Ticker du 28 juillet 2023

d'Lëtzebuerger Land vom 28.07.2023

Triste crochet

Passage par l’agence de l’Adem à Esch-sur-Alzette mercredi pour les salariés de l’entreprise générale de construction Manuel Cardoso, en instance de faillite selon des informations diffusées par la direction. Selon Fabio Scolastici, responsable du dossier à l’Adem, 120 salariés de l’entreprise ont participé dans la matinée aux réunions d’information sur les démarches à accomplir (photo : Sven Becker). Ils ont d’emblée été inscrits comme demandeurs d’emploi pour bénéficier des aides quand la faillite sera officiellement déclarée. « On gagne du temps », explique Fabio Scolastici. Ce dernier souhaite que ces démarches soient accomplies avant les congés collectifs vendredi, quand la plupart des salariés « descendront voir leurs familles au Portugal ».

Les comptes de la société révèlent un chiffre d’affaires d’une dizaine de millions d’euros, des coûts de personnel quasi-équivalents et une dette annuelle à court terme (moins d’un an) qui a atteint plus de cinq millions d’euros en 2021 après avoir augmenté lentement, mais sûrement année après année. Les salaires n’ont pas été payés depuis le mois de juin selon le porteur du dossier à l’OGBL, Jean-Luc de Matteis. Le secrétaire syndical précise qu’une centaine de salariés ont quitté l’entreprise pour en rejoindre une autre au cours des douze derniers mois. Dans un communiqué diffusé mardi, l’OGBL indique avoir pris contact avec les organisations patronales « pour replacer au plus vite les salariés dans d’autres entreprises à la recherche de main d’oeuvre ». Le personnel expérimenté fait défaut, selon les patrons.

Des rumeurs circulent sur des problèmes de gouvernance. L’Essentiel rapporte dans son édition de mardi le côté familial de l’entreprise. Est citée une secrétaire « émue aux larmes » : « Ici, c’est une famille, on n’est pas des numéros ». La Fédération des artisans martèle depuis dix mois que le secteur de la construction est en crise et que de nombreuses entreprises du secteur se dirigent vers la faillite, faute de demande suffisante. Jean-Luc de Matteis confirme que les sociétés très exposées aux constructions neuves pourraient rencontrer des difficultés (du fait de la chute des ventes en état de futur achèvement), mais qu’aucune autre n’est prête à mettre la clef sous la porte à sa connaissance. pso

Tunnel of love

« Luxembourg rocks », écrit Nicolas Mackel sur Linkedin mardi. Le boss de l’agence de promotion Luxembourg for Finance, par ailleurs fan de Bruce Springsteen, se réjouit d’une publication de l’agence de référence en matière d’informations financières, Bloomberg. Titré « Jamie Dimon’s Luxembourg Visit Shows Financial Lure of Small but Stable Nation », l’article se base sur la visite, le 17 juillet dernier, du patron du géant bancaire J.P. Morgan pour fêter les cinquante ans de l’établissement au Grand-Duché (Photo: X). La banque américaine y emploie 800 personnes. Certes l’établissement a abandonné sa licence bancaire luxembourgeoise le 22 janvier 2022 pour y opérer en tant que succursale de Francfort (ce que Bloomberg n’écrit pas), mais il y gère 59 milliards de dollars d’actifs et figure parmi les principaux « players » de la finance internationale implantés au Grand-Duché. Ils y ont massé leur assets après le Brexit, relève l’agence d’informations financières. Elle cite HSBC qui développe son hub européen pour la banque privée avec l’acquisition, en octobre dernier, des activités en France. Puis Citigroup qui a augmenté son staff de moitié ces deux dernières années. (Goldman Sachs a également placé des billes au Luxembourg.)

« Luxembourg is bidding to grow its share of the financial services sector that’s fleeing London after the UK’s exit from the European Union. It’s leaning on its reputation for discretion, political stability and location at the heart of Europe to grow its stature », lit-on dans cette présentation glorieuse du Luxembourg financier et dans laquelle les défis sont placés au second plan. Bloomberg évoque la compétition internationale en matière d’accueil des fonds d’investissement et un recul de l’encours depuis la guerre d’Ukraine, ainsi que les efforts demandés par le Gafi (groupe d’action financière) en matière de détection et de traitements des dossiers complexes de blanchiment d’argent.

« Still, Luxembourg continues to lure players from across the globe », poursuit l’agence d’informations. Des sociétés de gestion de fonds récemment arrivées sont mentionnées (comme Apollo Global Management ou Actis). Des banques d’Asie et d’Amérique latine considéreraient la pertinence d’ouvrir des bureaux au Grand-Duché (selon des informations du lobby des banques). L’arrivée annoncée de Bank of London (200 millions d’euros d’investissement et un recrutement de 300 personnes) est évoquée : « The firm decided against Dublin because the city wasn’t sufficiently open to new banks and avoided Paris partly due to years of unrest, Group Chief Executive Officer Anthony Watson said in an interview. » pso

L’art de la guerre (électorale)

La communication est érigée en art. Sa maîtrise se révèle déterminante en politique. Et Yuriko Backes, novice en la matière, s’y attèle. « Je continuerai ainsi à suivre une politique budgétaire prévoyante et responsable, en veillant à ce que l’évolution des dépenses publiques soit à tout moment maitrisée », est ainsi titré son communiqué envoyé aux rédactions lundi après la réunion conjointe avec la Commission de l’exécution du budget et la Cofibu de la Chambre des députés. De quoi ancrer la conviction que la ministre libérale veille au grain, sans rien laisser tomber à côté. Or, le contenu de la communication nuance le vœu d’orthodoxie budgétaire, répété jusqu’aux titres des photos de la galerie associée.

