non seulement des femmes, mais de tout le monde.
J’espère qu’un jour, les médias n’auront plus à souligner, quand une femme accède à un poste à responsabilité, qu’elle aura été la première femme à cette place, tout simplement parce que ce sera la chose la plus normale au monde. Mais il reste du chemin à faire, et ce livre m’a confortée dans l’idée de continuer à encourager et soutenir les femmes et surtout les jeunes filles à avoir le courage de (vouloir) percer dans ce qui reste encore largement a man’s world..Par Yuriko Backes, ministre des Finances (DP)
L’Énigme du retour, Dany Lafferière, Boréal & Grasset
« La nouvelle coupe la nuit en deux. L’appel téléphonique fatal que tout homme d’âge mûr reçoit un jour. Mon père vient de mourir. » Ainsi commence L’Énigme du retour, chef-d’œuvre (n’ayons pas peur de dire les termes) de Dany Laferrière, grand écrivain reconnu comme tel depuis 1985, année de publication de son premier livre au titre bien trouvé. L’Énigme du retour (sorti en 2009) est un livre - sur l’exil et le retour au pays natal - qui parlera au frontalier, à l’immigré, à l’expat, à l’autochtone. C’est un livre sur vivre dans une culture autre que la sienne, dans un pays autre que le sien ; c’est un livre sur les mères qui expliquent à leurs exilés d’enfants comment vivre dans des pays qu’elles n’ont pourtant jamais visité ; c’est un livre sur la faim qui fait sortir le loup du bois et pousse le bûcheron vers sa maison ; c’est un livre sur ceux qui n’ont aucune prise sur leur propre vie qu’on accuse de vouloir changer le mode de vie des autres ; c’est un livre sur des robustes trappeurs qui vendaient des peaux de bêtes devenus d’élégants citadins imbibés de parfum ; c’est un livre sur la famille, sur les joies simples, sur la longue expérience de la douleur, sur l’espoir, sur l’hiver caraïbe, sur les nuits tropicales, sur la beauté des étoiles qui s’alignent, sur le devoir de rester vertical comme Jean-Jacques Dessalines et - aussi - sur l’art presque perdu de ne rien faire ! Plus important encore, c’est un livre divinement écrit. De tous les livres cités dans cette rubrique, c’est le meilleur (sauf si quelqu’un a eu le bon goût de citer Le temps des crises, évidemment !)..
Par Michel-Édouard Ruben, économiste
L’Impossible exil, George Prochnik, Grasset
La lecture est mon principal loisir. Elle constitue pour moi une manière de me détendre même si je lis essentiellement des biographies, des ouvrages sur l’histoire, la politique, l’économie et la finance. La raison de ce choix tient au fait que j’ai envie de continuer à apprendre, encore et toujours. Il m’arrive évidemment aussi de lire des livres plus littéraires. Parmi mes auteurs préférés, Stefan Zweig occupe une place de premier rang. Difficile de choisir dans toute son œuvre un titre en particulier. Sternstunden der Menschheit est certainement un favori, mais je ne peux aussi que recommander les différentes biographies qu’il a signées (eh oui, ma prédilection pour l’histoire et les biographies…), en particulier celle de Magellan où il décrit le périple de cet explorateur de manière à se croire sur le bateau en train de contourner le continent sud-américain.
Pour rester donc dans le domaine de l’histoire et de la politique et les mettre en relation avec le monde d’aujourd’hui, plutôt que de choisir l’un des ouvrages de Stefan Zweig, je vous parlerai d’un livre sur Stefan Zweig qui m’a beaucoup marqué, L’impossible exil. Dans ce livre l’auteur, George Prochnik, évoque avec une plume remarquable la fuite d’Autriche et l’errance de Stefan Zweig avec les différentes étapes de l’exil jusqu’à son suicide en 1942 au Brésil. Prochnik réussit dans son livre à relater le désespoir grandissant de Zweig devant la déchéance du continent européen qui sombre dans le totalitarisme et la barbarie. L’humaniste Zweig avait perdu l’espoir en l’humanité. L’intellectuel ne comprenait plus le monde qu’il décrivait avec passion et amour dans ses livres. Le cosmopolite n’arrivait pas à faire le deuil de sa patrie ni à trouver sa place dans les endroits où il voulait s’établir sur la route de son exil. L’Européen convaincu s’exaspérait de voir les peuples dont il admirait les cultures respectives s’entretuer.
