La fuite de diesel qui a pollué une rivière près de la ville industrielle sibérienne de Norilsk, non loin de l’Océan arctique, a été signalée par les agences de presse occidentales le 3 juin, lorsque Vladimir Poutine a approuvé la proclamation de l’état d’urgence suite à cet écoulement massif – de l’ordre de 20 000 tonnes d’hydrocarbures, dont au moins 15 000 parvenues à la rivière Ambarnaya – et a vertement critiqué les dirigeants locaux pour avoir tardé à réagir (l’incident remonte au 29 mai).
Les images de la rivière souillée, montrant une surface variant du fuchsia au rouge écarlate, font le tour du monde. Les organisations environnementales s’émeuvent en soulignant les risques que cette pollution fait courir à la précieuse réserve naturelle arctique située au nord de Norilsk, sur la mer de Kara : c’est l’une des plus grandes au monde. Ours polaires, morses, rennes et bélougas y abondent. Malgré les efforts entrepris pour contenir la pollution, celle-ci a atteint le lac Piassino, traversé par la rivière Piassina qui s’écoule vers l’Océan arctique en passant par cette réserve.
À l’origine de cette catastrophe écologique majeure, comparable à celle de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989, la rupture d’un tank de carburant d’appoint d’une centrale électrique au charbon alimentant les installations de Norilsk Nickel, une entreprise qui extrait et raffine un cinquième environ du nickel consommé dans le monde. Le directeur de la centrale a été arrêté. La rupture, découverte lorsqu’une voiture qui s’était embourbée dans une mare de diesel sur une route a pris feu, est due à la fonte du permafrost, qui a, semble-t-il, déstabilisé ou causé la corrosion de l’assise du tank.
Quelque 80 pour cent de l’industrie russe des matières premières, à commencer par celle du pétrole et du gaz, est installée sur du permafrost, dans une région dont les températures augmentent considérablement plus vite que dans le reste du monde. Le bureau du procureur général de Russie a ordonné que toute l’infrastructure pétrolière, gazière et minière russe concernée soit inspectée en urgence.
Une mesure que la Russie entreprend pour mitiger le risque industriel majeur que représente la fonte du permafrost, certes, mais aussi, évidemment, pour éviter que l’industrie dont provient plus de la moitié de ses revenus ne s’abîme dans la gadoue. On sait que le dégel des sols sibériens fait partie des risques globaux d’emballement climatique, du fait des immenses quantités de méthane et de gaz carbonique qu’ils renferment et qui menacent de s’échapper au fur et à mesure que le permafrost se liquéfie, pour alimenter à leur tour l’effet de serre. Paradoxe désespérant, emballement dans l’emballement, que cette Russie qui va à présent mettre les bouchées doubles pour sauver son activité d’extraction de produits fossiles... dont les émissions résultantes vont elles-mêmes hâter la fonte de ces sols gelés.