Sur le métier

d'Lëtzebuerger Land vom 11.08.2023

L’exposition D’histoire(s) et d’art au Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA) est mise en scène de manière majestueuse. Un mur est couvert d’œuvres du 18e siècle, de toutes les tailles et de tous les genres, comme dans une galerie princière ou royale. On se souviendra que la première ouverte au public fut la Galerie du bord de l’eau au Louvre durant la Révolution française. Le peintre Hubert Robert en a laissé la vision idéale de l’art pour tous.

C’est sur ce modèle que sont exposés les quarante tableaux de l’exposition D’histoire(s) et d’art. Mais ce ne sont pas à vrai dire des chefs d’œuvre qu’ont peint les 80 peintres répertoriés dans la thèse d’Henri Carême comme actifs au 18e siècle et originaires du duché de Luxembourg. Pour la première fois, cet historien de l’art propose un travail scientifique sur la vie et l’œuvre des peintres issus, d’est en ouest, entre Saint-Hubert et Bitbourg et, du nord au sud, d’Orval et Halanzy à Marche-en-Famenne. Il est un des commissaires de l’exposition.

On voit réunies, sans hiérarchie et à touche-touche, des scènes bibliques, des saints subissant leur martyre, un théologien de l’Église catholique (Thomas d’Aquin), des peintures décoratives, un portrait de l’empereur Léopold II d’Autriche (1714-1794). Au 18e siècle, le duché faisait en effet partie des Pays-Bas méridionaux, possession des Habsbourg d’Autriche. Un membre de la noblesse aussi, Jean-Baptiste de Blochausen, présent sans doute dans l’exposition en sa qualité d’un des premiers maîtres de forge artisanale.

On voit aussi des notables qui avaient les moyens de se faire portraiturer, comme le fondateur d’une dynastie, Jules-Joseph-Antoine Pescatore ou le notaire Philippe Servais de Mersch et son épouse. On ne retracera pas ici la saga des Pescatore, dont le plus illustre fut au 19e siècle, Jean-Pierre, banquier, mécène des arts et philanthrope ou des Servais, dont Emmanuel travailla à l’élaboration des différentes versions de la Constitution du Grand-Duché et signa en 1867 le Traité de Londres qui en faisait un pays indépendant. Ce n’est pas le sujet de l’exposition.

Le niveau des peintures D’histoire(s) et d’art est loin d’être exceptionnel. C’est précisé dans le montage audiovisuel qui accompagne les tableaux sur l’autre pan de mur de la galerie ; une « exposition immersive », en miroir des tableaux. Être peintre dans le duché, ce n’était pas un métier qui rapportait gros. Aussi les artistes ont été fresquistes, doreurs, ébénistes pour subvenir à leurs besoins, comme par exemple pour décorer l’actuel ministère d’Etat, anciennement le refuge de l’Abbaye de Saint-Maximin de Trèves à Luxembourg.

Un peintre luxembourgeois avait donc peu de chances d’accéder à la notoriété, les commandes ne s’y prêtaient pas, les mécènes étaient ailleurs. Et pourtant ! Charles Sauvage (né à Verviers et mort à Luxembourg), maître-peintre, forma deux autres peintres représentés dans l’exposition, Nicolas Collard (de Malmedy) et Philippe Doyé (de Diekirch). Mais surtout son fils, Jean-Pierre Sauvage, né à Luxembourg en 1699 qui mourut à Bruxelles en 1780. Il avait été nommé parmi les peintres officiels de la cour des Pays-Bas autrichiens qui y avait son siège. Le visiteur attentif, repérera la qualité picturale du portrait de Charles de Lorraine, son commanditaire, gouverneur des Pays-Bas méridionaux, donc du duché.

Jean-Louis Gilson, plus connu sous son nom d’ordination, frère Abraham, est une figure atypique par son parcours de vie. Il fut moine à l’Abbaye d’Orval où il ouvrit une école de peinture avant de revenir à la vie laïque. Né à Habay-la-ieille en 1741 et décédé à Florenville en 1809, c’est le seul qui a fait des études de peinture à l’étranger : Anvers, Düsseldorf et Mannheim. En attestent son diplôme décerné par l’académie de Düsseldorf de 1777 pour sa formation de huit mois et le premier prix de composition, ainsi que sa nomination comme membre extraordinaire de la même académie en 1786, présentés dans une vitrine à la fin du parcours de l’exposition.

Ses peintures religieuses comme Sainte Catherine d’Alexandrie, vers 1783 ou Moïse obtient la manne du ciel, vers 1794, sont sans doute de facture honorable. Mais on est surpris par la qualité d’une peinture de genre, avec la mise en scène du personnage principal à l’avant-plan sous un arbre, puis un paysage avec un autre groupe, puis la perspective qui fuit vers un bel arrière-plan vallonné. Elle s’intitule sobrement : Repos du Chasseur (1794). On peut voir dans le catalogue que le peintre avait fait auparavant une esquisse à la sanguine. Mais l’intention de l’exposition n’est pas de donner des renseignements sur ce type d’étude, ni ce genre de description.

On apprend dans les commentaires de la partie immersive que les peintres puisaient leur inspiration dans des gravures vues dans des publications qui circulaient abondamment. Dans le catalogue de l’exposition, un résumé de la thèse de l’historien Henri Carême, on découvre ainsi L’Asie, L’Europe, L’Afrique et l’Amérique d’après Hubert-François Gravelot, graveur actif au 17e siècle que le peintre Ignace Milim avait vues dans une Iconographie par Figures parue à Paris en 1791. Même chose pour L’Assomption de la Vierge, peut-être de Jean-Pierre Sauvage qui est, d’après Carême, une combination de deux estampes d’après Charles Le Brun et Pierre-Paul Rubens. L’une est aujourd’hui au British Museum, l’autre au Rijksmuseum.

Les renseignements à l’adresse du public sont plutôt d’ordre pragmatique. On apprend la durée d’une formation dans un atelier luxembourgeois et son coût, l’importance de l’école de peinture de l’abbaye d’Orval, le coût d’un tableau (en fonction de sa taille). C’est intéressant. Mais il à craindre que les visiteurs soient plus attirés par les images qui bougent et les commentaires filmés en vidéo, se limitant à un condensé réducteur de l’enquête historico-sociologique de Carême.

En guise de renseignement sur les tableaux qu’il a sous les yeux, le public ne dispose que d’une feuille A5 plastifiée où sont brièvement nommés les œuvres, leur auteur et leur provenance. Le directeur du MNAHA et autre commissaire de l’exposition Michel Polfer que nous avons interrogé à ce sujet, nous a répondu que le choix immersif avait été fait à la suite d’une évaluation interne. L’étude note que les visiteurs ne s’informent plus à travers des documents imprimés. Il estime qu’en effet, un complément d’information sur les peintres, via des QR-codes était envisageable. On apprécierait personnellement que l’analyse de quelques œuvres représentatives, au plan pictural, de l’histoire du duché et des familles qui ont contribué à l’émergence du pays actuel puisse ainsi bénéficier au public.

D’histoire(s) et d’art est à voir au MNAHA jusqu’au 28 janvier. Catalogue : Peintres et Peintures dans le duché de Luxembourg au XVIIIe siècle, publié par le MNAHA (408 pages, 62 euros)

Marianne Brausch
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