Bernard Arnault résiste au fisc
Le tribunal administratif devait ce mercredi lever le voile sur les recours engagés par six sociétés luxembourgeoises de Bernard Arnault contre des injonctions de l’Administration des contributions directes en matière d’échange de renseignements fiscaux. Selon les informations du Land, les avocats de l’homme le plus riche de France (notamment PDG du groupe LVMH, détenteur de la marque Louis Vuitton, photo : sb) et celui du fisc ont décidé de s’en tenir aux échanges écrits dans cette contestation de demande d’informations fiscales en provenance de France au sujet de Westley International, Delcia, Bunt, Escorial Development, Cervinia Europe et Renaissance 1849. Au registre des bénéficiaires économiques, Bernard Arnault, 72 ans, est identifié comme l’unique détenteur des droits de vote de quatre de ces entités. Deux ont été radiées. Celles encore actives sont logées chez un expert-comptable du quartier Gare, SFC Fiduciaire. Certaines ne disposent même pas de boîte aux lettres. L’enquête #Openlux publiée en février 2021 a révélé que LVMH opérait 26 filiales au Luxembourg en 2020. Son PDG Bernard Arnault en détenait 31 à titre personnel. Dans une réponse au quotidien Le Monde, membre du collectif d’enquête, le groupe de luxe assure que sa présence au Luxembourg « répond à des considérations opérationnelles et non à la recherche d’avantages fiscaux ». « Bernard Arnault n’a pas souhaité s’exprimer sur ses holdings personnelles », écrit encore le quotidien du soir. Les affaires devant le tribunal administratif ont été prises en délibéré de facto ce mercredi. Un jugement interviendra dans les prochaines semaines. Il déterminera si les sociétés de Bernard Arnault devront, ou non, communiquer les informations demandées par les administrations fiscales. Un appel pourra le cas échéant être interjeté. Les avocats du milliardaire au Luxembourg se cantonnent au silence, derrière de prétendues « obligations professionnelles ». pso
La blanchisseuse russe ressurgit à Merl
Les révélations Troika Laundromat de mars 2019 n’ont pas donné à l’ancien ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) le sentiment d’avoir subi une « attaque ». Et pour cause, le centre financier luxembourgeois n’a, a priori, pas accueilli trop des 26 milliards d’euros disséminés à travers le monde par des oligarques et politiques russes derrière des sociétés écran. En tout cas, les journalistes de l’OCCRP (Organized crime and corruption reporting project) ayant étudié les « leaks » de la banque Troika Dialogue, qui aurait organisé ledit blanchiment de l’argent douteux entre 2004 et 2013, n’ont pas ciblé le Grand-Duché. La Lituanie (6,5 milliards d’euros), la Suisse (2,6 milliards) et l’Allemagne (un milliard) occupent le podium des juridictions ayant accueilli le plus de fonds, selon l’infographie du collectif. Un jugement sur accord rendu le 2 décembre par le tribunal correctionnel du Luxembourg informe néanmoins d’un lien direct entre les révélations et le Grand-Duché. La fiduciaire Di Fino a ainsi été épinglée pour n’avoir pas signalé (comme elle aurait dû le faire) à la Cellule de renseignement financier (CRF), lors des révélations de mars 2019, la présence parmi ses clients de l’homme au coeur du Troika Laundromat : Ruben Vardanyan, patron et actionnaire principal de la banque russe.
La législation anti-blanchiment impose aux opérateurs financiers de signaler aux autorités les transactions liées à leur clientèle faisant l’objet d’articles de presse négatifs. Or, la fiduciaire créée en 2004 par Luca Di Fino et Eyal Grumberg (alors inscrit au barreau, mais qui l'a entretemps quitté) domiciliait une société appartenant à Ruben Vardanyan depuis juin 2014: Quinta Greentech Investments. En mars 2019, la presse néerlandaise parlait également d’une entité au nom proche, Quinta Capital Partners, gérant les actifs du multimillionnaire russo-arménien et soupçonnée d’être « contaminée ». Au Luxembourg, l’instruction a levé le lièvre suite à une dénonciation de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) en avril 2019. Le régulateur avait signalé au parquet la relation d’affaires entre Quinta Greentech Investments et une banque luxembourgeoise, croyant (à tort) que celle-ci n’avait pas agi. L’instruction menée contre inconnu du chef de blanchiment et de non-respect des obligations professionnelles montrera que l’établissement de crédit avait dûment communiqué ses doutes aux autorités anti-blanchiment. La fiduciaire dont le slogan est « we can crack every tough nut » avait, elle, bien identifié le bénéficiaire économique de Quinta à la mise en relation en mai 2014, mais par ses perquisitions menées le 14 mai 2020, la police a constaté « qu’au fil des années », le dossier est devenu « dormant »… en fait jusqu’à septembre 2019 (soit six mois après les révélations) quand l’épouse de Ruben Vardanyan, Veronika Zonabend, est devenue le bénéficiaire économique de la société.
