La Berlinale, également connue sous le nom de Festival international du film de Berlin, a été fondé en 1951 par les Alliés occidentaux. Il devait symboliser l’ouverture du monde. C’est ce qu’il incarne toujours en 2024, comme l’indiquent les foules dans les rues allemandes qui se positionnent clairement contre l’extrême-droite, notamment l’AfD (Alternative für Deutschland, l’alternative pour l’Allemagne). Le parti a participé à une réunion quasi secrète rappelant celle tragiquement célèbre tenue à Wannsee en 1942. La Berlinale a d’ailleurs désinvité tous les représentants de l’AfD lors de son ouverture, la semaine dernière alors que l’invitation des représentants politiques est automatique.
Ce festival se tient chaque année début février et comprend une compétition internationale de longs-métrages, un marché du film très important, des rétrospectives et des sections parallèles. Il est un des trois principaux festivals de cinéma internationaux, aux côtés de Cannes et de Venise. En 2019, la Berlinale a marqué un tournant avec l’adoption de la Charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma. Jusqu’alors dirigé par Dieter Kosslick, il a vu à sa tête Mariette Rissenbeek et Carlo Chatrian qui quitteront la direction à leur tour après l’édition 2024. On ressent une certaine intranquillité sur la Potsdamer Platz.
Cet événement a toujours été politique et tourné vers un cinéma qui fait écho à ce qui se passe dans le monde en termes géopolitique, social et culturel. Il représente l’art du cinéma dans sa force humaine à embrasser l’altérité. Beaucoup de films d’un cinéma réfléchi et critique y sont mis en avant, tous comme des événements et des discussions qui cherchent à faire évoluer le cinéma en général. Mais la liberté de programmer est devenue illusoire, il est difficile de pouvoir programmer sans blesser.
Cette année, comme c’est régulièrement le cas, le cinéma du Luxembourg est présent à la Berlinale. D’après les données du Film Fund, il y a eu 25 sélections impliquant le Luxembourg entre 1993 et 2023 et cinq prix remportés, dont l’Ours d’or pour Bad Luck Banging or Loony Porn de Radu Jude coproduit par PTD (Paul Thiltges Distribution).
Cette année, le Luxembourg se présente à Berlin avec deux films importants, en compétition officielle. Le premier (en compétition Generation Kplus, pour le donc jeune public) est Fox and Hare safe the Forrest de la réalisatrice néerlandaise Mascha Halberstad. Un beau film d’animation destiné au jeune public mais pas uniquement, coproduit par Doghouse Films Luxembourg et sublimé une fois de plus par le travail musical hors pair d’André Dziezuk. Le deuxième film en lice est Black Tea d’Abderrahmane Sissako, réalisateur et consul honoraire du Grand-Duché en Mauritanie. Il revient avec une certaine mélancolie après son Timbuktu, qui avait été nommé aux Oscars.
« Deux films en compétition officielle pour le Luxembourg, c’est déjà une belle réussite », confie Guy Daleiden, directeur du Film Fund, présent à Berlin. Il soucieux de valoriser le secteur, mais tout aussi lucide de la fragilité du moment. « Pour les réalisateurs, les producteurs et tous les techniciens basés au Luxembourg, ce genre de festival de catégorie A est essentiel. La Berlinale, le Festival de Cannes ou celui d’Annecy permettent une large visibilité, une réelle valorisation et un moyen indéniable pour aller chercher de nouveaux projets, mais aussi de nouveaux moyens financiers, des collaborations avec d’autres pays. » Il ajoute que la présence dans ces grands festivals permet à nos talents de travailler sur une scène internationale, un tremplin décisif pour décoller et faire avancer les choses malgré les difficultés d’économique. « Le secteur cinématographique dans son ensemble subit les fluctuations économiques, ce n’est pas différent au Luxembourg. Les gens s’inquiètent. Le renouvellement se fait aussi plus lentement, les jeunes craignent d’avoir moins de perspectives. Cela dit c’est le cas à tous les niveaux, c’est sans doute aussi une question démographique. Mais il ne faut rien lâcher, chercher de nouveaux moyens, prouver par de bons films que le Luxembourg est bien présent, il faut des projets plus innovants aussi et l’éducation. En somme continuer à avancer malgré tout », poursuit-il
Il est vrai que ce n’est que par la persévérance, mais aussi la lucidité des collaborations (surtout des coproductions) que le cinéma peut vraiment se créer au Luxembourg. Frank Feitler l’avait déjà parfaitement compris au niveau du théâtre. Il semble nécessaire aujourd’hui aussi d’investir dans la formation pour créer de nouvelles forces vives et de ne pas négliger le tissu existant. Et avancer malgré la morosité et la complexité ambiante. Comment regarderons-nous cette période historique complexe a posteriori ? Comment crée-t-on des films au Luxembourg aujourd’hui ? Quelle est leur qualité artistique ?
