Ticker du 17 decembre 2021

d'Lëtzebuerger Land vom 17.12.2021

Merger-control

Dans un communiqué de presse calibré au millimètre près, les groupes de la construction Felix Giorgetti et CDCL ont annoncé cette semaine « rapprocher leurs activités ». Dans leur communication officielle, les deux entreprises prennent beaucoup de soin de présenter ce « rapprochement » comme « un partenariat stratégique » entre égaux. Mais que cela sent quand même le rachat progressif par le groupe Giorgetti, qui annonce d’ailleurs prendre « une participation minoritaire » chez CDCL, sans que CDCL en fasse de même chez Giorgetti. Les deux entités disent continuer à « opérer de façon indépendante », même si « des projets d’envergure pourront néanmoins être réalisés ». Face à Paperjam, le président du conseil d’administration de CDCL, Jean-Marc Kieffer, précise qu’« à l’avenir, il y aura sans doute le projet d’une entreprise commune », mais qu’il serait trop tôt pour en dire plus. (Kieffer tient également à « réfuter toute rumeur concernant les difficultés financières » de son groupe.) Après son alliance avec Kuhn en 2006, Marc Giorgetti consolide donc sa position sur l’échiquier immobilier. Le Luxembourg est d’ailleurs le seul pays de l’UE à ne pas connaître de contrôles fusions-acquisitions, ni même d’obligation de notification. (En 2009, le ministre de l’Économie Jeannot Krecké et son lieutenant Etienne Schneider ne voulaient pas que le Conseil de la concurrence vienne se mêler de leur projet-phare, Enovos.) Selon nos informations, le ministère de l’Économie analyserait actuellement l’opportunité d’introduire un tel merger-control. bt

Grill tarifaire

À partir du 1er janvier 2022, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) augmente sa grille tarifaire. Pour les banques, fonds d’investissement, holdings et firmes d’audit, les prix montent. La CSSF n’étant pas financée à travers le budget de l’État, elle doit assurer les frais de son propre fonctionnement, ce qu’elle fait via les taxes et sanctions collectées auprès des entités surveillées. Or, le coût de la surveillance est passé de 93 millions d’euros en 2017 à 136 millions en 2020. Les tarifs et taxes forfaitaires devaient donc suivre. Une banque soumettant sa demande d’agrément devra désormais compter 50 000 euros de « forfait unique » (15 000 euros jusqu’ici), tandis que la nouvelle fourchette des « forfaits annuels » des banques se situera entre 97 000 et 407 500 euros (une augmentation de 12 000, respectivement 58 000 euros). Les firmes d’audit payeront deux fois plus cher les demandes d’accès au stage, qui passant de 500 à mille euros par demande. (Étant donné le nombre de stagiaires avalé tous les ans par les Big Four, cela devrait donner une jolie somme.) Les fonds d’investissements restent, eux, largement épargnés par cette hausse des prix. Ils voient même certaines taxes légèrement baisser. Quant aux coûts des visites « on-site », ils restent fixés à 10 000 euros pour chaque contrôle sur place effectué. Assujetties depuis ce printemps au contrôle de la CSSF, les compagnies financières holdings devront s’accommoder d’un forfait unique de 15 000 euros et d’un forfait annuel de 2 000 euros. Ces réajustements de la grille ont lieu tous les trois ans et font traditionnellement l’objet de vives discussions au sein du conseil d’administration de la CSSF, qui réunit représentants des lobbys financiers (ABBL, Alfi, firmes d’audit) et hauts fonctionnaires du ministère des Finances, le tout sous la présidence de la haute fonctionnaire Maureen Wiwinius venue remplacer Isabelle Goubin. Ce sont surtout les effectifs de la CSSF qui ont explosé, passant de 683 en 2018 à 856 en 2021. Alors qu’il s’agit d’employés hautement spécialisés et rémunérés, un tel accroissement a évidemment son prix. Mais la CSSF n’avait pas vraiment le choix. Afin de ne pas finir marginalisée par la Banque centrale européenne au lendemain de la crise financière de 2007, elle dû se donner les moyens et se hisser à la hauteur des nouvelles exigences internationales. On en est donc loin de la petite autorité qui comptait une centaine d’employés pour surveiller un marasme offshore pullulant. Cette époque de l’« autorégulation » et des « gentlemen’s agreements » est définitivement révolue. (Dans les années 1980 à 2000, le régulateur externalisait ainsi le contrôle des banques aux firmes d’audit, qui, elles, n’étaient contrôlées par personne.) Mais la CSSF ne dispose pas seulement des taxes pour financer son fonctionnement, les amendes administratives aident également à boucher les trous de ses cycles budgétaires pluriannuels. Le régulateur dispose d’une large latitude pour la fréquence ou la sévérité de ces sanctions qui touchent désormais aussi les grandes banques systémiques telle que la BIL (4,6 millions d’euros en 2020). bt

