Entretien avec l'acteur Michel Didym

Un purgatoire de caoutchouc dur

d'Lëtzebuerger Land vom 24.04.2008

Lundi prochain, 28 avril, le théâtre des Capucins accueillera Michel Didym, qui joue Le Dépeupleur, un texte de Samuel Beckett. L’occasion de brosser, ici, sous forme d’entretien, le portrait de cet homme de théâtre complet, animé, depuis des années, par la passion du texte contemporain.

d’Lëtzebuerger Land : Vous définissez-vous plutôt comme un acteur, un metteur en scène, un animateur de compagnie ou un directeur de festival ? 

Michel Didym : Au départ, j’ai fait des études de cinéma. J’ai réalisé trois films qui étaient ratés, au niveau de la direction d’acteurs. Pour me perfectionner, je suis entré à l’école du Théâtre national de Strasbourg. Après quoi, j’ai joué au théâtre et au cinéma. Puis, j’ai décidé de passer à la mise en scène, et cette activité a pris une ampleur imprévue. Suite à la cré­ation de ma compagnie (Boome­rang), et de la Mousson d’Été (festival de Pont-à-Mousson), je suis entré en contact avec des auteurs du monde entier. Le travail de laboratoire débouche sur des applications concrètes. 

En une vingtaine d’années, ma compagnie est passée du plan régional (en Lorraine), au plan national, et international. J’ai fait des mises en scène en Allemagne. En 2002, le ministère des Affaires étrangères m’a nommé directeur artistique d’un projet intitulé Tintas frescas, qui m’a conduit en Amérique du Sud et a permis la traduction, en espagnol, d’une trentaine de textes francophones, ainsi que la production d’une vingtaine de spectacles. J’ai monté Armando Llamas et Bernard-Marie Koltès en Colombie ; au Venezuela, j’ai travaillé sur Valère Novarina ; au Mexique, j’ai monté El Divan, à partir de vingt « psychanalyses » commandées à des auteurs mexicains et français. 

La Mousson d’été (et ses déclinaisons : Mousson d’hiver, Mousson sur l’eau, Mousson d’été à Paris et Ateliers de la Mousson à Metz) est appuyée sur la MEEC (Maison européenne des écritures contemporaines), qui assure la connexion entre des auteurs et les structures européennes intéressées par la diffusion d’un nouveau répertoire. C’est un réseau de partenariat, d’échanges, d’amitiés, de résidences, de traductions, avec l’objectif d’une exploitation internationale des textes. Avec ce réseau, j’espère développer des relations avec le Luxembourg, afin de promouvoir les écritures contemporaines. Ainsi, ce projet Trait d’union, dont je suis l’un des directeurs artistiques, et qui va réunir 27 auteurs des 27 pays de la Communauté, lors de la prochaine Mousson, et pour lequel on a sélectionné un auteur luxembourgeois, Guy Helminger, auteur d’une pièce dont le titre, Venezuela, m’a immédiatement séduit.

Le lien entre toutes ces activités, c’est le texte contemporain ?

Oui, tout à fait. C’est un plaisir énorme de côtoyer les auteurs vivants, d’entretenir avec eux un dialogue esthétique sur l’écriture, la langue, la dramaturgie… Sur leur pertinence, leur impertinence… J’essaie aussi de travailler avec des romanciers, de les amener à écrire pour le théâtre, parce que l’écriture théâtrale est une écriture magnifique, magique, avec un gros potentiel de développement. Beaucoup de gens se tournent vers la télévision et le cinéma, parce que, pendant longtemps, la scène théâtrale leur semblait ennuyeuse. Mais, depuis une dizaine d’années, il y a un frémissement, on sent un renouveau de l’écriture contemporaine et un renouvellement des publics. 

Vous venez à Luxembourg pour présenter Le Dépeupleur, de Samuel Beckett, un auteur mort en 1989… On ne peut pas dire que ce soit très contemporain ? 