Si ce livre m’a tellement marqué c’est parce qu’aujourd’hui encore nous sommes témoins de milliers de destins tels le sien. Afghans, Ukrainiens, Syriens et bien trop d’autres doivent fuir la persécution et la guerre en laissant derrière eux leur patrie et leur identité. En lisant le livre de Prochnik, on réalise à travers la tragédie vécue par Zweig la déchirure que vivent ces réfugiés (dans des conditions matérielles bien plus difficiles)..Par Nicolas Mackel, directeur Luxembourg for Finance
La Décision, Karine Tuil, Gallimard
Parmi mes lectures favorites figure ce livre, La Décision, qui m’a inspiré et profondément touché. Personnellement, j’adore lire et me plonger dans un autre univers à travers la lecture d’un bon roman. Et comme je les dévore à toute allure, il s’agit ici d’un de mes livres actuels de chevets, une tragédie contemporaine absolument passionnante. Une courte biographie d’abord : Karine Tuil est née le 3 mai 1972 à Paris. Elle est diplômée de l’Université Paris II-Assas (DEA de droit de la communication/Sciences de l’information). Elle a exercé la profession de juriste et a préparé un doctorat qu’elle n’a finalement pas soutenu, se consacrant par la suite entièrement à l’écriture. Karine Tuil a publié La Décision en 2022. Il s’agit de son douzième (brillant) roman.
Le sujet est grave : le terrorisme islamiste. Le personnage principal est une femme de pouvoir, au caractère bien trempé. L’autrice arrive à plonger le lecteur au cœur d’une décision « imprenable ». Nos vies sont souvent marquées par de telles prises de décision. Qu’elles soient anodines ou importantes, il nous faut faire un choix. C’est incontournable. La protagoniste Alma Revel, 49 ans, est juge d’instruction du pôle antiterroriste en 2016, soit quelques mois après les attentats de novembre 2015 au Bataclan. Elle doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint Daesh et qui jure être allé en Syrie avec sa compagne pour faire de l’aide humanitaire.
À ce dossier s’ajoute une situation délicate dans sa vie privée où elle doit prendre une autre décision. Mariée depuis plus de vingt ans à un écrivain, ancien prix Goncourt, avec qui elle a trois enfants, elle entretient également une liaison extra-conjugale avec l’avocat du prévenu, Kacem. Le récit porte sur le quotidien d’une femme, juge anti-terroriste, maman, amie, amante. Il me semble que toutes les femmes peuvent s’identifier à elle. L’histoire décrit le cheminement vers sa « décision » c’est-à-dire le jugement, et ses conséquences dans un milieu sensible qu’est celui de l’antiterrorisme. Le procès du jeune Kacem, qui se comporte tantôt comme un mouton, tantôt comme un loup enragé, est rythmé d’interrogatoires, mais aussi de monologues au cours desquels il fait l’apologie de la religion musulmane tout en condamnant le mode de vie occidentale. C’est un livre qu’on ne peut lâcher une fois qu’on l’a ouvert, violent émotionnellement et qui pousse à la réflexion sur le sujet du terrorisme et de l’anti-terrorisme. Mais c’est aussi un livre qui parle de la difficulté de prendre des décisions en certaines circonstances..Par Nora Back, présidente de l’OGBL
Impact, Olivier Norek, Éditions Michel Lafon
« L’écologie sans révolution, c’est du jardinage. » En faisant reprendre à son principal protagoniste la formule du seringueiro et syndicalo-environnementaliste brésilien Chico Mendes, l’auteur de polars Olivier Norek inscrit son roman Impact dans la lutte écologique globale. À la différence près que Mendes a été assassiné en 1988 par des barons de l’agrobusiness alors que Virgil Solal, le personnage clé d’Impact, devient le geôlier de ceux qu’il considère personnellement responsables de « l’histoire à venir d’un monde à quatre degrés supplémentaires ».
Ex-capitaine de police judiciaire, Norek est un auteur phare d’un genre phare en France. Ses polars se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires et, en tant que lauréat du Prix du meilleur polar européen, il côtoie des figures du genre comme Laura Grimaldi, Philip Kerr ou encore Petros Markaris. Or, si avec Impact Norek s’éloigne du genre qui l’a consacré, l’intrigue policière n’y jouant qu’un rôle secondaire, c’est plus difficile d’établir à quel type littéraire le roman aspire à s’apparenter : s’agit-il d’une œuvre dystopique agrémentée d’une chute à l’eau de rose, d’un roman d’anticipation, d’un pamphlet didactique ? Une confusion des genres qui traverse l’œuvre jusque dans les pages de remerciements, où l’auteur s’efforce de souligner le sérieux de ses recherches, en citant tour à tour le rapport Meadows et André Gorz, les travaux du Giec et Aurélien Barreau.
