En Roumanie, elle est aussi populaire qu’une actrice d’Hollywood mais elle n’a pas acquis cette aura dans un film. Son succès est dû à une histoire bien réelle, une sorte d’opération « mains propres » pour combattre la corruption institutionnalisée dans son pays. Adorée par les Roumains, détestée par la classe politique, Laura Codruta Kövesi, 46 ans, déchaîne les passions. Elle devrait prendre bientôt les rênes du futur Parquet européen dont le siège sera basé à Luxembourg. « J’ai rétabli la justice quand la loi a été violée, a-t-elle affirmé lors de son audition au Parlement européen le 2 mars. La loi doit être la même pour tous et le principe qui guide le travail de tous les procureurs dans l’Union européenne. »
À 33 ans, la jeune procureure est nommée à la tête du Parquet national de la Roumanie et en 2013, elle prend la direction d’une unité d’élite chargée de combattre la corruption : le Parquet national anticorruption (DNA). Des centaines de hauts fonctionnaires, députés, sénateurs, ministres, maires et autres personnages publics se sont retrouvés derrière les barreaux grâce au programme « mains propres » mis en place par cette Cerbère de la justice et son équipe de jeunes procureurs formés en Europe occidentale. « Le fait que des ministres et autres fonctionnaires publics aient fait l’objet de nos enquêtes et aient été condamnés montre qu’en Roumanie, nous sommes tous égaux devant la loi, quelle que soit la position sociale ou la richesse que l’on a accumulée », a-t-elle déclaré.
Le gouvernement social-démocrate qui gouverne la Roumanie depuis 2016 s’était farouchement opposé à sa candidature au poste de chef du Parquet européen, dont la mission consiste à mener des enquêtes transfrontalières sur les fraudes concernant les fonds européens. Il avait utilisé tous les moyens dont il disposait pour se débarrasser de cette procureure gênante. En juillet 2018, madame Kovesi avait été destituée de son poste, mais ses confrères procureurs s’étaient révoltés et avaient fait pression pour qu’elle reste au sein du Parquet national en tant que responsable de la stratégie anticorruption.
Cependant, le gouvernement n’avait pas cédé et avait procédé à une refonte de la législation pénale afin de limiter le pouvoir des magistrats. En octobre 2018 il avait doté le Parquet d’une nouvelle institution censée surveiller les magistrats et enquêter sur eux. Considérée par ces derniers comme un outil politique destiné à les intimider, cette décision avait été critiquée à Bruxelles. C’est cette nouvelle section du Parquet national qui n’a cessé de harceler Laura Kövesi afin de l’empêcher d’accéder à la fonction de procureur européen en l’accusant d’abus de pouvoir et de faux témoignage. « Il est clair que je suis visée par une campagne de harcèlement et d’intimidation, a-t-elle déclaré. Cette mesure est destinée à me faire taire et à harceler tous ceux qui font leur travail dans le système judiciaire. Certains voulaient continuer à voler en toute tranquillité, mais nous les en avons empêché. »
La pomme de discorde entre le gouvernement et les procureurs a été le cas de Liviu Dragnea, le chef du Parti social-démocrate qui dispose d’une majorité au parlement et contrôle le gouvernement. Grâce au travail de Laura Kövesi, l’homme fort de l’échiquier politique a été condamné le 27 mai à trois ans et demi de prison ferme pour trafic d’influence. Il a aussi fait l’objet d’une enquête de la part de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) de Bruxelles. qui l’a accusé d’avoir détourné 21 millions d’euros. Sa condamnation a été un signal fort pour une classe politique habituée à la corruption. La victoire de Laura Kövesi contre un système hérité de l’époque communiste a permis à la Roumanie de tourner une page douloureuse de son passé.
La procureure roumaine a déposé sa candidature à la tête du futur Parquet européen, et le Parlement européen a voté en sa faveur. Pourtant, à l’occasion du Conseil européen qui s’est tenu le 5 avril, les États membres avaient exprimé leur préférence pour le procureur français Jean-François Bohnert. Mais le 19 juillet, Paris a retiré son candidat et ouvert le chemin à la candidate roumaine. Le Parlement européen nouvellement élu a lui aussi annoncé dans un communiqué de presse qu’il soutenait l’icône de la justice roumaine. « Le Parlement souhaite renouveler son engagement envers Laura Codruta Kövesi en tant que candidate du Parlement européen au poste de procureur européen, peut-on lire dans une lettre envoyée par le président du Parlement, David Sassoli, au Conseil de l’UE. Il est essentiel que des enquêtes et des poursuites concernant des crimes présumés contre le budget de l’UE tels que la fraude, la corruption ou la fraude à la TVA transfrontalière soient menées le plus rapidement possible. » Un agenda serré pour la future cheffe du Parquet européen.