Gold Rush
Le Luxembourg se transforme en gigantesque agence immobilière. Les chiffres du Statec, compilés pour répondre à une question du député libéral André Bauler, donnent le vertige. En dix ans, le nombre d’agences immobilières est passé de 745 à 1 221, celui des promoteurs de 641 à 1 058. (En réalité, la statistique est gonflée par une foule de « Beccas du dimanche » qui font de l’immobilier « à côté ».) Plus choquant, les bénéfices bruts d’exploitation réalisés par les promoteurs a littéralement explosé. Entre 2018 et 2019, il est passé de 298 à 470 millions d’euros. Une croissance qui paraît obscène. Et qui permet des hobbies onéreux aux nababs de l’immobilier. Flavio Becca (photo: sb) achète ainsi des montres de luxe par centaines (on se rappelle l’affaire judiciaire de ses 859 montres), tandis que Marc Giorgetti pose sur son imposant yacht pour la presse spécialisée. (Les deux en ont également fait un business, le premier en rachetant des manufactures horlogères en Suisse, le second en investissant dans des constructeurs navals dans le Frioul et en Gironde.) Pour les agents immobiliers, la croissance des bénéfices est moins prononcée, passant de 89 à 123 millions. Il s’agit sans doute d’une profession les plus méprisées au Luxembourg. D’autant plus que leur rôle n’est pas exactement essentiel, les notaires garantissant la dimension juridique de la vente. Sur les dernières années, le modèle des agents indépendants s’est diffusé au Luxembourg, et avec lui, la précarité. De plus en plus d’agents tentent de se faire un place par des pratiques commerciales que les établis ressentent comme « agressives » : boîtages, cold callings, estimations loufoques, tous les moyens sont bons pour « entrer » un bien. Le « sortir », cela se fait quasiment tout seul. bt
Booster Shot
Cette semaine, la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BNL) a annoncé que les archives du Wort pour la période de 1951 à 1980 étaient désormais accessibles en ligne. 172 000 pages numérisées, à fouiller via le portail eluxemburgensia. La convention avec le Wort avait été signée en 2018 avec l’éditeur Saint Paul. Le repreneur Mediahuis n’y aurait pas vu d’inconvénients, assure le directeur de la BNL, Claude D. Conter. Voilà un booster shot pour les historiens (amateurs et universitaires) s’intéressant aux débuts de l’offshore, à la coalition libérale, la guerre froide, la crise sidérurgique. Même si Conter regrette que de nombreux étudiants prennent désormais exclusivement « le chemin de la facilité » : « Ce qui n’est pas trouvable en un clic reste souvent en dehors de leur scope de recherche ». Dans les publications sur l’histoire de l’après-guerre, le Land en était venu à occuper une position quasi-hégémonique en tant que source citée. La raison pour cette surreprésentation était en fait très prosaïque : l’hebdo fondé en 1954 était la seule publication toujours en activité (à part Forum et Kéisecker) à être entièrement consultable en ligne, également pour les décennies 1950 à 2000. Conter rappelle le but stratégique de sa campagne de numérisation : D’ici 2030, tous les périodiques tombant dans la catégorie « Luxemburgensia » devraient être disponibles sur eluxemburgensia.lu, dans le strict respect des droits d’auteur et des embargos, évidemment. Une soumission vient ainsi d’être lancée pour digitaliser la Revue. (Le Tageblatt devrait suivre plus tard.) Il s’agit d’un gigantesque chantier, puisque la digitalisation s’accompagne de l’« océrisation » (le terme vient de l’abréviation OCR pour Optical Character Recognition) qui permet la recherche en plein texte. Un processus qui est plus complexe au Luxembourg à cause du multilinguisme, surtout au sein des mêmes périodiques. bt
L’ubérisation de l’épicerie depuis Luxembourg
La chaîne américaine de livraison de produits du quotidien s’installe au Luxembourg. Gopuff a établi cet été dans la plus grande discrétion deux entités luxembourgeoises alors que le groupe basé en Pennsylvanie communiquait sur des acquisitions de concurrents européens, Fancy et Dija, actifs au Royaume-Uni, en France et en Espagne. Gopuff, l’un des leaders du quick commerce outre-Atlantique est valorisée autour de quinze milliards de dollars (après une levée d’un milliard en juillet) selon Reuters. Le groupe attaque le Vieux Continent depuis le Grand-Duché. L’entreprise qui promet de « livrer de la magie » (ainsi que du papier toilette) au quotidien a recruté un ancien responsable du développement européen d’Amazon basé à Luxembourg, Alex Ootes. Sept postes sont ouverts au Grand-Duché. Contactée, l’entreprise indique ne pas prévoir de communication sur ses activités au Luxembourg avant l’année prochaine. On saura alors si ce service de livraison sera offert localement et qu’une flotte d’indépendants envahira les rues. pso
