Roumanie

La colère dans les rues

d'Lëtzebuerger Land vom 17.08.2018

Depuis le 10 août, des centaines de drapeaux étoilés de l’Union européenne sont agités tous les soirs place de la Victoire, devant le siège du gouvernement roumain. C’est ici que se rassemblent les Roumains de la diaspora pour protester contre la corruption qui gangrène leur pays d’origine. Ils viennent des quatre coins de l’Europe où ils ont émigré à la recherche d’une vie meilleure. « Je suis parti en Italie en 2014, raconte George Paun, ouvrier dans le bâtiment. J’ai quitté la Roumanie parce que j’en avais assez de la corruption, du népotisme et de cette classe politique de voleurs. Et c’est toujours à cause de la corruption que je reviens à Bucarest. Les hommes politiques sont allés trop loin, ils veulent avoir un contrôle total sur la justice. La Roumanie est mon pays, même si je travaille en Italie. Mon épouse et ma fille sont restées à Bucarest. Je suis sorti manifester pour l’avenir de ma fille. »

Mais manifester à Bucarest présente des risques. Les 100 000 Roumains qui sont venus manifester paisiblement devant le siège du gouvernement ont été attaqués par les gendarmes à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Une scène d’une violence inouïe qui rappelle les images de la chute du régime communiste en décembre 1989.

« Je ne pensais pas que je pourrais revivre ce type de situation, affirme George Paun. Les gendarmes nous ont poursuivis et nous ont matraqués sauvagement, hommes, femmes, vieux, enfants. J’avais l’impression de faire un saut dans le passé au temps du dictateur Nicolae Ceausescu ».

Les Roumains sont en colère. La volonté des autorités de les décourager à manifester par la violence se retourne contre elles. Depuis le 10 août, tous les soirs des dizaines de milliers de Roumains de la diaspora viennent occuper la place de la Victoire. Ils demandent la démission du gouvernement et des élections anticipées. « Ce ne sont pas des canons à eau qu’il faut utiliser contre les manifestants, écrit sur sa page Facebook Cristian Birdac, conseiller du gouvernement. On aurait dû les mitrailler. » Les manifestants que le conseiller du gouvernement propose de mitrailler représentent les cinq millions de Roumains de la diaspora qui sont partis travailler en Europe occidentale. Ils renvoient à la maison une bonne partie de leurs économies, environ six milliards d’euros tous les ans, qui permettent de maintenir l’économie roumaine.

La colère des Roumains remonte à février 2017, lorsque le gouvernement social-démocrate a tenté de stopper la campagne anticorruption menée par les procureurs. Après une victoire écrasante des sociaux-démocrates aux élections législatives de décembre 2016, Liviu Dragnea, leur chef de file, n’a pas pu devenir Premier ministre en raison d’une condamnation pénale à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Le 20 juin 2018 il a été condamné une deuxième fois à trois ans et demi de prison ferme pour abus de pouvoir. Le chef de file des sociaux-démocrates fait également l’objet d’une troisième enquête pénale pour avoir détourné 20 millions d’euros de fonds européens à travers une société de construction d’autoroutes. Mais Liviu Dragnea a une solution : modifier le code pénal pour blanchir son casier judiciaire et limiter le pouvoir des magistrats. Le 18 juin les députés ont voté un nouveau code pénal, que les spécialistes considèrent aberrant, mais il sauve Liviu Dragnea, président de la Chambre des députés.

La Commission européenne et les instances occidentales s’inquiètent au sujet de l’État de droit en Roumanie, d’autant plus que ce pays doit assurer la présidence tournante de l’Union européenne pendant six mois à partir du 1er janvier 2019. Le 28 juin douze pays occidentaux, dont la France et les États-Unis, avaient exhorté le parlement roumain à ne pas modifier la loi pénale. « Nous appelons nos partenaires roumains à éviter des modifications qui pourraient affaiblir l’État de droit et la capacité de la Roumanie à lutter contre la délinquance et la corruption », déclarait le communiqué des chancelleries occidentales à Bucarest.

Quant aux Roumains de la diaspora, ils comptent maintenir la pression de la rue pour faire tomber un gouvernement considéré comme corrompu et incapable de gérer le pays autrement que par la violence. « Les cinq millions de Roumains qui travaillent comme moi à l’étranger envoient leur argent en Roumanie, explique George Paun. Et les autorités nous remercient avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Ce gouvernement n’a rien d’européen, il ne représente pas ma Roumanie. Nous allons manifester jusqu’à ce qu’il tombe. » L’été roumain promet d’être chaud.

Mirel Bran
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