Ruling Fiat : conclusions surprises
L’avocat général de la Cour de justice européenne (CJUE), Priit Pikamäe, redonne (pour l’instant symboliquement) raison au Luxembourg qui avait accordé en 2012 à Fiat Chrysler Finance Europe (alors Fiat Finance and Trade) un ruling qualifié, en 2015, d’aide d’État cachée par la Commission européenne. Le Grand-Duché avait contesté devant le tribunal de l’UE, mais avait été débouté. L’Irlande, férue de décisions fiscales anticipées pour assurer une sacrosainte visibilité aux entreprises internationales qu’elle courtise, avait contesté la décision des juges européens… à l’inverse du Luxembourg qui a simplement soutenu l’appel formé par le pays du shamrock. Dans ses conclusions rendues ce 16 décembre, l’avocat général estonien propose d’annuler l’arrêt rendu par le tribunal le 24 septembre 2019 (d’Land, 27.09.2019). Priit Pikamäe rappelle que « l’imposition normale » (en opposition à un traitement favorable ou un avantage économique donné à une entreprise par rapport à une autre) doit être déterminée sur la base de normes de droit national, lesquelles intègrent dans les États-membres le droit de l’UE et le droit international. « Le Tribunal a commis une erreur de droit en approuvant l’imposition normale telle qu’identifiée par la Commission (…) et le principe de pleine concurrence employé dans la décision litigieuse n’est pas une règle expressément codifiée dans le droit national », estime l’avocat général. Il conclut ainsi que l’arrêt des juges européens en première instance « méconnaît les dispositions du traité régissant la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres et prévoyant une interdiction d’harmonisation en matière fiscale ». Le prononcé devrait intervenir au mois de février. Le Luxembourg n’a plus qu’un appel en suspens au sujet des rulings accordés à des multinationales : il s’agit du dossier Engie, décision rendue le 12 mai dernier. Le tribunal de l’UE lui a donné raison dans l’affaire Amazon EU Sàrl, jugée le même jour. Le 18 décembre 2019, la Commission avait qualifié d’aide d’État la décision fiscale anticipée accordée par le Luxembourg à Huhtamaki, firme qui fabrique les gobelets pour Starbucks. Le 11 mai 2020, le ministère des Finances a introduit un recours devant le tribunal de l’UE. L’affaire a été plaidée le
12 juillet. (photo: pg) d’Land
Amazon livrée avant Noël
Vu les plaintes du président du tribunal administratif Marc Sünnen au sujet du manque de ressources de sa juridiction lors des plaidoiries du 3 décembre (d’Land, 10.12.2021), nul n’attendait qu’il statue avant la trêve des confiseurs sur le recours déposé par Amazon Europe Core (AEC) afin de suspendre la menace d’une astreinte journalière de 746 000 euros à partir du 15 janvier. Siégeant là en référé, procédure de l’urgence, et hâté par la médiatisation de cette amende record prononcée par la CNPD (Commission nationale pour la protection des données) en juillet dernier contre le leader mondial de l’e-commerce, le magistrat administratif a rendu tout juste deux semaines plus tard une ordonnance de 36 pages dans laquelle il donne raison à Amazon. Le président du tribunal constate « une imprécision certaine » dans le libellé de la décision imposant des mesures correctrices à cette filiale d’Amazon dans les six mois consécutifs à ladite mesure administrative. Marc Sünnen détaille même la procédure qui aurait fait sens à ses yeux. « Il convient d’ailleurs de s’interroger pourquoi la CNPD, à l’instar d’autres autorités de contrôle, plutôt qu’imposer sous peine d’astreinte des obligations indéterminées, n’a pas imparti à la société Amazon un délai dans lequel la société requérante devra lui communiquer toutes les mesures qu’elle entend prendre pour se conformer, pour ensuite exercer son contrôle a posteriori et finalement en conséquence spécifier les obligations avant de contraindre par voie de décision Amazon à s’y conformer sous peine d’astreinte », lit-on dans l’ordonnance. Reste à traiter le fond de l’affaire. AEC s’oppose devant le tribunal administratif à l’amende de 746 millions d’euros prononcée à son encontre. Son paiement est suspendu, tout comme la publication de la décision de la CNPD, jusqu’à l’épuisement des recours. L’autorité luxembourgeoise de protection des données reproche à la filiale d’Amazon d’utiliser les informations de ses clients sans leur consentement. Selon le président du tribunal administratif Marc Sünnen dans son ordonnance du 17 décembre, la fixation de l’affaire pour plaidoiries est « tributaire du calepin et du volume du contentieux (…) » et les délais requièrent aujourd’hui environ un an d’attente, soit début 2023. d’Land
Le milliard pour Cargolux
Les salariés de Cargolux pavoisent et ce n’est pas complètement lié à la féérie de Noël. Une prime de 70 000 euros se profile pour ceux qui tombent sous la convention collective. Ils ont déjà reçu quelque 40 000 euros de prime cette année consécutivement à un exercice 2020 record avec un bénéfice de 769 millions de dollars (626 millions d’euros au cours du 31 décembre de l’année dernière) pour la compagnie nationale de fret aérien. Considérant que la convention collective promet dix pour cent des bénéfices (avant impôts) aux salariés, une règle de trois permet de déduire que Cargolux (photo : ms) atteindra (sauf accident) 1,2 milliard de bénéfices (avant impôts) à la clôture des comptes 2021. La compagnie majoritairement capitalisée par l’État (en direct ou via Luxair, la SNCI et la BCEE) fonce donc vers un nouveau record, à l’instar de ses concurrents tout-cargo. Par exemple, Lufthansa a annoncé en novembre un troisième trimestre 2021 record à 301 millions d’euros (Ebit) pour sa filiale Cargo, un quasi doublement sur un an... Le secteur profite d’une forte demande. Elle est accentuée par la sous-utilisation des capacités du fret en soute d’avions passagers, des goulots d’étranglement dans le transport par les mers et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. d’Land
Concentrez-vous !
