La trêve des confiseurs, grands pourvoyeurs de voix de la majorité municipale de Luxembourg, attendra Noël, mais aurons-nous droit à la grève des confiseurs, cette bande organisée qui sera interdite sous peu de fourguer ses mendiants au centre-ville, fief des Oberweis, Namur et co ? Gageons que nous allons les regretter, ces délicieux palets de chocolat, surmontés de quatre fruits secs symbolisant les quatre ordres mendiants du Noël provençal : Les raisins pour les Augustins, les noisettes pour les Carmes, les figues pour les Franciscains et les amandes pour les Dominicains. Rappelons que ces ordres datent du haut Moyen-Âge et qu’ils devaient leur survie à la charité et à la générosité de leurs concitoyens. Jusque bien au-delà du Moyen-Âge, les mendiants (en chair et en os, pas en chocolat) remplissaient un rôle bien défini et utile dans une société non encore sécularisée : ils (dé)montraient aux croyants la vanité des choses, ils rendaient possible et nécessaire la charité, garantissant ainsi la pérennité d’un monde où Dieu, dans son immense sagesse, avait mis chacun à sa place. Ce n’est donc pas un hasard que souvent les mendiants étaient des saints, mettant à l’épreuve le brave croyant. Dès la fin du 19e siècle, cependant, l’avènement de l’État-providence allait rendre caduque ce rôle de liant sociétal du mendiant qui endossait désormais la fonction ingrate d’un surmoi sévère, de la mauvaise conscience du petit-bourgeois repu de son taux de cholestérol mal acquis. Et les Tartuffe du conseil échevinal du Knuedler de s’écrier alors : « Couvrez ce saint, que je ne saurai voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. » À commencer par le conseiller Paul, redevenu Saul pour l’occasion, qui tremble d’attraper la gale en enjambant une mendiante qui lui semble barrer le chemin vers les temples de la consommation. Celui qui fait du catholicisme « de gauche » (sic) son cheval de bataille électoral, imite bien mal les évangiles en chassant les mendiants du temple.
Pas de palets devant le palais ! Mendier des voix, d’accord, mendier des (petits) pois, interdit ! Lydie s’allie à Gaston pour livrer bataille à la racaille qui empêche nos ripailles. Sus aux gobelets braqués comme des armes de destruction massive contre le plaisir de dé-penser en rond ! Mais qui interpellera désormais nos « immer verstocktere Herzen » ?1 Le pays des banques qui interdit aujourd’hui les bancs publics aux mendiants les fermera demain aux amoureux qui s’y bécotent « en s’foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes »2. L’ultralibéralisme qui triomphe hic et nunc affirme haut et fort que les pauvres sont responsables de leur misère, alors que les héritiers méritent leur richesse.
Les mendiants ne viennent plus isolément de la Méditerranée mais en bande organisée de la mer Noire, clament nos édiles qui disent protéger ces pauvres esclaves de leurs souteneurs. À suivre cette logique, il faudra désormais interdire les patrons dont les usines sont responsables de tant d’accidents de travail. Qu’en disent les socialistes ? À Luxembourg, ils se sont opposés à l’interdit avec un beau mouvement de menton, omettant de rappeler que dans leurs bonnes villes de Diekirch et, dans une moindre mesure, de Dudelange de tels interdits existent depuis belle lurette, sans que personne n’y trouve à redire. Le consensus des philistins a de beaux (?) jours devant lui, à moins que l’électeur, en juin, clame haut et fort qu’il entend écouler sa petite monnaie comme bon lui semble. L’électrice se souviendra alors de la leçon du philosophe Emmanuel Levinas pour qui la rencontre avec le visage d’autrui constitue l’ultime expérience de la liberté. Face à l’extrême vulnérabilité du visage qui se tend à moi, je me trouve confronté à une responsabilité aussi inouïe que violente : je réponds présent ou je passe mon chemin. C’est dans cette rencontre que se joue l’essence de l’Être.
Le collège échevinal vient de montrer que pour lui « l’Evangile c’est de l’hébreu».3.