« Je prierais la personne qui a un SUV, dont la plaque commence par 91, de bien vouloir déplacer sa voiture qui gêne un peu », signale Carole Hartmann, ce samedi matin. Le congrès statutaire du DP vient tout juste de commencer. Parmi les 450 membres présents au centre culturel Syrkus, personne ne bronche. Le coupable ne veut se dévoiler. « Passons donc aux résultats… il pourra alors sortir discrètement », reprend la secrétaire générale du DP. Les congrès du Parti démocratique sont peu démocratiques. Les délégués restent assis dans la pénombre à écouter les pontes du parti réciter leurs discours. Pas de résolutions ni de motions, et encore moins de prises de parole spontanées. Les Spëtzekandidaten avaient été avalisés par le comité directeur la veille, le programme électoral une semaine plus tôt par le conseil national. Dans un parti de notables, les décisions stratégiques se prennent en petit cercle, actuellement par Xavier Bettel et son entourage politique. Le seul passage pseudo-participatif intervient une fois le Premier monté sur scène. Il s’inquiète des délégués restés debout dans les couloirs, et endosse le rôle de MC ou de GO. Prenant la salle en main, il guide le public : « Vous pouvez lever le doigt si des places sont libres ?... En haut, il en reste une… Là-bas, une autre ! »
Xavier Bettel a passé une bonne partie du congrès à peaufiner ses notes. Son discours se révélera être une courte mais caustique attaque contre le CSV. Louant la « modernisation » du pays, il appelle la base à « tout faire » pour que « certaines personnes » ne tournent pas « la roue en arrière » : « Ce risque est réel ! ». La charge est menée en quatre mouvements. Bettel commence piano en réaffirmant son opposition au nucléaire, alors que le CSV (mais également les Jonk Demokraten) vient d’opérer un revirement sur la question. Ensuite, il ridiculise le mot d’ordre « Steiererliichterungen fir jiddereen » de Luc Frieden : « On baisse les impôts pour tout le monde, on reste à trente pour cent [de taux d’endettement] et on compense par la croissance ? Also déi eng Partei muss mir just erklären, wéi dat geet ! »
Puis, crescendo, Bettel en arrive à la politique familiale. Cela fait des mois que le CSV plaide pour l’introduction d’un « Elterengeld », relayant les ressentiments de la classe moyenne vis-à-vis des structures d’accueil. (Luc Frieden promet ainsi de doubler les allocations familiales pour les parents qui restent à la maison.) Bettel se fait un malin plaisir de réduire ce positionnement à son substrat idéologique, quitte à forcer quelque peu le trait, voire à virer dans la caricature. « Le pire que j’ai entendu, c’est de vouloir encourager les femmes à arrêter le travail pour s’occuper des enfants pendant un certain temps. Je ne vais pas dire à une femme en 2023 d’arrêter de travailler pour 250, 260 ou 270 euros par mois ! Ou qu’elle s’occupe si possible aussi de la cuisine, pour que tout soit prêt lorsque le mari rentre… Ech ginn rosen, wann ech sou eppes héieren ! »
Le paroxysme est atteint au quatrième mouvement : la séparation entre l’Église et de l’État. Bettel évoque l’introduction, il y a dix ans, de la cérémonie civile pour la fête nationale. « Certaines gens du CSV », s’offusque-t-il, auraient dit à l’époque : « Dat ass dem Bettel säin Tralala. Wann dee bis net méi Premier ass, schafe mir dat nees of, an dann ass rëm alles eng Mass. » Bettel réactive le Kulturkampf, comme au temps du bloc des gauches. « La religion n’est pas une affaire de l’État ! », s’exclame-t-il. Les applaudissements fusent, quelques « bravo » également. La base du DP, restée relativement apathique jusque-là, se réveille enfin.
Au congrès, Xavier Bettel revendique fièrement le titre de « Klima-Premierminister ». Le Premier lance une série de lapalissades, comme « les gens ne sont pas le problème, ils sont la solution ». Il ne veut pas être identifié aux interdits mais aux incitatifs. « Dans son enthousiasme, Lex vient de dire que chacun devra installer un système photovoltaïque sur son toit. Non. Non. On ne l’imposera que pour les nouveaux projets ». Et de répéter : « Que pour les nouveaux projets. » (En fait, Delles n’avait rien dit de tel ; il avait au contraire souligné son opposition à toute forme de « Verzichtspolitik » et de « Klimapolitik mam Briecheisen ».) Sam Tanson utilise le même wording mou et inoffensif. Mais à l’inverse du DP, les Verts se font vilipender comme « Verbotspartei » par la droite. (Leur programme utilise le terme « interdire » à quatre reprises : en rapport avec la chasse aux renards, la « Qualzucht », le glyphosate et les « thérapies de conversion ».) C’est que le DP paraît actuellement incontournable comme coalitionnaire, c’est-à-dire inattaquable.