Le ministre de l’Économie, Franz Fayot (LSAP), réfléchit à l’introduction d’un contrôle préalable des acquisitions-fusions, un dossier auquel aucun de ses deux prédécesseurs socialistes n’avait osé toucher. Face au Land, le ministère de l’Économie explique « évaluer les différentes options envisageables en étroite collaboration avec le Conseil de la concurrence ». Une consultation publique devrait ainsi être lancée au cours du premier trimestre 2022. Le Luxembourg est le seul pays de l’Union européenne à ne pas s’être doté d’un tel mécanisme. À part les médias, toutes les firmes luxembourgeoises peuvent fusionner comme bon leur semble, sans qu’une autorité n’évalue les dommages potentiels d’une telle alliance et les risques d’asphyxie pour le marché. Les concentrations sur le marché luxembourgeois passent également sous le radar bruxellois. La Commission européenne ne s’intéresse qu’aux fusions à partir d’un certain seuil de grandeur. Un seuil que le Luxembourg n’aura atteint qu’une fois, lors de la fusion entre Arcelor et Mittal. En 2014 encore, Franz Fayot (photo : sb), alors président de la commission de l’Économie à la Chambre, estimait que « la structure même d’un marché de la taille du Luxembourg favorise la formation de monopoles ou de marchés avec très peu de concurrents, donc très concentrés. Dans ces conditions, est-il désirable de limiter les concentrations ? » Le ministre d’aujourd’hui pense-t-il autrement que le député de jadis ? La réponse pourrait embêter les frères Giorgetti qui viennent d’entrer à hauteur de 35 pour cent dans le capital de leur ancienne concurrente CDCL. bt
Guerre des robes
Le procès et ses séances vaudevillesques avaient provoqué des crispations entre le barreau et la magistrature (d’Land du 2 juillet et du 26 novembre). Le juge d’instruction Filipe Rodrigues accusait l’avocat pénaliste André Lutgen (photo : sb) d’avoir tenté l’intimider en lui envoyant, en mai 2019, un mail demandant la levée de scellés sur l’armoire électrique (sur laquelle un ouvrier s’était mortellement électrocuté) chez Arcelor-Mittal Differdange. Surtout que Lutgen avait ensuite transmis ce mail à la procureure générale, Martine Solovieff, ainsi qu’aux ministres de la Justice, Felix Braz, et de l’Économie, Etienne Schneider. Ce jeudi, le jugement est tombé. Il s’agit d’un succès en demi-teinte pour André Lutgen. Exonéré de l’accusation d’intimidation, il a été jugé coupable pour « outrage à magistrat » et condamné à une amende de 2 000 euros. La partie civile (le juge d’instruction) a eu droit un euro symbolique pour son préjudice moral et à 750 euros d’indemnités de procédures. (Les parties disposent de quarante jours pour faire appel.) bt
Nicht kleckern
Avant de partir à la retraite en février dernier, le directeur des Bâtiments publics, Jean Leyder, avait lancé un livre présentant un best-of des réalisations de son administration sur les dix dernières années. Intitulé 111 projets – 2010-2021, l’ouvrage est sorti cette semaine. Il montre surtout à quel point l’offre scolaire s’est élargie, avec des nouveaux lycées qui ont poussé comme des champignons de Clervaux à Differdange. L’État luxembourgeois a les moyens de dépenser sans compter : 85 millions d’euros pour la « rénovation de fond en comble » de l’Athénée, 65 millions pour celle du Lycée Michel Rodange, 35 millions pour l’assainissement énergétique du Lycée des arts et métiers. Quant aux nouveaux lycées, ils coûtent 79 millions d’euros pour le Lycée Edward Steichen (Clervaux), 107,5 millions pour la nouvelle Ackerbauschoul (Gilsdorf), 131 millions pour le Lënster Lycée, 145 millions pour l’extension et la rénovation de l’ancienne Ackerbauschoul (Ettelbrück), 145 millions pour l’École internationale de Mondorf-les-Bains, 157 millions pour le Nordstad-Lycée (Erpeldange-sur-Sûre), 201 millions pour la Deuxième École européenne et sa garderie d’enfants, 230 millions pour le Lycée Gabriel Lippmann à Bonnevoie. En 2014, Michael Jackson, un des premiers managers de Skype, se rappelait dans le Financial Times avoir été personnellement remercié par le ministre du Trésor pour les 25 millions en recettes de TVA, avec les mots : « Ceci est le coût d’une école ». Pas tout à fait. bt