Ce mois d’octobre signe bien la rentrée pour la culture. Et la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg en sera l’un de ses épicentres. En accueillant d’abord ce vendredi la projection de R.M.N. (pour Resonanza Magnetica Nucleara), sérieux prétendant au Grand Prix du jury de la quinzième édition du Festival CinEast. Dans cette féroce fresque contre l’époque, Cristian Mungiu ausculte en radiologue la population d’un bourg de Transylvanie, véritable mosaïque de langues, nationalités et religions, loin de cohabiter ici harmonieusement. Les différences divisent plus qu’elles ne relient, sur fond de ressentiments populistes et d’effacement des repères traditionnels, plus ou moins réels ou fantasmés, sous l’effet de la mondialisation. Autre film en lice présenté le même jour et dans le même lieu : celui que l’on doit au duo László Csuja-Anna Eszter Nemes, intitulé Gents, étonnante fable mélodramatique détournant les codes du genre (du genre cinématographique, mais aussi sexué) emmenée par une femme-homme, puisque bodybuildeuse (amoureuse, qui plus est). Suivront le lendemain l’Ukrainien How is Katia ? de Christina Tynkevych puis Occupation, le 9 octobre, fantaisie tchèque décalée et douce-amère signée Michal Nohejl qui fait retour sur l’expérience soviétique de son pays.
À côté du Festival CinEast (lire d’Land du 30 septembre), la cinémathèque célèbre tout au long de ce mois l’œuvre de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) pour le centenaire de sa naissance. Sinistre année 1922 d’ailleurs, puisque c’est aussi l’année de la Marche sur Rome de Mussolini. Sinistre année 2022 également : les post-fascistes arrivent au pouvoir dans la Péninsule. L’atmosphère devient lourde un peu partout, de la Transylvanie à la Suède, en passant par l’Italie, la Hongrie, la Pologne... Revenons cependant à notre résistant solitaire, qui avait promis à son frère Guido, assassiné en 1945 au cours d’une querelle de territoire entre partisans, de poursuivre son engagement après la Libération. Poète dialectal, romancier, dramaturge, polémiste, Pasolini accomplira donc cette résistance sur le front de la langue, des corps, de la psychologie, de l’histoire et de ses traditions, de l’esthétique et de la politique. On ne peut faire plus entier, plus alerte sur son temps. Intellectuel obsessionnellement vitaliste, Pasolini est un indéfectible chantre du sous-prolétariat, malgré les mutations anthropologiques qui affectent ce dernier au cours des années 1960 avec l’avènement de la consommation de masse. Seule l’antique cité de Naples aura selon lui su rester populaire, fidèle à elle-même. Il y tournera Le Décameron (1971), hilarante (et trop rare) comédie populaire du cinéaste et plus gros hit en salle de cette année en Italie. Une raréfaction des cultures italiennes qui le conduira à chercher toujours plus loin l’objet de son amour populaire : parmi les pays du Tiers-Monde (Inde, Afrique, Népal...), comme en témoigne notamment Les Mille et Une Nuits (1974) qui vient clore sa Trilogie de la vie. Avec ce premier volet rétrospectif, nous passerons du noir et blanc âpre d’Accattone (1961) et de Mamma Roma (1962) à la couleur d’Oedipe Roi (1967), du christiano-marxisme à la tragédie antique, jusqu’aux méditations cruelles sur le devenir de l’Allemagne à travers le moins connu Porcherie (Porcile, 1969). Pasolini était mort ; le voilà bel et bien vivant.