Enchantement à la lecture, à l’écoute et à la vision des promos et communiqués de presse autour de la nouvelle pièce de Serge Tonnar Exit Lëtzebuerg. Enfin quelqu’un qui va s’attaquer à la problématique des demandeurs d’asile via un medium culturel. Enfin quelqu’un va s’y attaquer de façon intelligente surtout. On a encore en tête la tentative ratée Hei ass et schéin à Esch en 2004. Serge Tonnar s’est documenté, il s’est entouré de gens qui s’y connaissent vraiment, l’idée au fondement de sa démarche est plus que prometteuse. Il a, comme tant de Luxembourgeois, été choqué par l’émission Dir hutt d’Wuert diffusée sur RTL Radio Lëtzebuerg le 20 avril 2005. Ce soir-là, une horde d’auditeurs plus racistes et honteux les uns que les autres ont dégueulé leurs propos en direct sur l’antenne. Ça faisait froid dans le dos, mais ça correspondait à une réalité dont on se doutait bien qu’elle existât, dont on savait ou espérait néanmoins qu’elle ne coïncidait pas avec l’opinion prépondérante, espoir conforté par une seule et unique voix s’élevant lors de ladite émission contre cette bande de chauvins. Il y avait lieu, comme c’était le cas pour Serge Tonnar, d’être ahuri devant tant d’ignorance, jusqu’à avoir le besoin de produire une pièce de théâtre autour d’extraits passés ce jour-là à l’antenne. Première bonne idée. Autres moments noirs d’expression sur nos ondes audiovisuelles, la majeure partie, pour ne pas dire toutes, les apparitions relatives au sujet de nos deux ministres socialistes en charge de l’immigratio : incohérence, propos bateau, d’un conservatisme extrême, dont on parvient éventuellement à oublier ou passer outre leur caractère plus que regrettable, parce que la forme y est plus soignée que chez le monsieur de Wiltz. Des extraits dits tel quel par Nicolas Schmit, sur RTL encore, constituent ainsi une autre partie du texte d’Exit Lëtzebuerg./span[gt]. Deuxième bonne idée. Déconstruits par Steve Karier on réalise l’ampleur de la catastrophe. Le choix de l’acteur, qui porte à lui seul toute la pièce sur scène, incarnant à tour de rôle un gardien de foyer, un fonctionnaire ministériel, un politique et un présentateur d’émission télé, est plus que judicieux. Il réalise une performance physique et d’acteur rare sur les planches locales. Autre bonne idée. Yann Tonnar, le frère, habitué des productions autour des écrits de Serge, a ensuite, caméra à l’épaule, suivi des demandeurs d’asile du foyer Weilerbach pendant quelques temps. Documents qui entrecoupent le texte. Scène poignante, que celle où une femme munie de son bon d’achat de 12,39 euros passe une éternité dans le supermarché à faire du calcul mental pour acheter trois fois rien, aucun centime ne lui étant remboursé en liquide. Mais bon, elle n’a de toutes façons rien d’autre à faire. Dernière bonne idée. Quatre (vraies) bonnes idées, une équipe qui se tient, un sujet plus que d’actualité et un résultat qui déçoit, comment est-ce possible? Soyons clair: le public était mort de rire. Mais pour moi, probablement aussi à cause de cela, l’objectif est loin d’être atteint. Quel objectif? Peut-être que je l’ai mal cerné. Mais, sans vouloir tomber dans le misérabilisme, quand on est scandalisé par les propos diffusés ce fameux mercredi-là sur RTL, quand on est scandalisé par la situation actuelle et à venir des demandeurs d’asile dans notre pays, je suis d’avis qu’il y a mieux à faire que d’enchaîner slapstick sur slapstick pendant une heure et demie en caricaturant avec de très gros traits la société luxembourgeoise, le tout saupoudré d’une touche de science-fiction pas très recherchée. Oui, bien sûr, Steve Karier a un talent comique et de comédien, mais le sujet n’est pas drôle du tout et le fait de tourner tout en dérision dévie du propos initial. Par exemple, quand Tonnar utilise les propos de Nicolas Schmit, toute l’attention des spectateurs se concentre sur le jeu de jambes de Karier, qui tel le cliché du présentateur télé, se trouve en caleçon derrière la table, le dessous de table n’étant pas dans l’objectif de la caméra. À quoi bon utiliser ces propos ahurissant, si dans la mise en scène on fait tout pour que le spectateur n’écoute pas un mot de ce qui se dit? Serge Tonnar explique dans le booklet de la pièce que le débat autour de la politique d’asile au Luxembourg reste superficiel. Et c’est exactement le reproche qu’on peut faire à son texte à lui, sa mise en scène. On nous promet une vue sur le quotidien des personnes concernées, or à part les – trop rares extraits de film projetés – il n’en est rien. En lieu et place de davantage de ce genre de documentation, bien plus poignante et efficace, on nous sert le cliché du cliché du fonctionnaire luxo, poussiéreux, qui fait son job en appliquant à la lettre la loi et qui passe son temps à appeler d’autres fonctionnaires, qui s’appellent tous Faber (ce qui donne «Fabre» en français) et qui termine par tout casser dans son bureau dans une crise de quoi au juste? Ou encore le reality show, décidément le sujet ne lâche pas Serge Tonnar, moment plus que pénible, que ce «Flüchtling ärger dich nicht». Tout ça fait qu’Exit Lëtzebuerg rappelle plus le Duerftheater (certes excellemment interprété et plein de bonnes intentions, mais n’empêche) habituellement produit sur les scènes des centres culturels à travers le pays, que le théâtre engagé et contemporain auquel on aurait pu s’attendre.
Exit Lëtzebuerg de et mis en scène par Serge Tonnar, vidéo: Yann Tonnar; avec: Steve Karier; décors: Do Demuth; assistance à la mise en scène [&] dramaturgie: Marion Rothhaar; direction de la producution: Christiane Thommes; une coproduction de Maskénada avec le Kulturhaus Mersch. Prochaines représentations : demain 18, dimanche 19 et les 23 et 25 mars à 20 heures à Mersch; réservations : Billetterie nationale : téléphone 47 08 95-1 ou Internet: www.luxembourgticket.lu