Circulez y’a rien à voir
Le média indépendant Disclose révèle cette semaine que les informations recueillies par une société d’aviation luxembourgeoise mandatée par l’armée française servent aux autorités égyptiennes pour effectuer des frappes aériennes au mépris du droit. Une des deux élues Déi Lénk à la Chambre, Nathalie Oberweis, s’est émue de ces bombardements qui, entre 2016 et 2018, ont semé la mort, notamment parmi la population civile et a interrogé le ministre des Affaires étrangères sur son niveau de connaissance de cette opération baptisée Sirli. Celui-ci est nul, a promptement répondu Jean Asselborn. Le ministre socialiste estime en outre que les services offerts par la société CAE aviation, notamment spécialisée dans la reconnaissance, ne tombent pas dans le périmètre de la loi de 2018 sur le contrôle des exportations, laquelle exige une autorisation pour certaines activités. (Au deuxième alinéa de son article premier figure pourtant « l’assistance technique liée à certaines destinations finales militaires ».)
Le gouvernement n’entend pas conduire d’action diplomatique à ce sujet et s’attend à ce que l’exécutif français examine le contrat passé avec CAE Aviation, « s’il y a lieu à d’éventuels méfaits et de prendre, le cas échéant, les mesures appropriées ». Interrogé ensuite par Nathalie Oberweis sur d’éventuelles atteintes aux principes de l’Onu sur la responsabilité des États, Jean Asselborn réplique que la résolution consacrée ne couvre que les activités menées par des États ou leurs organes, « pas une société privée ». CQFD. C’est exactement la raison pour laquelle la France traite avec une entreprise privée basée dans une autre juridiction. Pour ne pas voir sa responsabilité engagée. Le Luxembourg peut aussi se dédouaner. C’est win-win. Sauf pour les populations civiles égyptiennes bien sûr. pso
Manque d’étiquette
Le vice-ministre des Affaires étrangères d’Israël Idan Roll devait rencontrer Jean Asselborn ce jeudi. Le ministre luxembourgeois tenait-là l’occasion de recueillir des éclaircissements sur les activités menées par NSO Group au Luxembourg, cette société israélienne active au Grand-Duché qui a défrayé la chronique en juillet parce qu’elle a vendu des logiciels utilisés pour espionner des journalistes et opposants pour le compte de divers régimes plus ou moins autoritaires. « Le ministre Asselborn adressera aux dirigeants de toutes ces entités (du groupe NSO au Grand-Duché, ndlr) une lettre pour leur rappeler dans les termes les plus fermes que le Luxembourg applique à la lettre toutes les obligations en matière de contrôle des exportations et ne tolérerait pas que des opérations de ces entités à partir du Luxembourg contribueraient à des violations des droits de l’homme dans des pays tiers, » (tiens donc) avait fait savoir le ministère le 21 juillet. NSO Group est très proche du gouvernement israélien et coopère activement avec son service de renseignement.
Mais le représentent de l’exécutif israélien a annulé son voyage en Europe au motif que la Belgique a relancé sa politique d’étiquetage « colonies israéliennes », notamment par le biais d’un renforcement du contrôle pour identifier les produits importés des territoires occupés en Cisjordanie… un impératif européen appliqué différemment par les différents États-membres. Dans une réponse parlementaire afférent à la problématique de l’étiquetage des produits des colonies, voulu par le droit européen (confirmé par un arrêt de la CJUE en 2019), le ministère des Affaires étrangères avait indiqué en février 2020 qu’un contrôle supplémentaire de l’étiquetage des produits en provenance d’Israël était effectué au Cargocentre (seul point d’entrée direct), mais que la fréquence d’importation de denrées israéliennes n’était pas régulière. « Les services de contrôle à l’importation ont reçu une instruction de la part du Ministre compétent de procéder à un ré-étiquetage de produits en provenance des Territoires palestiniens occupés au cas où ils porteraient une mention d’origine qui serait de nature à induire les consommateurs en erreur », avait écrit le ministre Asselborn. pso