Au contraire ! La contemporané­ité d’un auteur, c’est son actualité. Shakes­peare est contemporain. Est contemporain, tout ce qui est du domaine de la violence politique, tout ce qui donne une pertinence à la langue… La modernité d’un auteur c’est la qualité avec laquelle il a réussi à capter des rapports et des travers humains, la politique à l’intérieur de la cellule familiale. Le Dépeupleur est une pièce majeure, écrite par Beckett à la demande de David Warrilow. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé… » Cette phrase peut servir d’introduction à ce texte magnifique. Comme vous le savez, la Divine Comédie joue un rôle fondamental dans la littérature du XIXe siècle et dans celle du XXe. On peut lire tout Balzac à la lumière de Dante. Baudelaire s’y réfère, mais, aussi, Proust et Joyce… 

Or, Beckett considérait Joyce comme son maître. Le mot de « comédie » fait référence au théâtre. Le Paradis constitue le happy-end d’une histoire qui commence en Enfer et se poursuit au Purgatoire. Chez Beckett, les deux premières phases sont supprimées. Reste l’enfer, vécu à l’aune de la tragédie que constitue la guerre de 1939-45. Il ne s’agit pas de faire une relation facile entre la Shoah et Le Dépeupleur, mais savez-vous qu’on peut encore voir, à Auschwitz, une carte où les capitales sont reliées par un réseau de chemin de fer ? Sur cette carte, le centre de l’Europe, c’est Auschwitz ! 

Les premières phrases du texte de Beckett disent ceci : « C’est un séjour où des corps vont, cherchant chacun son dépeupleur. C’est assez vaste pour permettre de chercher en vain, en même temps, assez restreint pour que toute fuite soit vaine… » C’est une sorte d’enfer moderne. 

Que pensez-vous de cette idée de Philippe Sollers qui dit que, pour lui, Beckett n’est justement pas l’écrivain de l’enfer, mais plutôt celui du Purgatoire… Le monde du Dépeupleur, dans sa lumière glauque, a quelque chose de désespérant, mais pas vraiment infernal…

Effectivement, si l’on ne croit plus en Dieu, il n’y a plus de paradis, ni d’enfer, non plus. On est dans un purgatoire sans échappatoire. Un purgatoire de « caoutchouc dur (ou similaire) ». On ne peut pas comprendre comment les gens sont entrés : il n’y a pas d’issue, ni entrée ni sortie…  Cet absurde-là, finalement, correspond bien à l’absurde de la vie, à ce que la vie nous fait souffrir – et jouir – tous les jours… 

Dans ce spectacle, vous êtes seul sur la scène…

Il est important, en tant que metteur en scène, de remettre son métier d’acteur en pratique. Avec un dialogue puissant, un grand directeur d’acteur comme Alain Françon (directeur du Théâtre national de la Colline) me permet d’aller très loin, dans un respect total du texte. Car je dis le texte intégralement (le spectacle dure 55 minutes), à la virgule près. Ma respiration est totalement induite par la ponctuation de ce texte sur lequel je travaille depuis longtemps, puisque j’en ai produit deux mises en scène ; la première, il y a onze ans, la seconde aujourd’hui, qui sera reprise, la saison prochaine, au Théâtre de la Colline, avant de partir en tournée internationale.

Quelle évolution entre ces deux mises en scène ? 

Dans cette dernière version, j’essaie de creuser ma relation aux spectateurs, d’instaurer à une atmosphère métaphysique qui a l’élégance de donner à sourire et, même, à rire franchement, tant on se reconnaît dans ce désespérant tableau humoristique… Le spectacle bénéficie d’une scénographie de Jacques Gabel, de lumières de Joël Hurbech. On a introduit des figurines en métal, à échelle portative, qui donnent au spectacle une couleur très particulière, me faisant apparaître comme un géant au milieu de ces personnages minuscules… 

Le Dépeupleur de Samuel Beckett, avec Michel Didym et la collaboration artistique d’Alain Françon ; scénographie : Jacques Gabel ; lumière : Joël Hourbeigt ; lundi 28 avril à 20 heures au théâtre des Capucins ; réservations : www.luxembourgticket.lu ou par téléphone : 47 08 95-1.

Olivier Goetz
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