À la fin du premier semestre 2023, le solde de l’administration centrale accuse un déficit de 228 millions d’euros. Au 30 juin, ses dépenses, 13,1 milliards d’euros, ont augmenté de 17,9 pour cent par rapport à l’exercice précédent. Celles-ci tiennent pour beaucoup aux mesures prises dans le cadre du Energiedësch et des Solidaritéitspak 1 et 2.0. Elles se chiffrent pas loin du milliard d’euros (942 millions). Et, dans les abysses de leur communiqué, les services de Yuriko Backes préviennent : « La plupart des dispositions du paquet de solidarité 3.0 n’étaient pas encore entrées en vigueur à la fin juin. Par conséquent, les dépenses afférentes impacteront les finances publiques sur la seconde moitié de l’année ainsi qu’en 2024. » Un nouveau gouvernement aura été formé entre-temps. D’ici là, les électeurs auront été ménagés, y compris dans la fonction publique. Les tranches indiciaires et « les recrutements continus » ont mené à une hausse de 10,4 pour cent (285 millions d’euros) des rémunérations versées par l’État durant la première moitié de l’année. Les frais de fonctionnement de l’État ont augmenté dans la même mesure (10,2 pour cent), soit de 90 millions d’euros.

Heureusement, des recettes ont crû pour compenser les mesures de soutien à la consommation et au train de vie de l’État. Elles ont augmenté de 5,4 pour cent à 12,9 milliards d’euros. Notamment grâce à une manne de 198 millions d’euros, +18,3 pour cent, en provenance de l’impôt sur le revenu des collectivités en raison de l’encaissement de soldes se rapportant à des exercices fiscaux antérieurs. Les indexations et la « bonne dynamique du marché du travail » ont maintenu l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et l’impôt retenu sur les traitements et salaires (RTS) à un niveau élevé.

En revanche, dans le sillon de la guerre d’Ukraine, quelques écueils sont à signaler du côté de l’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA (AED), laquelle a enregistré une baisse de 4,5 pour cent de ses recettes (3,5 milliards d’euros). Elle tient au ralentissement du marché immobilier. Les revenus générés par les droits d’enregistrement diminuent quasiment de moitié pour atteindre 142 millions d’euros (soit une diminution de 125 millions par rapport au 30 juin 2022). Le chaos sur les marchés financiers a lui provoqué un recul de 12,3 pour cent de la taxe d’abonnement (à 595 millions d’euros contre 678 l’année dernière) prélevée sur l’encours des fonds.

Malgré une moins-value de 80,5 millions d’euros due à la réduction de plusieurs taux de TVA, cette dernière a augmenté ses recettes de trois pour cent, bénéficiant de l’inflation et du maintien du pouvoir d’achat des ménages. La rue de la Congrégation souligne par ailleurs un niveau d’investissement élevé pour un montant de 1,6 milliard d’euros, soit une hausse de trente pour cent (344 millions d’euros) par rapport à la même période en 2022. « Cette progression (…) s’inscrit dans une stratégie proactive visant à atténuer les impacts de la crise, à soutenir l’activité économique et à renforcer la résilience de l’économie luxembourgeoise face aux défis futurs », écrit la rue de la Congrégation. Enfin, les dépenses associées à la guerre en Ukraine, 188 millions d’euros, comprennent elles principalement l’équipement militaire et l’accueil des réfugiés pour les années 2022 et 2023. 

En conclusion Yuriko Backes se réjouit du versement du crédit d’impôt conjoncture avant de partir en vacances (il rassemble les six premiers mois de l’année) : « Cela représente un gain important en termes de pouvoir d’achat ». La ministre libérale se félicite de l’efficacité des mesures prises par le gouvernement, mais prévient: « Elles pèsent lourdement sur notre budget (…) Il faut s’attendre à ce que le déficit de l’Administration centrale continue à se creuser jusqu’à la fin de l’exercice budgétaire, tout en restant en ligne avec les projections établies dans le cadre du Programme de stabilité et de croissance (PSC). » Fin juin, la dette publique s’élevait à 22,2 milliards d’euros, soit un ratio d’endettement de 27,1 pour cent du PIB. Suite au remboursement d’un emprunt obligataire de deux milliards d’euros le 10 juillet, la dette publique se situe aujourd’hui désormais à 20,2 milliards d’euros, soit 24,7 pour cent du PIB. pso

Kleos vers la faillite

Bientôt le clap de fin pour Kleos Space, start-up arrivée au Luxembourg en 2017 grâce à la bienveillance du ministre de l’Économie de l’époque, Etienne Schneider. La société cotée à la Bourse de Sydney a annoncé ce mercredi par voie de communiqué qu’elle n’avait d’autre choix que d’entamer une procédure de faillite devant le tribunal de commerce de Luxembourg dans les trente jours. « The Company is unable to meet its financial commitments as they fall due, and that there is no prospect of viable alternative financial accommodation », écrit le groupe actif dans la fourniture de renseignements depuis l’espace. Comme l’a révélé Luxtimes en mai, Kleos Space a fait face à des dysfonctionnements dans sa flotte de satellites et à l’intransigeance de ses bailleurs de fonds. Selon Paperjam, l’État luxembourgeois a investi entre un et 1,5 million d’euros dans cette start-up, maillon important de la stratégie de diversification dite du « new space ». Dans son rapport annuel 2021 publié voilà un an, l’entité luxembourgeoise écrivait que sa « principale source » de financement émanait de l’ESA (European Space Agency) de la part du gouvernement luxembourgeois. Le groupe comptait 22 employés fin 2021, l’entité luxembourgeoise huit (contre dix un an plus tôt). Kleos Space Luxembourg avait cumulé plus de dix millions d’euros de pertes en cinq ans. pso

Pierre Sorlut
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