Les parents de Michael ont décidé de tout laisser derrière eux pour partir faire le tour du monde en voilier. Tout à l’exception de leurs enfants – Sue, l’adolescente, et Michael, onze ans. On ne saura pas vraiment qui a poussé cette famille à prendre une décision aussi drastique. Et peu importe.
On sait, en revanche, que parmi le « tout » ce qu’ils ont laissé derrière eux, il y a aussi Stella, leur chienne ; car « un bateau n’est pas un lieu pour un chien », selon les parents. Une décision qui ne convainc pas le benjamin de la famille. Au point qu’il a réussi à embarquer secrètement son amie à quatre pattes dans la cale du bateau familial et qu’il parvient à chiper discrètement de la nourriture dans les réserves pour la donner au quadrupède.
La vie à bord n’est pas de tout repos, pas toujours amusante non plus : il faut nettoyer le pont, ranger, aider le capitaine – qu’il s’agisse de maman ou de papa – et être constamment accroché à une ligne de vie. Pour occuper le pré-ado, les parents lui offrent un journal de bord que Michael remplira au fur et à mesure grâce à ses talents de dessinateur. Mais, quand un soir de tempête, Michael décide de quitter la cabine pour aller retrouver Stella à l’autre bout du bateau, tout bascule. Il suffira, en effet, d’une vague un peu plus forte que les autres pour que l’enfant et le chien passent par-dessus bord.
Fondu au noir. Cela ne peut pas être la fin d’un court-métrage sur l’importance d’obéir à ses parents. Retrouvera-t-on Michael et Stella dans un univers post-mortem ? Dans un univers onirique ? Non, Le Royaume de Kensuké est un film d’aventure, pas de fantasy.
Miraculeusement l’enfant et l’animal vont se retrouver tous deux sur une plage déserte entourée de falaises infranchissables et d’une végétation impénétrable. Étonnamment, tous les matins, ils retrouvent quelques tranches de poisson et un grand bol d’eau à leurs côtés. Un homme mystérieux, discret et taiseux veille sur eux dans l’ombre. On apprendra plus tard qu’il s’agit de Kensuké, un ancien soldat japonais qui finit par se montrer et par prendre Michael sous son aile.
Malgré la méfiance et l’incompréhension des débuts – l’homme ne parle que le japonais tandis que le grand enfant ne peut s’exprimer qu’en anglais – une relation quasi filiale naîtra peu à peu entre eux. Michael découvrira alors le « royaume » personnel que Kensuké s’est créé sur cette île à la nature bien plus luxuriante qu’on pouvait le croire depuis la plage. Et si la communication demeure complexe, l’un et l’autre finiront par s’apprivoiser de la même manière que Kensuké a fini par apprivoiser la nature et les animaux de l’île. Apprivoiser, mais soumettre, puisque Kensuké vit dans le respect absolu de la faune et de la flore autochtone et tout particulièrement de la famille d’orangs-outans qui vit là paisiblement.
Un royaume qui ressemble en tout point à un petit paradis. Un Éden solitaire à sauvegarder à tout prix, surtout contre les braconniers qui viennent régulièrement faire le plein d’animaux sauvages à revendre à prix d’or.
Pour le spectateur, le film passe alors d’un univers à la Robinson Crusoé, à un univers à la Tarzan. L’ensemble reste familial, malgré quelques moment qui peuvent faire un peu peur aux plus petits, et extrêmement bien ficelé. Tiré du roman homonyme du Britannique Michael Morpurgo, spécialiste des récits jeunesse mêlant des humains et des animaux à des histoires d’une grande puissance émotionnelle, ce Royaume de Kensuké est un bijoux d’animation 2D coproduit par les luxembourgeois de Mélusine Productions.
Un film avec une grande charge émotionnelle sur l’importance de prendre soin les uns des autres, des animaux et de la nature. Un film avec peu de paroles mais qui parvient à transmettre les émotions, les relations, les sentiments… à travers des regards et des mouvements, mais surtout à travers les images – splendides – et les sons –qui apportent une grande touche de réalisme.
Certains pourront reprocher à ce Royaume de Kensuké une utilisation excessive de violons dans la musique, ou trouver peu réaliste le fait que Michael ait réussi à cacher à sa famille la présence à bord de leur chienne Stella ; peu importe ! Pendant un peu moins d’1h20, le film emporte, fascine, émeut. Le récit est intelligent – avec ces flash-back narrant la vie de Kensuké pendant la seconde guerre mondiale – et les deux metteurs en scène : Kirk Hendry (Junk) et Neil Boyle (The Last belle, Made Up) – qui signent là leur première réalisation de long métrage – ont su trouver le bon rythme, le bon ton et un style graphique varié, expressif et réussi, avec un dessin traditionnel pour les personnages – humains, chien, animaux sauvages… – et des décors mêlant dessin, photos et éléments 3D qui donnent au film à la fois une impression de conte et de grand réalisme.
C’est beau, c’est émouvant, c’est intelligent. Un film, à recommander de 7 à 77 ans ; voire au-delà.