Des milliers de Roumains se sont rassemblés le week-end dernier devant le siège du ministère de l’Intérieur une bougie à la main. Ces manifestations silencieuses ont eu lieu dans toutes les grandes villes du pays, mais sous ce silence se cache un cri de colère. Les gens protestent contre l’incompétence des autorités qui n’ont pas su empêcher le meurtre d’une jeune fille, et ils demandent la démission du gouvernement. « Nous n’avons jamais eu autant d’idiots au pouvoir ! » a déclaré Tudor Comsa, un manifestant de Bucarest. Le népotisme, l’incompétence et la corruption mènent au crime. Le gouvernement doit partir, il n’a rien à voir avec l’Europe et avec la vie qu’on veut avoir en Roumanie. »
Que s’est-il passé ? Mercredi 24 juillet, la jeune Alexandra, âgée de quinze ans, fait de l’auto-stop pour se rendre à Caracal, ville située à huit kilomètres
de chez elle. Un voyage dont elle ne reviendra pas. Une voiture s’arrête, elle monte. Gheorghe Dinca, le chauffeur, un mécanicien de 65 ans, lui dit qu’il va la déposer chez elle. Mais il a un autre plan. Il la frappe, la ligote et l’emmène dans sa maison perdue au fond d’une cour de 3 000 mètres carrés digne d’un blockbuster d’horreur. Il continue à la frapper et la viole à plusieurs reprises. Pendant ce temps les parents de la jeune fille ont déposé plainte à la police qui ne donne pas suite. Selon le père, les policiers lui ont dit que si sa fille avait fait une fugue avec son copain, il devrait payer le coût de l’enquête.
Jeudi matin 25 juillet. Alexandra profite d’un moment d’inattention de son bourreau, récupère son portable et appelle le 112. Trois fois. Elle raconte son histoire aux policiers, qui ne semblent pas pressés d’agir. « Il arrive, il arrive », s’écrie-t-elle avant que la communication s’interrompe. La police locale décide d’envoyer une équipe pour localiser l’endroit décrit par la jeune fille. Quelques heures plus tard, la voiture de police se gare à proximité de la maison du tueur et les policiers attendent l’ordre d’intervenir. Il fait déjà nuit et le feu vert des responsables n’arrive que le vendredi matin 26 juillet. Pendant que les policiers attendent, Gheorghe Dinca découpe le corps inanimé de la petite Alexandra, met ses os dans l’acide et brûle sa chair afin d’effacer les traces de son crime. Il savait y faire, car il avait kidnappé une autre jeune fille en avril dernier, l’avait séquestrée et violée chez lui pendant trois mois avant de s’en débarrasser de la même façon.
Ce n’est que le vendredi matin 26 juillet, lorsqu’ils prennent d’assaut la maison du criminel, que les policiers réalisent l’ampleur de la tragédie dont ils ont été complices par leur inaction. L’enquête a révélé des actes de nature à heurter le public, et les communiqués à ce sujet sont retenus. Plusieurs têtes sont tombées : la direction de la police locale, des chefs de la police nationale et du service des télécommunications qui gère les appels d’urgence. Mais les Roumains en colère ne veulent pas en rester là et demandent la démission du gouvernement.
Les manifestations antigouvernementales risquent de faire tache d’huile et le meurtre d’Alexandra secoue aussi l’échiquier politique. L’objectif du gouvernement social-démocrate qui est aux commandes depuis 2016 a été de limiter le pouvoir des procureurs pour sauver la face de Liviu Dragnea, l’ancien chef du Parti social-démocrate (PSD). Ces dernières années les procureurs ont envoyé derrière les barreaux des centaines de députés, sénateurs, ministres, maires et autres personnages politiques. Le parti de gouvernement a tout essayé pour mettre fin à l’opération « Mains propres » et couper les ailes de la justice.
Mais les procureurs ont gagné, et le 28 mai Liviu Dragnea a été condamné à trois ans et demi de prison ferme. Néanmoins le gouvernement a poursuivi son offensive contre la justice et limité le pouvoir des magistrats. L’affaire Alexandra s’inscrit dans le conflit entre un gouvernement qui veut protéger ses acolytes et des institutions policières et judiciaires affaiblies par le nouveau cadre législatif.
Suite aux manifestations qui secouent la Roumanie depuis le week-end dernier, le président libéral Klaus Iohannis, dans l’opposition, est sorti de sa réserve. « Le gouvernement est moralement responsable de cette tragédie, a-t-il déclaré dimanche 28 juillet. Ses représentants ont massacré les lois pénales. Si le gouvernement ne renonce pas à modifier les lois pénales je vais constituer une nouvelle majorité à la première occasion. Nous avons besoin d’un gouvernement qui renforce les institutions de l’État et défend les Roumains comme c’est le cas de chaque citoyen européen. » La bataille qu’a menée Alexandra pour sa vie a échoué, mais la bataille politique ne fait que commencer.