L’Harmattan, bien que n’étant pas une maison d’édition réputée pour sa philanthropie, publie des auteurs remarquables tels Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor ou encore Jacques Attali. C’est d’ailleurs chez L’Harmattan qu’ont paru les quatre essais philosophiques de Jacques Steiwer. Gage de sérieux et de qualité pour cet enseignant amené à l’écriture par la philosophie. Mais voilà, depuis Pascal, rien n’a changé ; le cœur a toujours ses raisons que la raison ne connaît point. Bref, de l’essai philosophique au roman policier, il n’y a pas qu’un pas. Et c’est donc une bien belle déconvenue que nous cause la lecture du premier roman policier de Jacques Steiwer, Du gâchis chez les Luxos.
Le roman policier, quoique genre affectionné par le public (une vente sur cinq !), reste le parent pauvre de la littérature. Il est d’ailleurs souvent catalogué de sous-littérature. Preuve en est, la référence en matière de reconnaissance littéraire, la Bibliothèque de la Pléiade, dans le sein de laquelle le premier auteur de romans policiers, Georges Simenon, n’a été accueilli qu’au début des années 2000. La liste des préjugés envers le roman policier est en effet longue. Genre longtemps méprisé car jugé populaire, dénué de qualités littéraires, etc. Heureusement, nombreux sont les auteurs, outre Simenon, à avoir su lui donner ses lettres de noblesses : Arthur Conan Doyle, Gaston Leroux, Raymond Chandler, Agatha Christie, Fred Vargas..., à l’aide de personnages étoffés et d’une intrigue savamment menée, le tout servi dans une langue subtile et riche en figures de style.
Lesquels de ces ingrédients font défaut à Du gâchis chez les Luxos ? Au départ, un crime, celui d’une stripteaseuse et entraîneuse ukrainienne, Wanda, amoureuse et enceinte d’un banquier luxembourgeois marié et père de deux enfants. Le lecteur, immergé dans les bas-fonds de Luxembourg (sic), fait bientôt des aller-retour incessants entre le Luxembourg, l’Ukraine, la Russie et la Côte d’Azur. Non seulement il est soumis à un jet lag continu, mais il doit en plus faire face à une intrigue embrouillée et mal rythmée et à une flopée de personnages. Les personnages, donc, pullulent. Tant d’ailleurs qu’ils ont dû être répertoriés en début de roman pour ne pas laisser le lecteur trop désemparé, d’autant plus que nombre d’entre eux ont surnoms, noms d’emprunt et noms de scène. À ceci s’ajoutent les origines et nationalités diverses de chacun : ex-Yougoslavie, Luxembourg, Moyen-Orient, Russie, Ukraine. Ce pourrait être, après tout, du John le Carré. Sauf que des personnages minutieusement décrits sont abandonnés en cours de route sans jamais n’avoir apporté quoi que ce soit à l’histoire et que d’autres pèchent par leurs incohérences. L’intrigue se déroulant dans le milieu de la pègre et du proxénétisme, la langue se devait d’être colorée, voire argotique. Mais voilà, trop de trivialité, à l’instar du titre, peut mener à l’écœurement. Et que dire quand les niveaux de langue – familier et correct voire recherché – se chevauchent ? Bref, n’est pas San-Antonio qui veut. De ce mauvais ficelage, dont le lecteur ne sort pas indemne, résulte un complot financier qui se solde par le rachat d’une banque luxembourgeoise non pas par des Qataris, mais par des Russes dans le but de disposer d’une lessiveuse au sein de l’Union européenne. Pourquoi pas ? Sauf qu’en plus des menaces d’Al-Qaïda, la Guerre froide aurait apparemment toujours cours, tout comme les méthodes du feu le KGB. Ah, nostalgie, quand tu nous tiens… Nostalgique, Jacques Steiwer paraît l’être également de l’époque révolue où il était bon d’être sexiste. Les femmes aux plastiques affriolantes du roman sont soit vénales soit des objets entièrement dévoués à leur homme.
La patrie de l’auteur, le Luxembourg, n’obtient pas plus ses faveurs. Cette « bonbonnière du capitalisme » est un « pays d’opérette » peuplé de buveurs de bière et de bigots, géré par une marionnette et aux institutions – police et armée – à l’efficacité très relative. Pour preuve, le commissaire en charge de l’enquête est un gémisseur-vagisseur-couineur couvert d’eczéma et shooté aux anxiolytiques. Pas de quoi se gausser d’un portrait si prévisible, mais, rassurez-vous, comme l’annonce l’avertissement, « toute ressemblance avec des personnages existants et/ou toute similitude avec des situations réelles ne peuvent être que pure coïncidence ». L’honneur du grand-duché est sauf.
Lore Bacon
Kategorien: Luxemburgensia
Ausgabe: 02.11.2012