Point, point, virgule et trait,
Le visage a son attrait.
C’est avec ce refrain qu’enfants nous avons appris à dessiner. À la veille des élections, les politiques veulent réaliser leurs desseins en misant sur l’attrait des 1 000 yeux du docteur J’abuse qui observent le chaland, comme le font les caméras de surveillance, installées un peu partout dans l’espace public. Ces visages se veulent être le grand frère et la petite sœur qui nous couvent du regard, non pas pour nous surveiller, mais pour nous promettre des lendemains qui vont chanter, forcément chanter, à condition, bien-sûr, de voter pour la bonne tronche, celle qui nous veut du bien, et non pas pour le mauvais œil que nous jette celle d’en face. Le trottoir est devenu le quartier chaud où ces prostitués prêchent pour leur chair, n’épargnant pas, évidemment, les réseaux sociaux. Depuis quelques semaines, en effet, votre serviteur est courtisé sur son compte Facebook par une foule de gens qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam pour lui proposer leur amitié. Flatté dans son ego, il a dû ravaler sa fierté en en se rendant (enfin) compte que le 8 octobre approche. Et que ces bonnes bouilles ne se sont pas gênées d’utiliser la même image que celle qui fleurit comme de la mauvaise herbe à tous les coins de rue. Il est vrai que le panachage est un des rares sports nationaux où le Luxembourg excelle, et que cette inénarrable pratique favorise le vote pour des gueules plutôt que pour des têtes, pour des slogans plutôt que pour des idées. Ce n’est pas pour rien qu’un certain nombre de ces affiches s’appellent « Hohlkammerplakate », la chambre creuse qui sépare l’espace entre le recto et le verso rappelant fâcheusement le vide cérébral que le scanner détecte chez les déments.
Mais prenons garde de ne pas verser dans le populisme et de jeter le candidat avec le vin qu’il avale goulûment en ces temps de campagne. Rappelons à cet effet que le mot candidat remonte à l’antiquité latine où les brigueurs de suffrages revêtaient une toge candide, blanche donc, symbolisant leur innocence et leur droiture. Saluons donc celles et ceux qui, derrière cette apparente démagogie, affichent non seulement leur binette, mais aussi un formidable courage. Et relisons, à côté de l’inepte prose électorale, le philosophe Emmanuel Levinas qui a remplacé l’Estre, cher à son maître Heidegger, par l’autre, ce grand Autre dirait Lacan, que les politiques viennent aujourd’hui apostropher. Car derrière la drague, on peut aussi déceler, parfois, un appel. Une invitation à penser et choisir autrement, une promesse de solidarité. Cet appel se fait, en ces jours de campagne, par le visage. Les théoriciens de la forme, de la Gestalt, ont montré que le visage est plus que la simple somme des éléments de la face. La véritable rencontre entre deux sujets humains se fait à travers le visage, dit Levinas, philosophe franco-lituanien, rescapé de la Shoah. Or, cette rencontre est à chaque fois une aventure qui n’est pas dénuée de risques, banalement électoraux en politique, mais aussi noblement existentiels dans la vie. La nudité du visage tendu à l’autre est le signe de la plus fondamentale vulnérabilité de l’être humain, ajoute Levinas. Le visage que le candidat affiche n’est donc pas seulement le faciès, c’est aussi, parfois, la joue (gauche pour les unes, droite pour les autres) que candidates et candidats tendent à l’autre, au sens métaphorique et non christique du terme. On peut gifler cette joue ou au contraire la caresser, lui donner ou refuser sa voix. La loi électorale luxembourgeoise oblige électeurs passifs et électrices actives à ne pas pouvoir s’abstraire de cette rencontre dont découle leur responsabilité. En politique cela s’appelle la morale. Et au-delà de la métaphore électorale commence l’éthique. À bon électeur, salut !
Ceterum censeo : le panachage est aux élections ce que le panaché est à la bière : un ni-ni, une faute de goût ! Permixtionem delenda est ! (avec la complicité de Ian)