Bettel mène une campagne de centre-gauche. (Le mot « sécurité », qui avait dominé la campagne de Lydie Polfer, ne tombe pas une fois durant les deux heures et demie de congrès.) Il est aussi capable de jouer sur un registre plus néolibéral, comme il l’a démontré au dernier Pot du Nouvel An du DP : « Zesumme wëlle mir eng Politik maachen, wou ee sech net muss schummen, wann een e Succès huet. [...] Ech hu gesot, ech sinn net de Premierminister vun engem Land, wou ech de Leit géif eng Couche gi fir drop ze pennen. Ech si gären de Premierminister vun engem Land, wou een en Trampolin kritt fir drop ze sprangen a méi héich ze kommen ». Or, à part une petite pique contre les « Schablounen » de réduction du temps de travail concoctées « dans une centrale syndicale », de tels accents macroniens étaient absents des discours ce samedi.
Le DP a quelque 2,2 millions d’euros sur ses comptes. Sa trésorière annonce que ses avoirs seront « geplëmmt » dans les prochaines semaines. (Les communales lui auront coûté environ 600 000 euros.) Xavier Bettel s’est mis en mode campagne « no bei dir ». En une semaine chrono, le Premier a remis les diplômes aux Primaner du Lycée Aline Mayrisch, du Lycée classique d’Echternach, du LGL et du Lycée Robert Schuman ; plus une visite au Parc merveilleux, à la Fondation Pescatore et chez Panelux. Il a pris sous son aile Yuriko Backes, tentant de l’initier aux codes politiques. Son discours au congrès est émaillé de shout-outs à la ministre des Finances (« je vois Yuriko qui hoche la tête ! »). Par moments, il lui fait lever les mains pour la féliciter. Mais dans sa brève intervention, la co-tête de liste dans la circo Centre sonne toujours très peu comme une politicienne et beaucoup comme une technocrate. Pourtant, elle essaie.
Yuriko Backes revendique ainsi le clientélisme gouvernemental au profit des « breet Mëttelschichten » et de leur « Portmonni ». Dans un long discours, le président du DP, Lex Delles, présente les goodies du programme électoral. Afin de « décharger » les classes moyennes, les barèmes d’imposition devraient être « régulièrement » adaptés à l’inflation. (Le DP préfère ne pas donner de timing plus précis). Il réchauffe quelques promesses non tenues de l’accord de coalition, comme le « droit au temps partiel » pour les parents dont les enfants vont à l’école fondamentale. Pour faire bonne mesure, on y ajoute un allongement du congé parental de trois mois, « en dialogue avec les partenaires sociaux ». (L’accord de coalition liait une telle prolongation à la condition que les deux parents aient pris le congé parental.) L’index ne sera définitivement pas un sujet électoral. Le DP jure de ne pas y toucher, Delles le caractérisant comme « eng vun de gréissten sozialen Errungenschaften hei am Land ». Le DP annonce une énième « offensive » contre la crise du logement. Un « Biergerfong » devrait permettre « aux entreprises et aux particuliers » d’investir dans des projets immobiliers publics, avec un rendement « garanti » et des avantages fiscaux à la clef. Le parti vend toujours le rêve d’une nation de propriétaires. « Den Zougank zum Eegenheem ass fir d’DP eng Prioritéit », proclame Delles ce samedi. La veille, Xavier Bettel faisait pourtant son « mea culpa » face à wort.lu : « Durant des décennies, je pensais qu’il fallait encourager les gens à devenir propriétaires. C’est une utopie. Cela n’est pas faisable en ce moment. »
« Verantwortungsbewosst », « sachlech », « raisonnabel », « pragmatesch », iwwerluecht », « seriö », « verstänneg ». Pour décrire le DP, Carole Hartmann semblait avoir puisé dans un thésaurus. En fait, la campagne se résumera surtout à « eisen Xavier Bettel ». L’ultra-personnalisation autour du Premier prend un tour quasi-féodal quand le chef de fraction, Gilles Baum, conclut son discours par un serment de fidélité : « Monsieur le Premier ministre, cher Xavier, tu peux te fier à ta fraction. Nous sommes unis derrière toi ! » Peu connu pour son charisme, Baum a planifié son entrée en scène. Avant de commencer son discours, il enlève de manière théâtrale sa cravate et ouvre le premier bouton de sa chemise. Une manière pour l’ancien instituteur de se mettre à l’heure du cool libéral.