Dans son jugement de décembre, la chambre présidée par Stéphane Maas fait preuve de clémence. Les magistrats tienent compte du plaidé coupable, de la coopération de la fiduciaire, « par l’intermédiaire de son gérant » (qui aurait pleinement coopéré mais qui, assez étrangement, est inculpé lors de l’instruction mais pas prévenu au procès), de « l’existence de procédures internes adéquates en matière de lutte contre le blanchiment » (sic) et de l’absence d’antécédents judiciaires, Fiduciaire Di Fino Associés est condamnée à 10 000 euros d’amende.
Mais Di Fino ne dormait pas tant que ça. On trouve au registre du commerce une deuxième société liée à Ruben Vardanyan domiciliée boulevard Pierre Dupong : Sunique. Cette coquille vide avec pour actionnaire la « BVI » Bayvale Enterprises et administrateur Plutus Limited, immatriculée à Guernesey, a procédé en 2015 a des échanges d’actifs avec Greentech Investments : des parts de la Joule Global Foundation, une « Stichting » néerlandaise du multimillionnaire liée à la société américaine du même nom (Joule) de Vardanyan, active dans l’énergie (et au conseil d’administration de laquelle on a trouvé au début des années 2010 le conseiller des Clinton, John Podesta).
Enrichi notamment par la vente de Troïka à Sberbank entre 2011 et 2015, Ruben Vardanyan opère également dans la philanthropie. Avec son épouse Veronika Zonabend, il a créé une fondation et un prix récompensant des œuvres charitables, Aurora Prize for awakening humanity. Le principe : son lauréat désigne trois autres œuvres comme bénéficiaire de la somme d’un million d’euros. La première impétrante en 2016 (un prix remis des mains de Georges Clooney), Marguerite Barankitse pour son initiative Maison Shalom (de refuge à réseau d’écoles pour aider les enfants dans le besoin au Burundi), a ainsi désigné parmi les trois destinataires des fonds : la Fondation du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse du Luxembourg. pso
Un nouveau cab’ en pénal des affaires
Le prestigieux cabinet Temime, leader du droit pénal des affaires dans l’Hexagone voisin, ouvre un bureau à Luxembourg. Ce développement intervient dans le cadre d’un accroissement du volume de dossiers du genre au Grand-Duché, fait savoir Gwennhaëlle Barral, en charge de l’ouverture du bureau sur l’avenue de la Liberté. L’intéressée, qui prêtera serment le 17 février et intègrera la liste 1 du Barreau de Luxembourg, a secondé Hervé Temime l’an passé dans l’affaire des montres de Flavio Becca. Hervé Temime, véritable star des prétoires en France, avait été mandaté (au titre d’avocat codésigné en soutien d’Arsène Kronshagen) par l’entrepreneur luxembourgeois. Celui-ci comparaissait pour abus de biens sociaux pour avoir acheté plus de 800 montres par l’intermédiaire de sociétés immobilières ou de restauration. Flavio Becca, 59 ans, avait finalement écopé de deux ans de prison avec sursis, de 250 000 euros d’amende et de la confiscation de 523 montres de luxe, une condamnation frappée d’appel.
Au-delà de ce dossier éminemment médiatique, le cabinet Temime entend soutenir une demande locale en contentieux des affaires, potentiellement alimentée par les dossiers européens en provenance de la Cour de justice de l’UE ou du Parquet européen en charge des atteintes au budget de l’UE. pso
Les données de la banque à JP
Le géant bancaire américain installé au Senningerberg, la plus grosse banque luxembourgeoise en volume d’actifs, abandonne sa licence locale dans une démarche de rationalisation de ses activités européennes après le Brexit (d’Land, 2.7.2021). L’édition weekend du Figaro rapporte que la banque fondée par John Pierpont Morgan en 1872 (photo : CC) amasse des effectifs à Paris depuis le Brexit, mais qu’elle reste à l’écoute du régulateur européen pour orienter sa substance dans les mois à venir. Le quotidien français évoque en outre les réflexions de l’établissement américain sur la localisation de ses centres de données, toujours basés au Royaume-Uni. « J.P. Morgan étudie une implantation au Luxembourg, avec l’espoir de (…) conserver ses solutions de cloud sous juridiction américaine ». Contactée, la banque décline (depuis Londres) tout commentaire, mais une source souligne le caractère « spéculatif » de l’information. Interrogé sur la possibilité d’extraterritorialité pour le stockage des données à l’image des ambassades numériques estonienne et monégasque, un entrepreneur du secteur explique qu’il s’agirait d’une innovation. Contacté, le ministère des Affaires étrangères explique que, de manière générale, conformément au droit international public en matière d’immunité des États, les projets d’ambassades de données « ne couvrent que les données rentrant dans le cadre d’un État à proprement parler ». Les privilèges et immunités découlant du statut d’e-embassies « ne sauraient être étendus à des données commerciales », affirme le ministère de Jean Asselborn (LSAP). Le MAE déclare en outre que le Grand-Duché ne discute pas d’un projet états-unien d’ambassade de données. pso