L’autorité (fantoche) de l’audiovisuel se rebiffe

Dans un avis signé par son conseil d’administration lundi, l’Autorité luxembourgeoise indépendante et de l’audiovisuel (Alia) critique vivement le projet de loi modifiant la loi électorale et notamment la surveillance de la campagne électorale dans les médias. L’on se souvient lors des élections européennes de 2019 du refus de RTL de diffuser des spots en français et des tergiversations consécutives pour clarifier l’utilisation des langues par les partis politiques locaux dans leur campagne… puis finalement du volte-face du média chargé du service public. Par son projet de loi 7877, l’exécutif ambitionne de conférer durablement à l’Alia la surveillance du pluralisme politique lors des campagnes pour les élections. Mais, selon l’Alia, le texte ne donne pas de « moyens d’action réels » et « ne permet pas de surveiller la réalisation d’une présence médiatique équilibrée des différents partis politiques et groupements de candidats se présentant aux élections ». « L’Alia peine à déceler les véritables intentions des auteurs du projet en recourant au concept de principe directeur », écrit le CA de l’Alia, composé de juristes de haut niveau. Les Thierry Hoscheit, président de chambre à la Cour d’appel, Valérie Dupong, bâtonnière, ou encore Luc Weitzel, référendaire à la CJUE depuis 32 ans, préconisent l’édiction de règles concrètes. Selon les amendements proposés par l’exécutif, l’Alia se retrouve davantage dans une position de facilitateur et de coordinateur, puisqu’il s’agit d’élaborer des principes en concertation avec les partis et les chaînes, que d’autorité. L’Alia désapprouve en outre que le périmètre d’application de la loi modifiée ne couvre que le plan de diffusion des spots électoraux et le décompte du temps de parole sur les seuls services publics, RTL et la Radio 100,7. « L’Alia regrette que le gouvernement ne se soit pas fixé des objectifs plus ambitieux et n’ait pas prévu, dans le cadre de la modification législative à intervenir, de mettre en place des moyens de contrôle qui permettraient de veiller à ce que toutes les sensibilités puissent être représentées équitablement dans les services de télévision et de radios destinés au public résident au cours des périodes électorales sur l’intégralité du temps de diffusion », écrit-elle. L’autorité pointe du doigt l’abandon des autres canaux et notamment les télévisions communales qui « entretiennent de forts liens avec les collèges échevinaux en place ». Est enfin critiqué l’ignorance du gouvernement sur les moyens nécessités pour l’accomplissement de ce mandat de surveillance. La fiche financière du projet de loi n’envisage pas d’impact sur le budget de l’État. L’établissement public juge que, quel que soit le périmètre de surveillance retenu, une telle mission aura un impact financier et estime très précisément le coût de chaque hypothèse, sur base d’une durée de surveillance de six semaines. L’Alia souffre d’un manque de considération chronique depuis sa création fin 2013. Cela se voit aux moyens qui lui sont alloués. Dix personnes veillent sur 350 chaînes domiciliées au Grand-Duché. Ses pouvoirs sont extrêmement restreints (25 000 euros d’amende maximum) face à ceux à disposition d’autres régulateurs comme le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) en France. À l’heure de la polarisation des débats politiques et de l’appropriation du monde médiatique par des personnes fortunées, les auteurs de l’avis regrettent que le gouvernement ne prenne pas la mesure des enjeux d’une surveillance effective des campagnes électorales. d’Land

Où sont passées mes pantoufles ?

L’information, officialisée il y a deux mois au Registre de commerce, est largement passée inaperçue : l’ancienne directrice du Trésor, Isabelle Goubin, a intégré le CA de la Société Générale Luxembourg fin mai. Avec 1 200 salariés, la banque française compte parmi les heavy weights de la place bancaire. Quelques semaines à peine après son départ du ministère des Finances, acté le 1er octobre 2019, Goubin avait intégré le CA de la banque privée genevoise Pictet. Pas de période de cooling off donc pour celle qui avait aussi présidé la CSSF. Il sera intéressant de voir où atterrira son ancien chef, Pierre Gramegna (DP), après son départ de la rue de la Congrégation en janvier 2022. Gramegna (photo : Hadrien Friob) est un habitué du cumul des postes de CA. Surtout de ceux qui rapportent. Nommé directeur général de la Chambre de commerce en 2003, il avait eu droit à un joli package : BGL BNP Paribas, Cargolux (dont il fut président entre 2004 et 2008), Bourse de Luxembourg, SNCI, LuxExpo… Financièrement parlant, sa nomination ministérielle a donc été une dégradation. Comme l’avait prouvé le cas Etienne Schneider, les limites fixés par le code de déontologie aux pratiques de pantouflage s’avèrent poreuses, voire inopérantes. La dernière version interdit aux anciens ministres, pour les deux ans qui suivent la fin de leur mandat, de « divulguer des informations non accessibles au public obtenues lors de leur fonction ou de donner à leurs clients, leur entreprise, leurs associes en affaires ou leur employeur des conseils fondés sur ces informations et d’en tirer ainsi un avantage ». Le Greco (Groupe d’États contre la corruption) avait attiré l’attention sur les lacunes du Code de déontologie, et le gouvernement planche actuellement sur une nouvelle version, afin de se mettre en conformité avec les recommandations du watchdog du Conseil de l’Europe. Ces travaux de révision devront être terminées fin mars 2022, apprend-on au ministère de l’État. bt

Bernard Thomas
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