Elle est favorite pour le poste de cheffe du futur Parquet européen, mais son plus grand ennemi est le gouvernement de son propre pays. Laura Codruta Kövesi, ancienne cheffe du Parquet national anticorruption (DNA) n’a guère d’amis dans les hautes sphères du pouvoir en Roumanie. À 45 ans, elle est la personne la plus détestée des hommes politiques roumains. Cheffe du DNA de 2013 à 2018, Kövesi fait trembler ces derniers dans un pays réputé pour sa corruption institutionnalisée. Des milliers de hauts fonctionnaires, députés, sénateurs, ministres, maires et autres personnages publics se sont retrouvés derrière les barreaux grâce au programme « Mains propres » mis en place par cette jeune procureure qui déchaîne les passions sur la scène politique. « J’ai rétabli la justice quand la loi était violée, a-t-elle affirmé lors de son audition à Bruxelles. La loi doit être la même pour tous et le principe qui guide le travail des procureurs dans l’Union européenne. »
Laura Codruta Kövesi est la favorite du Parlement européen, mais sa nomination dépendra des négociations qui doivent avoir lieu entre les États membres. L’opposition la plus farouche à son encontre se trouve dans son propre pays où le gouvernement a entamé une guerre contre les magistrats. Liviu Dragnea, le chef des sociaux-démocrates majoritaires au gouvernement, en a fait une affaire personnelle depuis que les enquêtes menées par la procureure lui ont valu deux condamnations
pénales pour fraude électorale et abus de pouvoir. Il fait aussi l’objet d’une enquête pénale pour avoir détourné 21 millions d’euros de fonds européens. En juillet 2018, Liviu Dragnea a usé de tout son pouvoir en vue d’obtenir le limogeage de Kövesi de la direction du DNA. Une décision qu’elle a contestée à la Cour européenne des droits de l’homme où un procès est en cours.
En octobre 2018, le gouvernement avait doté le Parquet national d’une nouvelle institution censée surveiller et enquêter sur les magistrats. Une décision critiquée à Bruxelles et considérée par ces derniers comme un outil destiné à les intimider. C’est cette nouvelle section du Parquet national qui harcèle Kövesi pour l’empêcher d’accéder à la fonction de procureur européen. Le 29 mars, la commission habilitée à enquêter sur les magistrats a annoncé qu’elle lui avait interdit toute sortie du territoire pendant deux mois. Elle est accusée d’abus de pouvoir et de faux témoignages. « Il est évident que je suis visée par une campagne de harcèlement et d’intimidation, a-t-elle déclaré. Cette mesure a pour but de me faire taire et de harceler tous ceux qui ont fait leur travail dans le système judiciaire. Certains voulaient continuer à voler en toute tranquillité mais nous les en avons empêchés. »
Les tentatives du gouvernement visant à intimider les magistrats ne sont pas passées inaperçues à Bruxelles. La Roumanie assure la présidence tournante de l’Union européenne (UE) jusqu’en juillet 2019, et une attaque du gouvernement contre la justice risque de faire des dégâts. Le 3 avril, Kövesi a reçu le soutien du vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. « Madame Kövesi est une remarquable juriste, a-t-il déclaré. Il est important qu’elle présente sa candidature afin que les institutions européennes puissent prendre une décision en pleine connaissance des positions des candidats. » La procureure roumaine est la favorite du Parlement européen, mais la France soutient son candidat Jean-François Bohnert au sein du Conseil européen.
Malgré les avertissements de Bruxelles, le gouvernement n’a pas l’intention de céder et prépare une réforme de la Justice qui limitera drastiquement les pouvoirs des magistrats et blanchira les casiers judiciaires des hommes politiques condamnés pour corruption. « Je veux mettre en garde contre toute action du gouvernement qui entraverait le système judiciaire en créant de facto une impunité systémique pour les hauts responsables politiques qui ont été condamnés pour corruption, a averti Frans Timmermans. Mais si le gouvernement persiste pour des raisons de politique interne, la Commission réagira immédiatement avec tous les moyens dont elle dispose. » Bruxelles peut lancer des procédures d’infraction contre des pays qui violent le droit européen, procédures qui peuvent déboucher sur des sanctions financières. La pression européenne a joué en faveur de Kövesi. Le 3 avril, la Haute Cour de Justice roumaine a levé le contrôle judiciaire dont elle faisait l’objet, ce qui lui permet de se rendre à Bruxelles.
Le président libéral, Klaus Iohannis, a rompu avec sa réserve teutonne en proposant un référendum destiné à préserver l’indépendance de la justice. « Ma décision est prise, a-t-il déclaré le 28 mars. Je vais convoquer un référendum le 26 mai à l’occasion des élections européennes pour mettre fin aux attaques du Parti social-démocrate contre la justice. Nous en avons assez du dilettantisme et de l’incompétence de ces voyous qui nous gouvernent. » Les élections européennes s’annoncent chaudes en Roumanie.