Ticker du 21 janvier 2022

d'Lëtzebuerger Land vom 21.01.2022

754 milliards d’euros,

c’est le montant de dividendes exonérés (selon la directive mère-filiale) qui ont transité par la juridiction luxembourgeoise en 2018. Le chiffre donne le vertige. Pour le contextualiser, c’est plus que le PIB de l’Afrique du Sud ou de la Colombie. (En 2011, le montant de dividendes exonérés n’était « que » de 141,6 milliards d’euros.) Il se trouve dans la troisième édition de « l’Analyse des données fiscales » publiée cette semaine par le Conseil économique et social (CES), un compendium censé préparer le grand débat d’orientation sur « la modernisation et les défis de notre système fiscal », qui devrait se tenir « au cours de l’année 2022 » (et marquer le début officieux de la campagne électorale). Le CES livre une radiographie très détaillée, soigneusement assemblée par les trois administrations fiscales. À nouveau, le document permet de mesurer la dépendance du Luxembourg vis-à-vis des recettes de la place financière. Et, surtout, de la nébuleuse des sociétés boîte-aux-lettres, mieux connue sous son acronyme officiel de « Soparfi » (photo : sb). « Le secteur des sociétés dites ‘Soparfi’ a connu une accentuation non négligeable, surtout à partir de 2014 [incidemment l’année de Luxleaks, ndlr], pour se stabiliser entre 2016 et 2020 », note le CES. Les Soparfis pèsent 28 pour cent des recettes de l’impôt sur le revenu des collectivités, 26 pour cent de l’impôt communal, 70 pour cent de l’impôt sur la fortune… Kleinvieh macht auch Mist. Autant le diagnostic est précis, autant les propositions restent floues. Alors que le complexe des holdings est constamment sous la pression de la Commission européenne et de l’OCDE (d’Land du 13 janvier), le CES se cache derrière la raison d’État et postule « la difficulté de réduire fortement la dépendance du pays vis-à-vis de son secteur financier ». Il en appelle à « une nécessaire adaptation du système fiscal », puis se met à aligner les adjectifs : « plus compréhensible » « plus transparent », vecteur d’une croissance « durable ». Difficile de faire plus générique. En 1989, le CES avait été plus concret, et ouvertement néolibéral. Dans son avis sur une future « réforme fiscale globale », l’institution tripartite conseillait « d’aménager, de façon concertée, quelques dispositions spécifiques pour stimuler, à Luxembourg, la création, de facto, de sociétés de participation et de holdings, de groupes, sociétés. » Un des principaux « piliers » de ce nouvel ordre fiscal : les « tax rulings ». Mais ce genre de choses ne se dit plus, du moins pas en public. bt

Convergence des luttes

Un nouveau consensus politique s’affirme au Luxembourg. Sur la question immobilière, la convergence entre positions patronales et syndicales se concrétise cette semaine dans le compendium fiscal du Conseil économique et social (CES). L’institution tripartite déclare la guerre à la « rétention » et à la « spéculation », et veut proscrire les bonbons fiscaux réservés aux investisseurs. Les prix immobiliers s’imposant comme le principal frein au développement économique, les fonctionnaires patronaux semblent prêts à s’émanciper de leur traditionnel clientélisme propriétariste envers la bourgeoisie industrielle autochtone, largement reconvertie dans la promotion immobilière. Syndicats et patronat ont donc réussi à se mettre d’accord sur une liste de propositions, étonnamment concrètes.

Le CES ose ainsi s’attaquer à l’autonomie communale, une des vaches sacrées de la politique luxembourgeoise. La crise du logement ayant « un caractère d’urgence nationale », dépassant désormais largement le seul cadre communal, « ce ne sont plus les avis des habitants de chaque commune en particulier qui peuvent prendre le dessus sur les intérêts évidents des habitants du pays dans son entièreté. » C’est plutôt clair : le logement serait devenu un enjeu trop important pour le laisser aux 102 maires et leurs électeurs Nimby.

Le CES revient longuement sur l’impôt foncier (qui ne représente plus que 40,3 millions d’euros de recettes en 2020) et donne ses pistes pour une réforme, annoncée depuis des décennies et dont le gouvernement a promis de dévoiler la teneur cet automne. Le CES plaide pour plus de centralisme : l’application du classement en B6 (terrains à bâtir à des fins d’habitation) et de la taxation qui s’ensuit ne devrait ainsi plus être décidée de manière facultative par les édiles locaux, mais rendue « obligatoire » pour toutes les communes. Citant les études du chercheur du Liser, Antoine Paccoud, le CES revendique que le coût fiscal de la détention de terrains constructibles devienne « assez conséquent pour produire un effet plus prononcé et pour contrebalancer la concentration de ces terrains auprès d’une poignée d’individus et de sociétés ».

Mais le CES ne se cantonne pas à l’impôt foncier. Il réclame également « la réalisation d’un état des lieux exhaustif des différents avantages fiscaux disponibles au profit du logement, puis analyser le déchet fiscal y afférent ». Le CES reprend ici une ancienne revendication de la Banque centrale du Luxembourg, qui rappelait dans son avant-dernier avis budgétaire que les dépenses fiscales sont « un outil des politiques économiques et sociales ». (Elles permettent également de camoufler de gigantesques transferts d’argent public aux propriétaires et aux investisseurs.) Ce n’est qu’en 2015 que ce voile de pudeur a commencé à être levé. Suite aux ordres de Bruxelles, le ministère des Finances commençait alors à publier une liste des dépenses fiscales, mais celle-ci reste toujours loin d’être exhaustive.

