Blasphémie

Les fous du foulard

d'Lëtzebuerger Land vom 28.09.2012

Qu’ils sont barbants tous ces barbus qui défendent jusqu’Allah mort celui qui n’est pas prophète au pays de la démocratie et de la liberté d’expression. Certes, la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre, mais on voit mal comment le plaisir du mécréant de blasphémer et de caricaturer puisse entraver la peine du croyant de prier et de communier. Et encore moins comment la bêtise et la haine de l’imbécile copte qui a commis le navet Innocence of Muslims puisse porter atteinte à l’islam, autrement mis à mal par le questionnement intelligent et parfois drôle des Versets sataniques de Salman Rushdie ou encore la une Intouchables 2 de Charlie-Hebdo. Dans cette dernière, votre serviteur aurait même plutôt tendance à voir un appel à la tolérance et à l’œcuménie. Mais pour cela, il faut être de bonne foi à une époque où les croyants fondamentalistes ont la foi mauvaise et manient la calotte et le bâton, la kippa et la truelle, le voile et la violence. Car, si l’Internationale communiste semble avoir vécu, l’Internationale monothéiste a encore de beaux (?) jours devant elle avec sa cohorte de fidèles qui semblent tous atteints de monomanie que les aliénistes tiennent pour une forme clinique de la psychose paranoïaque. Les psychiatres actuels sont ainsi moins indulgents que leur aîné Freud, qui voyait dans la religion une simple forme de névrose. Les fidèles du Dieu unique se montrent ainsi monomanes et polygames côté musulman, monomanes et bigots côté chrétien, monomanes et polyglottes côté juif. Dieu reconnaîtra les siens.
Dans un ancien article, Yvan a rappelé que carricature s’écrivait jadis avec deux r  et que le terme désignait alors le chargement d’une lourde marchandise. De là à insinuer que Charlie-Hebdo, à part la une suscitée, ait lourdement chargé le trait, il n’y a qu’un pas que je franchis volontiers en me désolant que la dernière page rejoint l’ineptie du navet Innocence of Muslims. Mais toujours est-il que pour blasphémer, il faut croire en Dieu, et force est alors de constater que les gribouilleurs de Charlie ont tout au plus insulté le prophète, là où l’imam pakistanais, qui a brûlé récemment quelques pages du Coran pour nuire à une petite catholique trisomique, a bel et bien blasphémé.
Rappelons enfin que la liberté des uns prolonge celle des autres. Et si les antéchrists et autres  mécréants sont libres de caricaturer les prophètes et leurs divins maîtres, les croyants sont libres de manifester leur désaccord (n’est-ce pas Monsieur Valls ?) et d’exhiber leurs croix, kippas et autres foulards (n’est-ce pas Madame le Pen ?) … et les flics et les juges libres d’arrêter et de condamner les uns et les autres s’ils enfreignent les lois de la Cité.
Pour lutter contre la peur de la mort, l’humanité a inventé deux remèdes : l’humour et la religion, le second étant parfois pire que le mal qu’il est censé combattre. Les Juifs qui, en réinterprétant sans cesse leurs textes sacrés, en ne prenant jamais le mot pour la chose, sont peut-être les seuls à mettre un zeste d’humour dans leur religion : ils veulent bien croire en Dieu à condition que le Messie ne se pointe jamais. Et si les intégristes relèvent chez eux aussi le bout de leur nez haineux, ils ne pourront jamais cependant, pas plus que les nazis, arriver à bout des histoires juives, dont celle-ci : Nous les Juifs n’avons qu’un seul Dieu, auquel nous ne croyons pas.
Disons-le donc plutôt deux fois qu’une : mieux vaut avoir deux fois qu’une, une en l’homme, une en la femme. Amen !

Yvan
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