Pierre Decock reste, avec son nouveau roman intitulé Les corbeaux de Greenwood, fidèle au genre qu’il affectionne tout particulièrement : le polar. Toute analogie avec Toccata, qui lui a valu en 2008 le Prix des lecteurs de la Grande Région, ou avec De Profundis et In Articulo Mortis, les deux enquêtes de Joao Da Costa, s’arrête là. D’une part parce que ce polar est destiné non pas aux adultes mais aux (pré)adolescents. D’autre part parce que l’action se déroule dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres. Qu’est-ce qui a donc poussé Pierre Decock, lui qui, jusqu’ici, faisait uniquement dans le roman policier dit régional, à le délaisser ? Peut-être un retour aux sources, à ses premières lectures de la romancière britannique la soi-disant plus lue après Shakespeare, Agatha Christie. Car, oui, Les corbeaux de Greenwood tirent bien leur inspiration de l’œuvre de la maîtresse du genre.
Les corbeaux de Greenwood se déroulent à… Greenwood, un petit village anglais au doux nom très évocateur, paisible voire endormi, peuplé de maisons aux toits de chaume, d’un château en ruine et entouré de paysages bucoliques. Les héros, au nombre de quatre, ont entre onze et treize ans. Il y a Priscilla Prescott, l’intrépide et une fervente lectrice de revues de criminologie, Humphrey Reybread, le gaffeur, Mary Forbes, la bonne élève, et Tommy Forbes, son frère sourd et muet. Aussi différents qu’inséparables, ils passent le plus clair de leur temps ensemble. Autour d’eux, c’est le monde des adultes, les habitants de Greenwood, des notables et petits bourgeois a priori sans histoire, mais qui ont tous une araignée au plafond : un officier de police dont la sagacité laisse à désirer, un pasteur aux « yeux de chouette », un docteur incompétent, des rêveurs, des commères, des alcooliques, … Quant à l’intrigue, il s’agit d’un assassinat bien sûr, celui féroce de l’institutrice acariâtre de la bourgade.
Il y a de la nostalgie chez Pierre Decock. Non seulement il marche sur les pas d’Agatha Christie, dont le dernier roman, rappelons-le, remonte à 1976, l’année de sa mort. Quant à ses enquêteurs en herbe, ils ne sont pas sans rappeler le célèbre Club des Cinq, composé de quatre enfants, tiens donc, et d’un chien. En outre, la meneuse du groupe présente quelques similarités avec Fifi Brindacier, ne serait-ce que par sa capillarité et son tempérament effronté et audacieux. Ces références remontant à une époque lointaine, il faut se demander si les ingrédients d’antan peuvent avoir de l’impact sur la jeunesse d’aujourd’hui.
La société actuelle est saturée d’images et de sons et les jeunes scotchés aux écrans plasma familiaux ou à leurs écrans d’ordinateur d’autant plus. Séries, télé-réalité et jeux vidéo ont depuis longtemps relégué la lecture à une activité scolaire souvent ennuyeuse et trop exigeante. Nul super-héros aux pouvoirs surnaturels dans Les corbeaux de Greenwood, juste une bande de vrais amis, à des années-lumière de Facebook, qui pour tromper l’ennui des grandes vacances ont des activités de plein air qui les amènent à jouer dans les ruines d’un château. Or, l’ennui est un sentiment à jamais disparu, l’extérieur est devenu un espace limité entre le pas de la porte et l’emplacement où est garé le véhicule parental et les rares châteaux subsistants des chasses gardées bien clôturées pour touristes. À moins d’une imagination féroce, le processus d’identification ou de transfert est donc bien peu probable.
Christian Mosar
Kategorien: Luxemburgensia
Ausgabe: 12.10.2012