Roumanie 

Capitaux en fuite

d'Lëtzebuerger Land vom 22.03.2019

Ce pays promettait de devenir l’Eldorado des investisseurs étrangers, mais le conte de fée est terminé. Entrée dans l’Union européenne (UE) en 2007, la Roumanie était le deuxième marché d’Europe centrale et orientale après la Pologne, et elle s’enorgueillissait de devenir le tigre économique de l’Europe ex-communiste. Mais après un sprint prometteur, le tigre s’est essoufflé. En décembre dernier le gouvernement social-démocrate avait annoncé qu’il imposerait une batterie de taxes aux banques et aux grands groupes énergétiques, taxes qui remettraient en question les nombreux investissements étrangers dans ce pays. « Nous avons adopté une nouvelle série de mesures pour améliorer le quotidien des Roumains et corriger certaines pratiques injustes dans le secteur énergétique et bancaire », a déclaré la Première ministre Viorica Dancila lors de la réunion du gouvernement qui a imposé des taxes par ordonnance d’urgence.

Certes, les salaires dans la fonction publique et les retraites ont presque doublé ces deux dernières années, mais la générosité d’un gouvernement en quête de capital politique a un coût. La Roumanie ne parvient pas à maintenir le déficit budgétaire sous la barre des trois pour cent décidée en accord avec la Commission européenne. Les élections européennes approchent et le Parti social-démocrate (PSD), au gouvernement depuis 2016, a besoin de récupérer son électorat. Pour combler le trou créé par son dérapage budgétaire, le gouvernement s’est tourné vers les banques et le secteur énergétique.

Une « taxe sur l’avidité » de deux pour cent a été appliquée aux actifs des banques et au chiffre d’affaires des compagnies énergétiques. Ces mesures radicales ont été imposées aux secteurs bancaire et énergétique en l’absence de toute négociation. « Aucune décision ayant un impact sur la fiscalité ne devrait être imposée par ordonnance d’urgence, a déclaré Franz Weiler, président du Conseil des investisseurs étrangers. Cette décision aurait dû faire l’objet d’un débat à partir d’une étude d’impact. L’imposer du jour au lendemain aura un effet toxique sur le long terme. »

Le 21 décembre 2018, le chancelier autrichien Sebastien Kurz s’était rendu à Bucarest afin de confier à la Roumanie la présidence tournante de six mois de l’UE. Lors de cette visite, il avait averti les autorités que les sociétés étrangères implantées dans ce pays, dont le groupe pétrolier autrichien OMV, pourraient être impactées par ces mesures. « Je ne suis pas inquiet pour les sociétés autrichiennes parce qu’elles pourront déménager, avait-t-il déclaré. Je le suis en revanche pour l’économie de la Roumanie. » Le groupe OMV, qui avait l’intention d’investir plusieurs milliards d’euros dans l’extraction du gaz de la mer Noire, a déjà fait marche-arrière et suspendu ses plans de développement en Roumanie.

Les mesures prises par le gouvernement roumain contre les banques et le secteur énergétique ainsi que ses discours violents contre les multinationales ont refroidi les investisseurs étrangers. Le risque d’une fuite de capitaux est sérieux. Si OMV a décidé de suspendre ses investissements en Roumanie, d’autres sociétés ont plié bagages et sont parties. Le 11 janvier, Nestlé, le géant suisse de l’agro-alimentaire, a décidé de fermer son usine de Timisoara, ville située à l’ouest de la Roumanie. « Nestlé a pris une décision stratégique, explique l’analyste Ioan Petrisor. Son départ aurait pu être évité si les politiques fiscales étaient plus prudentes et plus prévisibles. »

La fuite des capitaux étrangers entraîne également une fuite de la main-d’œuvre roumaine en Europe de l’Ouest. Environ cinq millions de Roumains sont partis sur les marchés du travail occidentaux à la recherche d’une vie meilleure. Une autre compagnie suisse, Rieker, spécialisée dans la fabrication de chaussures, a décidé de fermer boutique à Lugoj, ville située, elle aussi, à l’ouest de la Roumanie. Avec 20 000 employés et 47 millions de paires de chaussures fabriquées ces vingt dernières années,
Rieker abandonne une affaire florissante, mais les nouvelles taxes et la pénurie de main d’œuvre l’oblige à plier bagages. Même cas de figure pour l’entreprise automobile Key Safety Systems de Curtici.

L’augmentation exponentielle du salaire moyen, qui est passé de 300 à 600 euros, fait que la Roumanie n’est plus rentable. En pleine pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus de sociétés embauchent des ouvriers venant des pays asiatiques. S’ajoute à ce problème structurel la politique fiscale imprévisible du gouvernement. Résultat : peu à peu les capitaux étrangers s’en vont. Depuis la chute du régime communiste en 1989, plus de 230 000 sociétés au capital étranger se sont installées en Roumanie et ont investi plus de 61 milliards d’euros dans ce pays. En 2018, les investissements étrangers ont connu une baisse de six pour cent et le phénomène risque de s’accélérer. Face à ce risque, le président libéral d’origine allemande Klaus Iohannis a tiré la sonnette d’alarme. « La politique fiscale du gouvernement plonge la Roumanie dans le chaos, a-t-il déclaré. Je demande au gouvernement de mettre en œuvre une politique favorable aux Roumains et non à la clientèle politique. » Faut-il encore qu’il soit entendu.

Mirel Bran
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