Peinture

De la Grande Région ou provinciale ?

d'Lëtzebuerger Land vom 28.07.2023

À la lecture du titre de l’exposition Dans la lumière de l’impressionnisme ?, on croirait que les commissaires de l’exposition, Angelika Glesius et Gabriele Grawe se posent la question : Dominique Lang et ses contemporains ont-ils travaillé la lumière sur le mode impressionniste plus que le motif ? Sans doute les historiennes de l’art ont-elles utilisé le terme « impressionnisme » de manière univoque pour attirer le public à l’exposition d’été à la Villa Vauban. Mais on le retrouve quand même ad nauseam dans les textes d’introduction des six salles divisées par thèmes.

Dominique Lang naît en 1874, deux ans après que le tableau de Claude Monet Impression soleil levant, forge le mot qui décrira ce courant artistique. Comme pour donner raison au grand historien Eric Hobsbawm, qui qualifia la période qui rompit avec l’académisme « de long 19e siècle », le même Monet commença en 1895 et termina en 1922, le cycle des Nymphéas, sa consécration absolue. Pourtant, la dernière exposition impressionniste eut lieu en 1886 et essaima ensuite en une multiplicité de courants : le post-impressionnisme (chef de file Gauguin), le pointillisme (Seurat), les nabis, dont Félix Vallotton est dans l’exposition à la Villa Vauban.

Dominique Lang et ses contemporains luxembourgeois et de la Grande Région ont été tout cela à la fois. Y compris naturalistes, c’est-à-dire « passéistes ». L’exposition ouvre d’ailleurs avec les deux tableaux de Dominique Lang de 1913, et 1915 Le barrage et Aux bords de l’Alzette. Heureusement, ils sont pointillistes…

Né à Dudelange, issu d’un milieu paysan, l’essor de l’industrie n’intéressa jamais Dominique Lang. Il ignora le phénomène métallurgique de son sud natal. De son ami le peintre Frantz Steinmetz (1858-1934), plus connu pour ses tableaux de paysages mosellans, on découvre ici une petite œuvre naturaliste ou plutôt un moment intimiste, En barque (1905). Steinmetz avait épousé une Arlonnaise. Mais il eut plus la bougeotte que Lang. En témoigne ici une vue de la Citadelle d’Antibes dont les larges coups de pinceau ne sont pas sans rappeler Les Rochers de Belle-Île de Monet.

Dominique Lang (1874-1919) connut des périodes de pessimisme et de mélancolie, voire d’ésotérisme, qui correspondent au courant du symbolisme. On le retrouve dans ce qui aurait pu être la raison principale de l’exposition : l’acquisition par la Villa Vauban en 2021 d’une série de visages, expressifs, usés, coiffés ou vêtus à l’ancienne. Sont-ce des esquisses pour des peintures néo-gothiques qu’il réalisa pour l’église Saint-Martin de Dudelange ? Il n’en est pas fait mention. L’exposition revient plus loin sur le style symboliste de Lang à la fin de sa vie, dans une expression de dévotion quasi religieuse, Reconnaissance de la nature (1918). Cette grande pièce côtoie un Nu masculin, peint à ses débuts, en 1905. Le style est Art Nouveau, la tendance déjà au ravissement et à l’extase.

Le fameux « ? » ne facilite pas la lecture de certains rapprochements entre les peintres. Furent-ils amis, eurent-ils des échanges épistolaires ? Ils ne formèrent en tout cas pas un groupe à l’esprit commun. Parfois même, des rapprochements dans l’exposition sont plus perturbants qu’éclairants. Ce n’est pas parce que August Trümper (1874-1956), peintre originaire de Trèves montre les traits expressifs d’un visage d’homme dans Portrait d’un vieil homme barbu (1915) qu’il aurait fallu classer dans la salle des Portraits de caractère. Ni rapprocher le magnifique Portrait d’une jeune fille ou d’une jeune femme (1913), de facture clairement expressionniste, peut-être le seul tableau moderne de l’exposition, ni du portrait d’Umberto Cappelari avec qui Lang ouvrit un studio photographique, las de ses échecs en tant que peintre.

Mais revenons à l’ordre de la visite. La salle des visages des proches permet de comparer l’atmosphère impressionniste, le jeu d’ombre des arbres sur le chapeau et les épaules d’une robe blanche par le peintre Camille-Nicolas Lambert, né à Arlon et le portrait de la petite fille blonde au nœud dans les cheveux par Dominique Lang. Le premier tableau est vaporeux, le second a l’épaisseur de la peinture à l’huile. Ils sont de 1906 et 1907. Pourquoi ne pas le dire ? On a pensé à Auguste Renoir.

Un peintre qui rentre dans sa région est-il condamné à devenir provincial ? À peindre des tableaux qui représentent femme et enfants sous le feuillage des arbres de son jardin, les paysages de sa région ? Des scènes pittoresques ? Ce serait cruel et c’est là où le talent – et le tableau réussi priment comme cet étonnant Double portrait de Lang en 1909, où deux femmes endimanchées, avancent bras dessus-dessous, un peu raides, comme allant à une cérémonie ou à la messe solennelle.

De Lang, Bettembourg, tableau pointilliste de 1918, peint un an avant sa mort, est un chef d’œuvre, comme l’inspirèrent les paysages en général : Paysage de la Mess (1916), Peupliers et saules près de Schifflange (non daté) et la récente acquisition de la Villa Vauban, Paysage à Schifflange avec arbres et fermes, (premier quart du 20e siècle). On n’y échappe pas, on pense à Van Gogh. Autre découverte : des femmes peignaient aussi et sur les mêmes sujets. Une ferme et son jardin fleuri à l’avant, Derniers rayons, est de Juliette Wytsmann (1866-1925). À approfondir ?

Une fois un premier tour fait à la recherche de ce fameux point commun impressionniste qui n’existe pas et l’accrochage en vis-à-vis de tableaux aux écarts de dates souvent trop importants pour les comparer, le visiteur pourra faire un tour à sa guise et des rapprochements personnels. On a imaginé voir côte à côte le portrait d’Anne-Marie Ney (1917), l’épouse du peintre et le grand tableau de Félix Vallotton (1865-1925), Femme assise à demi-nue, ainsi que le Nu assis de Frantz Steinmetz.

Pour voir virevolter des personnages, il faut s’arrêter devant un des rares tableaux en milieu urbain, Promenade au parc (Lucien Frank, 1857-1920). Puis, ils sont d’ailleurs accrochés côte à côte, Journée de l’aviation à Mondorf de Dominique Lang (1911) et, de Albert Weisgerber, La Procession à Saint Ingbert. Ce tableau date de 1904. Est-il impressionniste ?

Dans la lumière de l’impressionnisme ?, Dominique Lang (1874-1919) et ses contemporains, est à voir à la Villa Vauban jusqu’au 15 octobre

Marianne Brausch
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