Charles Goerens garde, lui, sa cravate. Avec une gravitas junckérienne, l’eurodéputé disserte (sans notes) sur la géopolitique et le « risque de déclassement » de l’UE : « Nous avons peur de Poutine, nous avons peur de Xi Jinping, nous avons peur de Modi ; mir fäerten, mir fäerten a mir fäerten. » Après le vieux notable, c’est au jeune loup de brièvement plomber l’atmosphère. Michael Agostini, le président des Jeunes démocrates, appelle l’État à racheter « 1 400 logements » sur le marché privé. (Ce qui, aux prix demandés, équivaudrait à un gigantesque « bail-out » des promoteurs.) Il revendique ensuite un « super-ministère du Logement » incluant l’Intérieur, l’Aménagement et l’Environnement. Il estime enfin que la réforme du bail à loyer « gehéiert net an d’Chamber, mee an d’Poubelle », puisqu’elle limiterait trop le rendement des investisseurs immobiliers. La tirade ne provoque que quelques applaudissements timides.
Xavier Bettel met en garde les électeurs libéraux tentés de voter pour leur partenaire de coalition favori plutôt que pour le DP. « Si vous voulez le DP, si vous voulez renforcer Bettel, il n’y a pas d’autre choix que de noircir la liste 2 », leur dit-il. Une coalition avec #Luc ne semble pas être son option préférentielle. Au cours des dernières semaines, il a pris soin de souligner « la relation de confiance » construite au sein de la coalition sur les dix dernières années. Quasiment au mot près, il a distillé ce message sur Radio 100,7, dans Reporter, Télécran et sur wort.lu. Que le Spëtzekandidat du CSV ait choisi de s’entourer de la vieille garde – mettant en avant les éternels ministrables Gilles Roth et Léon Gloden – n’arrange pas les choses. Mais en amont du 8 octobre, toutes les portes restent évidemment ouvertes. Invitée ce lundi à la matinale de Radio 100,7, Carole Hartmann avance prudemment. Il faudrait d’abord « étudier les programmes ». En début d’interview, un reportage sur le congrès est diffusé. On y entend un membre du DP accuser le CSV d’« Anbiederung » et d’« Effekthascherei ». Dans le studio, on voit la secrétaire générale tirer une grimace, comme si elle venait de mordre dans un citron.
Une deuxième reconduction de la coalition dépendra probablement du score des libéraux, tout comme la première avait été tributaire de celui des Verts. Le DP se définit d’abord comme une machine électorale. Les principes politiques, à commencer par celui de la parité, cèdent devant l’opportunisme politicien. Parmi les huit Spëtzekandidaten, se trouvent seulement deux femmes ; les listes Est et Nord en cumulent quatre (sur seize candidats). À part l’une ou l’autre vedette du sport (la tenniswoman Mandy Minella, le nageur Raphaël Stacchiotti) ou de la virologie (Gérard Schockmel), les listes sont bourrées de bourgmestres, d’échevins et de conseillers communaux.
Assistera-t-on à une réédition de la vague bleue de 1999 ? Porté par la sainte colère de la CGFP, le DP avait alors obtenu quinze sièges. (Soit deux de plus au Centre et un de plus au Sud qu’actuellement.) En 2023, un siège supplémentaire semble probable dans la circo Centre et pas impossible dans la circo Est. (La pente sera rude, car pour décrocher un troisième mandat dans les deux petites circonscriptions, le parti devra avancer d’une dizaine de points de pourcent.) Restent les Reschtsëtz, favorisant les partis les plus forts. En 2018, les chrétiens-sociaux en avaient engrangé pas moins de quatre, ce qui les avait sauvés de l’humiliation totale. En 2023, ce mécanisme pourrait profiter au DP. Mais, comme le disait Colette Flesch il y a quarante ans sur Hei Elei : « Den Avenir läit an der Zukunft ».