L’année dernière lors de la Biennale d’architecture, le pavillon luxembourgeois avait été plongé dans une quasi obscurité. Un paysage lunaire et des robots servant à l’exploration et l’exploitation extraterrestre étaient installé en face d’un écran géant. On y découvrait divers aspects de la conquête spatiale et du space mining. C’est tout le contraire cette année. Au premier étage de la Sale de Armi, à l’Arsenale, on entre dans un environnement argenté, brillant, métallique, finalement bien plus futuriste.
Passé un épais rideau gris, légèrement irisé, on pénètre dans un pavillon à la lumière crue. Le sol est pavé de dalles en métal où sont gravées divers motifs : des symboles abstraits, des textes descriptifs du projet et des informations sur le programme. Quatre parois en verre, amovibles, montées sur des pneumatiques sont bardées d’équipements techniques : micros, haut-parleurs, câbles électriques, tiges métalliques… Au fond, deux écrans led diffusent les horaires de la performance à venir.
Le visiteur pressé ne verra que cela. S’il s’attarde quelques minutes, il entendra des sons, des bruits, des voix – une cacophonie difficile à décrire, on ne parle pas de musique – et il sentira le sol vibrer. « Nous savons qu’il nous faut faire face à la frustration du public. Certains passeront plus de temps que d’autres et ressentiront plus de choses. Il y a différentes couches de travail à expérimenter : lire les textes, s’asseoir, regarder et écouter », admet le musicien et artiste sonore, Andrea Mancini, lors de notre rencontre à Venise. « On avait peur mais on voit que les gens comprennent et adhèrent », complète Alessandro Cugola, architecte de formation et membre du collectif Every Island. Ensemble, ils ont réalisé un environnement « immersif, intime, sécurisant ». Il constitue un écrin pour les performances qui y sont jouées et pour l’expérimentation sonore qui y est proposée. L’élaboration architecturale et technologique du pavillon met en outre en évidence le concept de work in progress.
« Le projet initial était de proposer un espace pour inviter des artistes pendant la biennale. Un lieu où ils pourraient vivre et travailler tout en exposant le processus créatif », rappelle Martina Genovesi, autre membre de ce collectif. Leurs recherches se concentrent sur rôle de la performance en architecture, à travers la mise en place de scénographies et d’installations éphémères. « On assiste à une contamination de la performance sur l’espace. Pas dans un sens négatif comme une maladie : les performeurs et les visiteurs qui bougent dans un environnement contribuent et transforment cet espace, lui apportent une richesse, pas une perturbation », détaille-t-elle.
L’invitation d’autres artistes était donc le point de départ de la réflexion menée par le Luxembourgeois Andrea Mancini et le collectif bruxellois Evry Island (qui comprend encore Caterina Malavolti et Juliane Seehawer) pour le pavillon luxembourgeois. En cela, ils bouleversent la notion, finalement romantique et datée, « d’artiste unique qui fait un art unique », selon les mots d’Andrea Mancini. Ils revendiquent une création collective où il n’est pas possible de savoir qui a réalisé quoi, qui est l’auteur, qui est le contributeur. « Cette notion de partage est un beau message où les artistes se dessaisissent de leur ego. »
Quatre performeuses sont donc invitées en résidence au fil des mois que dure la Biennale. Elles ont été choisies par le collectif, avec la curatrice Joel Valabrega, qui a une longue expérience de l’art performatif, notamment au Mudam. L’Espagnole Bella Bâguena, la Française Célin Jiang, la Turque Selin Davasse et la Suédoise Stina Fors ont été sélectionnées pour leurs pratiques basées sur le son et pour la diversité de leurs approches. « La tradition orale, le son, le bruit remontent aux origines de la communication et de la transmission. Les artistes choisies empruntent des méthodes de communication et de production de sons très différentes », précise Martina Genovesi.
Le titre, A Comparative Dialogue Act affiche la nature de ce projet expérimental : une exploration de langages acoustiques variés et une réflexion sur le dialogue. Pour nourrir ce dialogue, les artistes ont été invitées à alimenter une vaste bibliothèque sonore. Dans cet outil partagé, chacune puise afin de créer un paysage sonore pour accompagner sa performance. « L’objectif est de stimuler la collaboration et de construire une communauté par l’interprétation des sons fournis par les autres artistes », ajoute Andrea Mancini.
Les semaines de la Biennales seront rythmées par différentes périodes en fonction de la présence des artistes en résidence. « Pendant les résidences, les artistes créent leurs sons et leur performance. Entre ces phases, les sons sont diffusés. Des dialogues de vingt minutes, plutôt chaotiques, succèdent à des rediffusions des performances, plus claires », explique le Luxembourgeois. Les gravures sur les dalles de la plateforme peuvent être comprises « comme un tableau Excel, un calendrier ou une carte. Les différents symboles signifient certaines séquences », complète Alessandro Cugola.
L’artiste turque basée à Berlin, Selin Davasse a été la première à performer pour l’inauguration du pavillon. Ses actions utilisent des techniques littéraires, vocales et gestuelles disparates où elle incarne « différents moi narratifs », le plus souvent des animaux rejetés par la société. On l’a vue jouer les points de vue d’un pigeon, d’un ver et puis d’une souris. Malgré l’ironie de ses textes, elle évoque des sujets très politiques comme l’individualisme, la compétition, le paraître et la condition féminine.
À la fin de la Biennale, un disque sera produit avec une partie des créations sonores. Le collectif espère poursuivre l’aventure créative avec d’autres performeurs et performeuses, qui viendraient encore enrichir la bibliothèque sonore, la redigérer et réintégrer. À Venise, il a été question de programmer la suite du Comparative Dialogue Act au Mudam, ce que Bettina Steinbrügge a confirmé au Land cette semaine : « Nous prévoyons actuellement de réactiver le pavillon l’année prochaine au Mudam. »
Ce sera non seulement un prolongement intéressant de l’expérience vénitienne, mais une manière de poursuivre le projet, pionnier, des Audiolabs. En 2002 et 2003, le Mudam avait fait l’acquisition de quatre structures réalisées par des designers pour « exposer » la musique et les créations sonores. À l’époque déjà, donner une matière tangible aux paysages sonores était un défi. Aujourd’hui, l’audace du pavillon luxembourgeois cumule la nécessité de visualiser les sons et la volonté d’aller au-delà de la personnalité identifiable du créateur.