Roumanie

« Reste chez toi et fais l’amour »

d'Lëtzebuerger Land vom 12.10.2018

Les Roumains ont boudé un référendum contre le mariage homosexuel organisé par le gouvernement social-démocrate les 6 et 7 octobre. Celui-ci n’a recueilli que 20,41 pour cent des voix, moins des trente pour cent de taux de participation nécessaires pour valider cette consultation populaire. Malgré la campagne menée par l’Église orthodoxe soutenue par le Parti de gouvernement social-démocrate (PSD) les électeurs ont tourné le dos à cette consultation populaire.

« Les Roumains ont donné une leçon aux hommes politiques, affirme le sociologue Gelu Duminica. L’agressivité de la campagne contre les homosexuels et la tentative d’instiller la haine contre cette minorité ont encouragé les Roumains à ne pas voter. L’Église a toujours été considérée comme un agent électoral majeur, mais il semble qu’elle ne parvienne plus à mobiliser l’électorat. »

Les Roumains sont restés sourds à l’appel des sociaux-démocrates qui leur ont présenté les homosexuels comme des « voleurs d’enfants », des « pédophiles » ou des « malades mentaux ». Le slogan des associations de la communauté LGBT de Roumanie, « Reste chez toi et fais l’amour », a eu plus d’effet que les appels du gouvernement et de l’Église. « Le véritable objectif de ce référendum n’était pas de favoriser la famille traditionnelle, mais de renforcer le sentiment anti-occidental en Roumanie, déclare l’analyste Sorin Ionita de l’association Expert Forum. Il devait provoquer une fracture sociale qui aurait pu être exploitée par les hommes politiques. »

La communauté gay de Roumanie revient de loin. Elle a connu une traversée du désert pendant un demi-siècle de dictature communiste qui pénalisait l’homosexualité. Et la chute du communisme en 1989 n’a rien changé pour cette minorité maudite. Ce n’est qu’en 2002, sous la pression de l’Union européenne (UE) avec laquelle la Roumanie avait démarré des négociations d’adhésion, que l’homosexualité a été dépénalisée.

« La bataille ne faisait que commencer car la société roumaine n’était pas prête à accepter notre différence, affirme Florin Buhuceanu, président de l’association Accept, qui représente la communauté LGBT roumaine. Nous sommes un peuple latin où le tempérament macho domine la société. Beaucoup de Roumains croient prouver leur masculinité en combattant le phénomène homosexuel. Quant à l’Église orthodoxe, elle ne peut pas parler de morale sans fustiger les homosexuels en profitant du peu de connaissances théologiques de ses fidèles. »

Si en Europe occidentale la gauche s’est montrée ouverte au mariage homosexuel, les sociaux-démocrates roumains ont choisi d’être à contre-courant de leurs confrères de l’Ouest. Ils se sont alliés avec la puissante Église orthodoxe qui a vu ses paroisses arrosées de subventions par le gouvernement et les mairies de gauche. Des millions de tracts contre la communauté LGBT ont été distribués par les popes dans les villages de la Roumanie profonde où vivent presque la moitié des vingt millions de Roumains.

Ces tracts ont aussi été distribués dans les écoles publiques avec la complicité des inspecteurs de l’Éducation nationale issus du Parti social-démocrate (PSD). Le président du PSD et de la Chambre des députés, Liviu Dragnea, s’est rendu en personne sur les plateaux des chaînes de télévision pour appeler les Roumains à voter. « Nous sommes tolérants, mais nous ne pouvons pas accepter tout ce qu’on nous impose, a-t-il déclaré le 30 septembre. Beaucoup de Roumains ont peur des évolutions qui se produisent dans d’autres pays, par exemple la légalisation du mariage entre un homme et un animal. Il y a de quoi avoir peur, non ? »

Pour le chef de file de la gauche Liviu Dragnea le référendum est devenu une affaire personnelle. En 2016 il a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Le 21 juin 2018 il a été condamné une deuxième fois à trois ans et demi de prison ferme pour trafic d’influence. L’homme fort de la gauche roumaine comptait sur la réussite du référendum pour recharger son capital politique entamé par ses problèmes pénaux, d’autant qu’il fait l’objet d’une troisième enquête pour avoir détourné vingt millions d’euros de fonds européens.

N’ayant plus de cartes à jouer Liviu Dragnea tente de jouer sur le sentiment anti-européen. « Les hommes politiques exploitent avec cynisme le ressentiment contre la communauté homosexuelle, déclare Florin Buhuceanu. Ils veulent nous pousser à prendre nos distances avec l’Union européenne et à nous rapprocher de la Russie et de sa politique anti-UE. En décembre 1989, les Roumains ont sacrifié leur vie pour faire tomber le communisme. Ils ne sont pas morts pour que nous nous tournions de nouveau vers l’Est. »

Le patron des sociaux-démocrates sort affaibli de cette confrontation avec l’électorat qui n’a pas voulu suivre ses consignes. Et ses problèmes sont loin d’être terminés. Le 5 novembre, il doit comparaître en appel dans une affaire d’emplois fictifs qui lui a valu de la prison ferme en première instance. « L’échec du référendum est la faillite d’une manière de faire de la politique, affirme Dacian Ciolos, la nouvelle étoile montante de l’opposition roumaine. Une nouvelle classe politique de gens honnêtes est en train de naître en Roumanie. »

Mirel Bran
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