Le pitch d’Impact tient en quelques phrases : Solal, ex-flic comme l’auteur, perd sa fille qui meurt d’une fibrose pulmonaire. « Ce que je m’apprête à dire, je l’ai déjà dit à de nombreuses familles endeuillées. Je connais les causes, je connais les coupables... La pollution de l’air dans le monde tue 600 000 enfants par an », confie le chef de service de l’hôpital. Deux années plus tard, Solal refait surface dans la peau du justicier de sa fille. L’ex du Raid a entre-temps construit une logistique capable de mettre l’État à l’épreuve et, surtout, il peut s’appuyer sur un mouvement de masse - le rêve de toute organisation militante - sorti de nulle part. Dès son premier passage à l’acte, il gagne l’adhésion de l’opinion publique : « La moitié de la France est avec lui, l’autre se questionne... On assiste à une situation assez inédite où le criminel n’est presque pas mis en cause. »
Impact se lit d’un trait. Mais plus parce que les grosses ficelles, les clins d’œil lourdingues et les clichés qui y sont développés hâtent le lecteur à en finir que par les tensions que l’auteur serait parvenu à créer, entre le bourreau et ses victimes, entre la psychocriminologue et le gros bras de la police judiciaire chargés de traquer Solal. Si Olivier Norek déclare en interview : « J’écris ces pages parce que j’ai peur qu’elles deviennent réalité. Je construis un monstre avant même qu’il n’arrive », il faut se demander si par la légèreté de son récit il ne contribue pas à la banalisation de questions qui se posent déjà aujourd’hui et qui vont être centrales dans un monde où l’injustice environnementale fera des ravages tels que nos sociétés risquent d’éclater.
Qu’en sera-t-il des responsabilités individuelles des décideurs politiques et économiques face à l’emballement des changements climatiques ? Quels seront les moyens de ceux et celles qui iront au-delà de leurs peurs, qui refuseront la résignation en entrant en désobéissance ou en rébellion ? Comment l’État réagira-t-il, comment évoluera le droit face à la tension entre ce qui est légitime et ce qui est légal ? Une fracture intergénérationnelle viendra-t-elle se greffer sur les fractures sociales et culturelles ?
La surenchère de l’indignation qui s’est propagée ces dernières semaines suite à quelques pots de sauce tomate jetés contre des vitres protégeant des tableaux de maître montre à quel point nous sommes loin d’avoir pris la mesure des transgressions auxquelles nous devons nous attendre. Si les Bildungsbürger auto-proclamés se sont contentés d’un « contre-productif », considérant sans doute que le principal challenge du deuxième principe de la thermodynamique réside dans son orthographe, d’autres se sont laissés aller à taxer les activistes d’éco-totalitarisme et d’éco-terrorisme. « Deux ados armés de sauce tomate nous inquiètent plus que les bombes à retardement climatiques enclenchées par les multinationales » s’est offusqué un chroniqueur de Le Monde.
Mon conseil : lisez Impact pour voir si le monstre vous fait plus peur qu’à moi, et ensuite, quel que soit l’effet laissé par le roman, rejoignez la « nouvelle classe écologique » qui, d’après Bruno Latour, s’apprête à gagner la bataille des idées..Par Pascal Husting, conseiller politique (agence Acidu)
Le Grand roman des maths, Mickaël Launay, Flammarion
On ne connaît pas le nombre de juristes qui ont découvert leur amour du droit par leur aversion des mathématiques. Mais incontestablement beaucoup d’avocats en herbe ont vu dans l’adage « judex non calculat » une sorte de promesse à pouvoir échapper à l’abstraction des maths. Après tout, leur horreur de cette science a été longuement cultivée par l’incompétence pédagogique de leurs professeurs. Il n’y a pas mal d’économistes non plus qui disent aimer l’économie, mais pas la partie mathématique de celle-ci, ce qui revient à peu près à aimer le foot sans le ballon.
Les uns comme les autres ont tort évidemment, puisqu’ils découvriront le moment venu que leurs disciplines respectives ne peuvent se passer de l’abstraction, de la logique et du calcul. Comment leur faire oublier les traumatismes d’élèves et leur donner des envies insoupçonnées ?Dans Le Grand roman des maths, Mickaël Launay, en pédagogue accompli, prend par la main les ignorants et tente d’en faire, pour le moins, des néophytes. Il ne procure pas à ses lecteurs une bosse des maths, mais il leur remplit un grand trou. Il s’y prend par l’Histoire, par les grandes cultures et leurs génies, et nous fait prendre conscience de l’omniprésence des mathématiques qui ont néanmoins mis des millénaires à être inventés … Inventées par le génie humain ou découvertes par lui dans le monde platonique des idées ? Voilà le casse-tête philosophique que l’auteur laisse sans réponse et qui peut vous hanter à volonté.
En attendant, Mickaël Launay vous aura fait connaître d’innombrables surdoués qui peuplent ce roman, partant d’Euclide avec sa géométrie, en passant par Brahmagupta, l’inventeur du zéro, jusqu’à Kurt Gödel et son principe d’incomplétude étonnant et dévastateur. À la seule condition de rester un peu curieux des choses de ce monde, vous serez assez fasciné maintenant pour attaquer le nouvel ouvrage de Jim Holt When Einstein walked with Gödel : Excursions to the end of thought et y découvrir de nouvelles incertitudes..
Par Jean-Jacques Rommes, Administrateur de l’UEL