Le CES estime que ces cadeaux fiscaux accordés aux seuls investisseurs contribuent à engendrer « un surinvestissement » chauffant les prix immobiliers. Le compendium propose l’abolition ou la restriction de certains stéroïdes fiscaux, à commencer par l’amortissement (« accéléré » et « usure normale ») que l’ancien ministre, Pierre Gramegna (DP), avait voulu entièrement abolir avant de se heurter aux résistances de son propre parti. L’institution tripartite propose également de « limiter » la déductibilité intégrale des intérêts débiteurs qui mènerait à la situation absurde où « plus une personne a un revenu élevé ou accès à du capital propre, plus elle peut s’endetter pour investir dans les logements locatifs et tirer profit de la déductibilité des intérêts ce qui peut même, en combinaison avec d’autres dispositifs, engendrer des revenus de location ‘négatifs’ ». Le CES identifie enfin « la faible imposition des plus-values immobilières » comme un des facteurs contribuant à la surchauffe : « Ce régime d’imposition favorable est partiellement responsable de la forte rentabilité des investissements immobiliers et de la spéculation avec ce type d’actif en général ». Favorisée des décennies durant par le CSV, la politique de la demande est bel et bien morte. Le CES vient de délivrer l’acte de décès. bt

La peine du dentiste revue à la baisse

Un pourvoi en cassation a été déposé ce jeudi matin par les avocats du dentiste fraudeur à l’impôt. Le docteur Jacques L. a pourtant vu sa peine réduite par un arrêt rendu le 21 décembre dernier par la Cour d’appel avec une peine de six mois d’emprisonnement (avec sursis) et 100 000 euros d’amende. « Le Dr L. estime quand même avoir été dispensé du paiement de l’impôt au Luxembourg, alors même qu’il a payé des impôts en Suisse, ce qui pose certains problèmes de principe », justifie son avocat Philippe Penning. Le dentiste luxembourgeois Jacques L. avait écopé de quinze mois d’emprisonnement avec sursis et 300 000 euros d’amende en première instance en avril 2020. Le redressement total (avec intérêts) portait sur sept millions d’euros, un montant énorme à associer au fait que le docteur L. avait déclaré avoir déménagé à l’étranger tout en continuant d’exercer (de 2002 à 2012) à Bonnevoie puis à Mamer à temps partiel, (bien sûr) sans déclarer ses revenus à l’administration luxembourgeoise. Ce que l’Ordre avait fini par dénoncer en 2011. Le dentiste avait demandé en 2003 à être rayé de la liste des contribuables luxembourgeois pour cause d’émigration à Monaco, où son épouse (psychologue et coach sportive) travaillait, et en Suisse où il avait une résidence secondaire. Cet accord de l’Administration des contributions directes avait été compris comme un ruling selon la défense début 2020, un solde de tout compte avec le fisc national. Le Dr L. avait négocié un impôt forfaitaire dans le Valais (photo : sb). pso  

Vers une confirmation de l’accès au LBR

Un juste équilibre. Le régime d’accès au registre des bénéficiaires effectifs luxembourgeois respecte à la fois les exigences en matière de transparence pour la prévention du blanchiment de capitaux et la protection de la vie privée et des données à caractère personnel, selon l’avocat général de la Cour de justice l’Union européenne (CJUE) dans des conclusions publiées ce jeudi. Ce dernier était appelé à donner son avis, généralement suivi par les juges européens, après que la Cour a été saisie par une autre instance judiciaire du Kirchberg… le tribunal administratif du Luxembourg. Celui-ci doit trancher dans un litige opposant deux sociétés enregistrées au Grand-Duché au Luxembourg Business Register (d’Land, 22.10.2021). Le registre des bénéficiaires effectifs a été créé en 2019 dans le cadre de la transposition de la nouvelle mouture de la directive européenne antiblanchiment pour identifier les bénéficiaires ultimes des sociétés. Les informations sont accessibles (gratuitement) au grand public. Des exemptions sont permises à qui justifie une menace créée par ladite publication ou quand l’actionnariat est éclaté. Les deux bénéficiaires effectifs en question ont fait valoir que la divulgation de leurs données personnelles entraîne un risque disproportionné d’atteinte à leurs droits fondamentaux. Le LBR les a déboutés. L’avocat général Pitruzzella considère que la mise à disposition et la divulgation au public des données permettant l’identification de bénéficiaires effectifs, ainsi que l’accès du public à ces données,« constituent sans doute des ingérences dans les droits fondamentaux garantis par la Charte », mais  ces données ne revêtent pas « un caractère de particulière gravité ». À elles seules, ces informations ne permettent pas de tirer des enseignements précis sur la vie privée des bénéficiaires, estime l’avocat général. L’intéressé précise en outre que les États sont tenus d’accorder des dérogations, « dans des circonstances exceptionnelles », quand l’accès public à l’information expose le bénéficiaire à un risque disproportionné d’atteinte à ses droits fondamentaux. pso

La peine du banquier revue à la baisse

Dans un jugement rendu par opposition mercredi, le banquier espagnol de Société Générale Bank & Trust (SGBT) qui avait écopé de six ans de prison en première instance, une condamnation record pour un délit en col blanc, voit sa peine réduite à quatre années d’emprisonnement (dont deux avec sursis). L’amende passe elle de 200 000 à 150 000 euros. Les confiscations portent notamment sur des biens immobiliers acquis au moment de la fraude, entre 2004 et 2008, qui ont pris de la valeur depuis. Francisco de Borja (nom tronqué par la rédaction, photo : mz) est condamné pour avoir effectué 28 millions d’euros de transferts dans le dos de ses clients, principalement des membres de sa famille, causant un préjudice de huit millions d’euros à la banque française. Contacté par le Land, Me François Moyse, l’avocat du banquier (reparti vivre à Barcelone), attend le jugement et un entretien avec son client, pour dire s’il fera appel de la décision. pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
© 2024 d’Lëtzebuerger Land