En ce vendredi 22 janvier, Marine*, Jana et Célia poussent un grand « ouf » de soulagement. L’une en kinésithérapie, l’autre en graphisme et la troisième en médecine, les trois Luxembourgeoises de 21 ans étudient à Bruxelles depuis trois ans. En ce vendredi, donc, les examens du premier semestre sont terminés et elles ont bien l’intention de fêter ça… Mais faire la fête, depuis l’apparition du Covid-19, ce n’est plus vraiment possible. Avec les contraintes belges du couvre-feu à 22 heures et l’interdiction de recevoir plus d’une personne, la fin des examens n’aura pas la même saveur… à moins de passer outre les règles. « La seule façon de supporter tout ça, c’est de tricher », reconnaît Marine qui accueillera chez elle « quelques amis de la fac pour fêter entre nous malgré tout ». Pas un grand raout avec des dizaines de personnes, mais une fête quand même, entre personnes qui se connaissent. « On n’est pas irresponsables, on fait attention, mais il y a un moment où il faut pouvoir lâcher la pression, surtout après un premier semestre où on a eu presque tous les cours en ligne », admet Célia.
Zoom, Teams, Webbex ou Google Meet n’ont plus de secret pour ces étudiantes qui suivent leurs cours et passent leurs examens « en visio », comme elles disent. « On nous a annoncé que le deuxième semestre serait aussi donné à distance. C’est difficile de garder la motivation », convient Jana. L’étudiante à La Cambre a pu échanger avec ses professeurs, en atelier, en début d’année, mais désormais tout se passe par écran interposé. « Au point de vue technique, ça va, j’ai mon ordinateur avec les logiciels dont j’ai besoin. Mais au niveau des échanges d’idées, de la recherche de concepts… c’est quand même mieux quand on peut parler avec nos profs et nos camarades, c’est mieux de pouvoir aller voir des expositions, s’inspirer, se nourrir pour faire avancer nos projets. » Il faut une sacrée discipline aux étudiantes et étudiants pour continuer, coûte que coûte, à suivre les cours. « On a tous craqué au moins une fois en se disant qu’on allait laisser tomber et arrêter nos études », ajoute celle qui a fini par rentrer chez ses parents au Luxembourg, pour retrouver « une vie de famille, une plus grande maison, un environnement plus agréable par rapport à un petit appartement d’étudiant en colocation ». La cohabitation avec les parents n’est pas toujours idyllique : « Heureusement qu’on s’entend bien, mais c’est quand même curieux de se retrouver comme il y a trois ans, avec mes parents et ma sœur. C’est un peu une régression par rapport à la vie indépendante que je mène à Bruxelles, où je fais les courses, je cuisine, je fais ma lessive... »
« Heureusement que c’est ma troisième année. Je pense qu’en première, je n’aurais pas tenu le coup parce que je n’aurais connu personne », relate Marine. Elle s’estime même chanceuse de pouvoir suivre les travaux pratiques « en présentiel » (avec des groupes réduits, des prises de température, le port du masque, bien évidemment). « On voit toujours les mêmes quelques personnes, impossible de nouer des contacts avec d’autres, par exemple les étudiants des années supérieures qui pourraient nous aider », regrette-t-elle en pointant aussi la difficulté de rester motivée et concentrée « devant un écran, avec un prof qui ne sait pas si on écoute ou pas, avec des technologies parfois défaillantes, la difficulté pour interagir ». Plusieurs enquêtes, notamment en France, font état de jeunes qui décrochent, ne suivent plus les cours, ne présentent plus leurs examens. « Si les lycées donnent les cours en présentiel, de manière presque normale, il devrait bien y avoir moyen de faire la même chose dans les universités », soupire Marine. C’est d’ailleurs ce que plaident plusieurs tribunes d’un collectif d’enseignants parues récemment dans Le Monde qui appellent au retour dans les salles de classes pour lutter contre l’isolement et la précarité croissante des étudiants.
Génération sacrifiée
Pour les trois amies du Luxembourg, la vie estudiantine aurait dû être synonyme de spontanéité, de rencontres, d’insouciance, de découvertes, de sorties, en marge des études : « Normalement, ce sont les années où on peut profiter, vivre notre jeunesse, avant de rentrer dans la vie professionnelle et la vie de famille. Et ce n’est pas possible en ce moment. C’est très frustrant, c’est même triste. On vit comme des vieux », exprime Célia qui constate aussi que tout le monde est « plus triste, plus irascible et parfois malveillant », comme ses voisins qui ont appelé la police le soir du Nouvel An alors qu’ils fêtaient ça à quatre dans son appartement. « Les policiers sont généralement compréhensifs s’ils nous croisent juste après le couvre feu ou si on est un peu plus nombreux… Ils savent que c’est difficile ».
Grâce aux bourses du Luxembourg, la question financière est moins cruciale pour ces étudiantes que pour bon nombre de leur copains et copines. La plupart des jobs étudiants sont dans le secteur de la restauration et des bars qui est fermé pour plusieurs semaines encore. « Ne pas avoir nos jobs, ce n’est pas seulement être privée d’un revenu, c’est aussi dire adieu à tout contact social, notamment en dehors de notre environnement habituel de l’université et faire une croix sur des expériences professionnelles, qui, même si elles sont éloignées de nos futurs métiers, nous donnent des compétences sociales importantes », estime la future kiné qui craint aussi pour la valeur qu’aura son diplôme : « j’ai peur de ne pas être prise au sérieux, que ma formation ne soit pas bien considérée ».
Il ne fait désormais plus de doute que les jeunes sont plus touchés que les autres groupes d’âge par les mesures restrictives, qui ont eu un effet négatif sur leur éducation, leur situation économique et sociale, leur bien-être et leur santé mentale. Des niveaux plus élevés de dépression, de solitude, de tension et d’anxiété, voire de pensées suicidaires (il y a eu plusieurs cas de passage à l’acte en France récemment). « On a le sentiment de ne pas être écoutés ni pris en compte : on nous demande des efforts considérables pour sauver une génération qui nous a déjà légué une planète dans un sale état… On est vraiment une génération sacrifiée », conclut Marine.