Chroniques de l’urgence

Le prix du solaire s’effondre

d'Lëtzebuerger Land du 29.05.2020

Les autorités d’Abu Dhabi ont annoncé fin avril avoir attribué à un consortium comprenant Électricité de France (EDF) un projet de deux gigawatts prévu à Al Dhafra, qui devrait être à la mi-2022, quand il sera opérationnel, le complexe solaire le plus étendu de la planète. Le coût le plus bas annoncé par au moins l’un des cinq soumissionnaires était de 1,35 cent de dollar américain par kilowattheure. Au Portugal, moins ensoleillé que le Golfe, un parc de 1,15 gigawatts a été adjugé l’an dernier aux firmes française Akuo Energy et espagnole Iberdrola, avec cette fois un coût-plancher de 1,6 cent par kilowattheure.

En 2010, la fourchette des coûts du kilowattheure solaire allait de 25 à 37 cents. Presque tous ceux qui ont tenté à l’époque de prédire l’évolution du prix de l’énergie solaire se sont lourdement trompés. Ainsi, l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) tablait alors sur un coût moyen légèrement supérieur à 20 cents en 2020, et tout juste au-dessus de cinq cents en… 2050. Les complexes prévus à Abu Dhabi et au Portugal se situent à un tiers environ de cette estimation, avec une trentaine d’années d’avance.

Comment expliquer ces écarts ? Les experts ont semble-t-il sous-estimé deux phénomènes, l’effet d’échelle et l’accumulation de savoir-faire par les industriels de la filière. À mesure que la capacité de production solaire mondiale augmentera au cours des années à venir, le repli du coût unitaire devrait donc encore continuer de s’accélérer exponentiellement. Ramez Naam, investisseur et analyste spécialiste du solaire (qui reconnaît avoir lui aussi largement sous-estimé cette dégringolade, encore que dans une moindre mesure), indique sur son blog que sur cette lancée, on devrait atteindre assez rapidement, pour nos latitudes moins bien loties, un coût unitaire de l’ordre de quatre à cinq cents. À ce compte, selon ses projections, entre 2035 et 2040, le kilowattheure d’origine solaire non subventionné reviendra moins cher, même en Europe du Nord, que celui des centrales existantes les plus performantes qui brûlent du gaz naturel ou du charbon.

Plus d’excuses. Non seulement le solaire est déjà très concurrentiel, mais il est appelé à le devenir bien davantage, et bien plus rapidement qu’on ne l’imaginait généralement. Lorsque l’impératif de justice climatique coïncide ainsi avec des coûts de revient implacablement bas, la défense du status quo fossile devient intenable. Ceux qui s’y accrochent en invoquant le caractère intermittent de l’énergie d’origine renouvelable oublient volontiers que le stockage connaît lui aussi de remarquables baisses de coût. Ramez Naam prend soin de préciser que l’énergie solaire n’est pas la panacée, car il faut décarboner tous azimuts. N’empêche que son coût en chute libre ajoute une flèche précieuse à l’arc de ceux qui veulent préserver un climat viable sur cette planète.

Jean Lasar
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