À la fête traditionnelle donnée par l’ambassade du Luxembourg à Berlin, toutes ces réflexions et ces craintes circulaient évidemment en toile de fond dans les conversations. Le chœur Die Vögel, constitué de personnes qui travaillent dans le cinéma, notamment la réalisatrice Eileen Byrne, a chanté à cette occasion. Entre un refrain de Barbie et l’intro de White Lotus, l’ambassadeur Jean-Paul Senninger, a parlé du contexte géopolitique complexe des guerres et des multi-crises qui en découlent : un contraste saisissant. Personne n’ignore la réalité et même lorsque les verres ont commencé à trinquer, on sentait que les choses ne sont plus tout à fait légères. Malgré tout, on tente de se réjouir de la présence des films, on s’écoute les uns les autres et on tente de se souvenir pourquoi on est là, pourquoi on travaille dans le cinéma. Une question récurrente de nos jours, à tous les niveaux de la société. La passion de créer des histoires, de se faire l’écho du monde, tel qu’il l’est, est-ce encore essentiel ?
Pour Paul Thiltges, qui a donc un Ours d’Or à son actif avec le brillant réalisateur roumain, Radu Jude, les choses sont claires : « Il faut continuer à faire du bon cinéma. Travailler sans relâche et trouver les moyens pour bien le faire ! » Emmanuelle Vincent, productrice chez Doghouse Films Luxembourg est heureuse de pouvoir montrer un film réconfortant et peut-être même tout public, à travers ce festival, important, historique, dit-elle : « Fox and Hare save the Forrest pour lequel toutes les équipes ont tellement travaillé, au Luxembourg mais aussi en Belgique et aux Pays-Bas, un film comme celui-ci, ça se fait comme ça, en équipe, avec bienveillance, confiance et persistance. »
Quant à la réalisatrice et productrice Bady Mink (Amour fou), elle se souvient parfaitement qu’après avoir présenté ses films lors des grands festivals, tels que la Berlinale, les financements se sont simplifiés, d’un seul coup. Tout était devenu plus aisé pour la suite... À l’époque. Pour rappel, le cinéma européen est un cinéma subventionné. Aujourd’hui, les productions avancent pour Amour Fou, mais les financements redeviennent très compliqués, l’argent manque car tous les coûts ont augmenté, notamment ceux des acteurs et équipes. « Ce n’est d’ailleurs pas étonnant. Les acteurs, actrices, les techniciens et techniciennes doivent bien payer leur loyer, comme tout le monde ! »
Yann Tonnar, est inquiet mais heureux d’annoncer la suite de Move avec sa partenaire et épouse, Sylvia Camarda initiatrice avec Arte de cette superbe série sur la danse et l’expression corporelle. Douze épisodes sont à venir, l’écriture de ceux-ci démarrera immédiatement après leur retour de Berlin. Et pour finir Philippe Kohn, manager de Philophon (studio de post-production sonore qu’il a créé en 2007) aime venir à Berlin, rencontrer un maximum de monde d’un coup, « les comparses Luxembourgeois mais aussi les techniciens européens ». Lui aussi, veut travailler et faire travailler son équipe, il participe à des échanges concrets, comme le Post Lab dédié à la post-production justement - cette partie de la création cinématographique qui est tout aussi essentielle. Il est accompagné à Berlin de son partenaire, l’ingénieur son Carlo Thoss, respecté de tous les réalisateurs avec lesquels il travaille toujours avec grande attention, le dernier par exemple est Abderrahman Sissako. Ils sont ravis mais savent pertinemment aussi qu’ils sont tributaires des producteurs qui montent leurs films sur tableau Excel en fonction des subventions qu’ils reçoivent. Philippe Kohn regrette d’ailleurs que son studio ne puisse que rarement suivre les réalisateurs plusieurs fois : « sauf Andy Bausch », sourit-il.
Si seulement, les esprits pouvaient se conforter par le fait que quoi qu’il arrive autour de nous, des histoires continueront à être racontées et montrées, notamment par le biais de films fabriqués par des gens passionnés et sincères. Que l’art sous toutes ces formes d’ailleurs puisse soulager de la réalité ou du moins nous permettre de la comprendre un peu mieux. Même ou surtout au Luxembourg, un endroit qui pourrait être le parfait laboratoire aussi bien économique que philosophique, celui de la compréhension libre et sincère de l’altérité, celui de l’esprit critique, notamment à travers l’art cinématographique dans toutes ses déclinaisons.